"La Part des anges", de Ken Loach
Il y a beaucoup d’anges dans le cinéma de Ken Loach, qui en vieillissant, ressemble de plus en plus à Frank Capra. N’a-t-il pas introduit Éric Cantona comme ange gardien (de but bien entendu) auprès d’un postier de Manchester en détresse dans Looking for Eric (2009)?
Le mot est pris à la fois au sens propre et métaphorique dans La Part des anges : on appelle ainsi la partie du volume d’un alcool qui s’évapore pendant son vieillissement en fût. C’est généralement dans les chais d’armagnac ou de cognac qu’on emploie cette expression, mais Ken Loach l’applique au whisky, invention irlandaise ou écossaise, dont le nom – celtique ou gaélique – signifie « eau de vie ».
Jamais ce sens n’a trouvé de plus juste application que dans ce film, où un éducateur au grand cœur – véritable ange gardien – sauve littéralement un groupe de délinquants condamnés à une peine de travaux d’intérêt général en les initiant secrètement pendant son temps libre à l’art du whisky !
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La dérive d’une jeunesse en perte de repères
De distilleries en séances de dégustation, l’un d’eux, Robbie, se découvre un réel talent, qui le rend bientôt capable d’identifier les cuvées les plus exceptionnelles, les plus chères. Va-t-il exploiter ce don pour le pire ou pour le meilleur ?
Ken Loach, on le voit, continue d’explorer les grands thèmes sociaux comme la dérive d’une jeunesse en perte de repères. Et il montre avec un regard plein de tendresse qu’il y a toujours de l’espoir même dans les situations apparemment les plus désespérées. Seule la confiance sauve.
Le contestataire est devenu un utopiste qui croit en la condition humaine. Car cette intrigue est une parabole de la vie humaine, où la solidarité est la valeur essentielle et où on a toujours bien plus de possibilités qu’on ne pense. En inventant les situations les plus cocasses et les retournements les plus inattendus, mis en scène à un rythme effréné, le cinéaste lui fait concurrence. « Faire un film, dit-il, c’est être au cœur du possible. »
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Un film jubilatoire
L’expression la part des anges aurait pour origine l’alchimie qui désignait par anges les substances volatiles. L’alambic géant qui sert à distiller le whisky à partir de céréales maltées ou non maltées fabrique ici du whisky pur malt.
Il opère en Robbie une transmutation radicale. Le petit voyou se transforme sous nos yeux en gentleman ou en missionnaire chrétien digne de saint Patrick, patron des Irlandais, qui aurait introduit le whisky dans ce pays au Ve siècle.
L’humour tendre et le regard aigu et généreux avec lequel le cinéaste analyse notre société et dénonce ses dérives rend ce film jubilatoire. Décidément le Ken Loach 2012 est un bon millésime. Allez le déguster même si vous n’aimez pas le whisky et ne consommez pas d’alcool. Vous en sortirez euphorique !
Anne-Marie Baron