Devenir enseignant : éléments de langage pour une campagne de recrutement
Ça y est ! La campagne de recrutement est lancée, le mois des inscriptions est ouvert, les candidats ont jusqu’au 11 octobre pour s’inscrire aux différents concours de l’enseignement.
Le site ministériel Devenir enseignant égrène ses pages d’information (le parcours, les types d’établissement, la carrière, la mobilité, les rémunérations) et son album photo souriant (moi avec mes élèves dans la cour, moi avec mes collègues en salle des profs, moi en classe penché près d’un élève), et, il faut bien le dire, l’ensemble est très bien fait, très riche, très complet, constituant un trésor de documentation. Mais le site est si propre, si lisse, si heureux qu’il en devient troublant : comment un métier si séduisant pourrait-il manquer de candidats ?
Ce malaise entre une présentation positive du métier et sa perception pourtant négative dans la société, se ressent particulièrement dans la série de portraits d’enseignants proposés à la curiosité des éventuels candidats. On oscille alors entre le témoignage sincère et le document promotionnel, entre la vérité et la propagande.
À la vue ou à la lecture des témoignages de Mathilde, Laurent, Elisabeth, Morgan, Karima, Armand, on ressent la même impression que l’on éprouve lors d’un forum des métiers devant un stand cachant tant bien que mal ses difficultés et chantant à l’envi ses bonheurs.
Éléments de langage
La rubrique « Ils en parlent » alterne ainsi interviews écrites et documents vidéo de six enseignants de maths, français, histoire-géo, italien, sciences médico-sociales, tous également jeunes, autour de la trentaine, travaillant en collège, lycée général ou professionnel, du nord au sud de la France. Ce qui frappe, malgré la variété des témoignages, c’est l’uniformité des propos tenus. Comme si des éléments de langage, comme on dit en politique, avaient été préalablement distribués à chacun.
On assiste donc à un ressassement des mêmes lieux communs, en guise de message. L’envie d’être enseignant n’a jamais qu’une source : la rencontre, dans sa jeunesse, avec un prof marquant et formidable, passionné et aimant. La richesse du métier est toujours humaine et sociale, l’envie d’aider les élèves à grandir, les contacts et les échanges, à tous les niveaux.
Les avantages commencent toujours par le rappel des 18 heures de cours et des vacances (premier argument de vente, alors que l’ORS est la première menace planant sur le métier !) tempéré toutefois par la reconnaissance de lourdes préparations et corrections. Les inconvénients se concentrent sur la fatigue et la discipline, mais sans jamais dramatiser ni l’une ni l’autre.
Tous ont conscience d’évoluer au fil des ans dans leurs pratiques enseignantes : plus de souplesse dans la notation, plus de pédagogie individualisée, de projets et d’interactivité, de travail en équipe, tous ont d’autres activités que le cours, l’un est tuteur, l’autre fait de la formation, un troisième organise des sorties, des voyages, et leurs conseils aux futurs professeurs font preuve d’une remarquable convergence : aimer les élèves, croire que l’on peut changer les choses, être manager, être acteur de transformations.
Portrait de l’enseignant rêvé par le Ministère
Ainsi tous récitent leur catéchisme mais chacun avec ses mots : du discours le plus convenu (« D’autres métiers sont mieux payés mais la vraie richesse, etc. ») au plus vrai (le quotidien de Laurent, l’ex-surveillant d’internat passé par les concours internes, professeur d’italien à Beauvais) en passant par le plus maladroit (« Ne pas faire ce métier pour la matière mais parce qu’on aime les élèves »).
Il émerge ainsi de ces témoignages le portrait de l’enseignant rêvé par le Ministère, confirmé d’ailleurs par la fiche métier jointe à cette même rubrique : comme dans le privé, nous avons une description du poste à pourvoir, avec les mêmes mots : « Votre mission », suivi d’une liste de compétences et d’attentes détaillées et formelles.
Il est évident qu’une présentation du métier ne peut être le lieu d’évoquer les frustrations, mécontentements ou conflits nés de relations loin être toujours enrichissantes avec les élèves, les parents, l’administration et les collègues, ni d’aborder les difficultés professionnelles liées à la nature des programmes, aux conditions de travail, aux compositions des classes ou encore aux évolutions de carrière, ni enfin d’embrasser la diversité de tous les profils qui se tournent aujourd’hui vers l’enseignement, mais quelles que soient les excuses trouvées à ces absences ou insuffisances, il reste que cette rubrique « Ils en parlent » manque d’originalité et d’attractivité. Du métier, ils en parlent, oui mais trop bien, trop sagement.
Donner l’envie n’est pas donner la doctrine…
Il ne faut peut-être pas confondre prescription et description. Donner l’envie n’est pas donner la doctrine. Le temps de la publicité ne doit pas être le temps du formatage. Il y a fort à craindre que de pareils efforts promotionnels, aussi lourds que didactiques, n’apportent le moindre allègement à la crise durable du recrutement.
Des images de l’enseignement, chacun en a dans sa mémoire, douces ou cruelles. Ne croyons pas cependant qu’il suffise de faire retoucher ces clichés par le grand photographe officiel pour les rendre magiquement désirables.
Pascal Caglar
• Voir sur ce site les témoignages inspirés en 2013 par cette même plateforme incitative : Une passion pour pour la littérature suffit-elle pour devenir professeur de français ?
• La plateforme Devenir enseignant.