« Detachment », de Tony Kaye : un professeur remplaçant dans la banlieue new-yorkaise
Si vous avez aimé Entre les murs de Laurent Cantet, Palme d’or à Cannes en 2008, sachez que c’est un film à l’eau de rose à côté de Detachment, dont la dureté sociale et la force émotionnelle s’imposent d’emblée. Le thème de l’éducation, traité dans le film français sur un mode somme toute optimiste à travers la lente conquête d’un auditoire par un jeune professeur qui parvient peu à peu à le convaincre de la nécessité d’apprendre, prend une tonalité désespérée dans celui-ci.
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Un regard sur l’enseignement dans la banlieue new-yorkaise
Adrien Brody y incarne Henry Barthes, professeur remplaçant, assigné pour trois semaines dans un lycée difficile de la banlieue new-yorkaise. N’ayant pour toute famille qu’un grand-père malade, auquel il rend visite chaque jour à l’hôpital, il est complètement seul. Son erreur va être de penser que la brève durée de son remplacement peut le dispenser de toute implication personnelle.
Or, confronté aux problèmes quotidiens avec ses collègues et ses élèves, il s’implique malgré lui, parvenant à obtenir quelques maigres résultats avec certains individus particulièrement ignorants et agressifs. Et il a beau chercher à garder le contrôle, il doit faire face à des conflits qui le bouleversent. En particulier, obligé de recueillir chez lui Erica, adolescente en détresse et en danger, il doit abandonner la distance qu’il s’impose pour se montrer généreux et d’une infinie douceur.
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Le parcours du réalisateur, Tony Kaye
Le réalisateur anglais Tony Kaye fait preuve d’une maîtrise impressionnante. D’abord publicitaire, il n’a pourtant abordé le cinéma qu’au milieu des années 90. Ses clips musicaux pour les artistes les plus prestigieux de la planète (Red Hot Chili Peppers, Soul Asylum, Johnny Cash) lui ont valu une demi-douzaine de nominations aux Grammy Awards et une récompense en 2006.
En 1998 son premier film, American History X, drame sur l’extrémisme et le racisme aux États-Unis, suit la descente aux enfers d’un néonazi interprété par Edward Norton. Et se voit nommé aux Oscars. Detachment fait suite à plusieurs longs métrages indépendants inédits en France sur des sujets comme le racisme, la drogue, la violence, l’avortement, qui mettent à l’épreuve la limite entre documentaire et fiction.
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“Saisir des émotions réelles”
Avec une grande sensibilité, le cinéaste sonde dans ce dernier film les sentiments intimes de ses personnages, tandis que sa caméra sait filmer le silence, le vide, l’absence, mais aussi l’agressivité qui explose chez ces êtres déchirés. « Je cherche à saisir des émotions réelles », répète Tony Kaye lorsqu’on le questionne sur le « style » de son film, aux images très travaillées, aux couleurs savamment distribuées, tandis que la gestuelle des comédiens est étudiée pour donner l’impression maximale de naturel.
Il insiste d’ailleurs sur la recherche d’authenticité qui est son objectif prioritaire : « J’essaye seulement de faire en sorte que les choses aient l’air vraies. » Il y parvient magnifiquement.
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Une solitude générale
Adrien Brody se coule avec finesse dans le personnage d’Henry, dosant subtilement l’alternance entre douceur désespérée et accès de rage, avant de reprendre sa maîtrise de lui-même. Toujours sur le fil du rasoir, il se montre à la fois fort et fragile, dramatiquement partagé entre la tentation de l’affectivité et la carapace de réserve par laquelle il cherche à se protéger.
Le film fait ressentir presque physiquement cette lutte intérieure et met en évidence la solitude générale, en orchestrant la rencontre de cet anti-héros qui se veut étranger avec diverses détresses, celle d’une équipe de professeurs livrés à eux-mêmes dans un lycée en perdition, celle de jeunes adolescents qui ne trouvent pas leur place dans la société et traduisent leur mal de vivre par des écarts incontrôlables.
La performance de la jeune Marcia Gay Harden dans le rôle d’Erica est à saluer. Loin des clichés et des facilités, la mise en scène rigoureuse de ces personnages écorchés vifs, la présence et le talent du protagoniste, la violence des situations font de Detachment une œuvre d’une puissance inoubliable.
Anne-Marie Baron