Notre planète. Chronique n° 7 :
Aux arbres citoyens !

Réflexion sur la place des arbres d’hier à aujourd’hui, entre histoire et littérature, alors que des militants mettent leur vie en jeu et se mobilisent ce week-end encore contre un projet d’abattage au profit de la construction de l’A69 entre Toulouse et Castres.

Par Alexandre Lafon, historien et professeur d’histoire géographie au lycée

« Puisqu’il faut changer les choses, aux arbres citoyens! Il est grand temps qu’on propose un monde pour demain ! », chantait Yannick Noah dans « Aux arbres citoyens ! », titre diffusé en 2006. Plus de quinze années ont passé à voir s’aggraver sur toute la planète la raréfaction des ressources terrestres, l’abattage massif des forêts, des bois, et des haies, en France et dans le monde. Cette fin d’année 2023 interroge fortement la question de la place des arbres dans nos sociétés avec plusieurs événements.

Les annonces présidentielles de la fin de l’été associées au plan pour « bâtir une écologie à la française » prévoient notamment que chaque collégien plante un arbre, ou plutôt son arbre, pour régénérer son environnement proche. La mesure s’adresse avant tout aux élèves de 6^e. Si elle ne peut s’étaler sur cette seule année, elle pourra concerner l’ensemble des collégiens. À l’heure d’un dérèglement climatique éprouvé tous les jours davantage, l’idée est qu’une génération d’enfants agisse pour l’environnement à travers la figure de l’arbre, symbole de la vie et de la régénérescence. Les collectivités locales, en particulier les conseils départementaux en charge des collèges, prolongent l’initiative en communiquant largement sur les plantations scolaires.

Pourtant, au même moment, nombreux sont les associations comme les individus qui luttent, avec acharnement et désespoir, contre la multiplication des abattages d’arbres parfois centenaires : destructions des arbres d’alignements (platanes ombreux) le long des routes, le long des avenues dans les villes caniculaires ; coupes forestières qui touchent des milliers d’hectares en France métropolitaine ou en Guyane ; artificialisation des territoires dont les arbres sont les premières victimes. 

Dans le même temps, le conseil départemental du Tarn soutient la construction d’un tronçon d’autoroute reliant Toulouse à sa sous-préfecture de Castres : une cinquantaine de kilomètres au milieu des champs, du Lauraguais au pays du Pastel. Résultats : des coupes de centaines d’arbres âgés sur le tracé, sans compter la destruction d’hectares précieux de terres agricoles. Les promoteurs autoroutiers affirment compenser les abattages par des plantations massives le long des voies. Paradoxe d’une société qui alerte sur l’importance du vivant et continue à le saccager. 

Le symbole de l’A69 est tellement violent que des mobilisations se relaient sur place depuis le printemps pour alerter et bloquer le projet. Plusieurs militants non violents sous la bannière « les écureuils » se sont réfugiés dans les arbres pour les protéger. Une action qui rappelle d’autres du même ordre jusqu’à celle évoquée par l’écrivain Éric Pessan dans son roman Le soleil est nouveau chaque jour, paru en septembre (l’école des loisirs). Certains écureuils ont même enduré une grève de la faim de 38 jours avant de se lancer dans une grève de la soif alarmante. L’un d’entre eux, Thomas Brail, figure de l’opposition au grand projet Toulouse-Castres, a été hospitalisé. Le 10 octobre ils ont finalement stoppé leur grève avec l’annonce d’une réunion le 13 octobre pour faire le point par les préfets d’Occitanie et du Tarn.

« Cette autoroute est emblématique d’un mode de décision hérité du passé, qui ne permet pas de construire la résilience et la décarbonation du futur dont nous avons besoin », a déclaré dans Mediapart la climatologue Valérie Masson-Delmotte. Deux mille scientifiques ont également co-signé une tribune contre ce projet dans L’Obs. Le 17 octobre cependant, le ministre des transports a déclaré, selon Mediapart. : « L’autoroute va se faire. L’État est déterminé à faire aboutir ce projet. Ce n’est pas un entêtement de l’État, c’est le respect de la règle du droit. » Une mobilisation nationale est prévue ce week-end. Plusieurs milliers de personnes pourraient converger sur place. Dans un sondage réalisé par l’Ifop pour Agir pour l’Environnement et le collectif La Voie Est Libre, et réalisé par l’IFOP, 61% des personnes interrogées sont favorables à l’abandon du projet.

L’homme et l’arbre : des liens anciens

Si la gestion raisonnée des espaces arborés implique des coupes réglées et des reboisements parallèles, les populations aujourd’hui ont du mal à saisir la poursuite de l’artificialisation des terres avec destruction d’arbres anciens, alors même que la décarbonation nécessaire impliquerait de protéger ces derniers. D’autant que les jeunes arbres plantés souffrent du manque de pluie et de la hausse des températures et meurent en grand nombre. Pourquoi les arbres ont été investis d’une telle charge, à la fois émotive et intellectuelle ? Quelle adaptation des sociétés – et des décideurs – aux enjeux du dérèglement climatique ? António Guterres, secrétaire général des Nations unies a lui-même jugé, le 15 juin, que la réponse du monde était « pitoyable ».

Le lien entre l’homme et les arbres s’inscrit dans une histoire longue, comme les mesures politiques ou environnementales qui le concernent. Aujourd’hui, les arbres sont en première ligne du conflit entre celles et ceux qui alertent, celles et ceux qui dénient, au nom, souvent de l’exploitation du bois et de la nature. Une sorte de nouveau front qui ne dit pas encore complètement son nom.

L’arbre et l’imaginaire 

L’arbre apparaît comme un compagnon de route de l’évolution matérielle et symbolique des sociétés humaines. Ancré dans la terre, tourné vers le ciel, changeant selon les saisons, il incarne l’évolution cyclique de la vie et de la mort. Il met en connexion trois niveaux : le sous-sol, le sol et l’atmosphère. D’un point de vue plus pratique, mais qui le définit comme un élément positif de notre environnement proche, il protège les premiers hommes des prédateurs, fournit un gîte dans ses branchages aux premiers hommes, permet à de nombreux groupes de se cacher : communautés antiques soumises aux invasions, résistants juifs dans l’immense taïga d’Europe de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale, ou Tutsi soumis à la traque génocidaire entre avril et juillet 1994 au Rwanda.

Nourriciers, les arbres apportent leurs fruits à presque toutes les saisons sous nos latitudes : glands, noix, pommes, poires, pêches ou prunes. Ils abritent une grande diversité d’espèces et sont des supports fondamentaux de la biodiversité (voir les « hôtels à insectes »). 

Le bois, est un matériau précieux essentiel dès les premiers balbutiements matériels des communautés humaines : il fournit des armes ou des outils pour le feu. L’amadou qui pousse sur les troncs offre un combustible efficace aux premières sociétés. Le bois brûle et réchauffe. Il permet de construire les premiers abris, puis les camps des légions romaines comme les premières mottes castrales médiévales. Les forêts abritent le gibier cher à notre alimentation, ils ont été un enjeu politique fort de liberté pour les communautés rurales en France contre les privilèges de la noblesse. 

Qui ne sait pas cette histoire de privation des richesses forestières, de la liberté d’en disposer, ne peut comprendre les revendications cynégétiques encore aujourd’hui. Le bois, c’est aussi le papier qui permet la circulation de l’information, de la presse et des livres, et dont le coût a tellement augmenté depuis l’épidémie de Covid 19 ; le bois avec les végétaux en décomposition, c’est l’humus, précieux. 

L’arbre et la forêt, tout un symbole

Forêt et bois ont pu aussi apparaître comme des sources de crainte, des lieux qui ramènent l’homme à sa juste place dans son environnement : peur du loup des bois, des esprits de la forêt, etc. Car l’arbre a à voir avec le sacré, de l’olivier d’Athéna aux chênes druidiques celtiques ou à celui du roi Louis IX, les arbres portent en eux une charge de puissance remarquable dans toutes les sociétés, à travers toutes les époques. Dès l’Antiquité, les Grecs prêtent aux chênes justement les vertus de transmettre la parole de Zeus. La pomme d’Adam (et d’Ève) ou le « chêne d’Abraham » rappellent la présence sylvestre dans la Bible. Les exemples ne manquent pas, des civilisations amérindiennes au Japon. L’arbre, comme symbole de vie, de force ou de pouvoir, émerge comme une évidence partagée par l’humanité tout entière. 

Symboles de liberté, des arbres sont plantés par dizaines dans les terres conquises par les armées révolutionnaires en Europe pour signifier durablement leur libération du joug monarchique. L’arbre et la liberté : incroyable progrès de l’humanité européenne qui se traduit entre sol et espace. 

Avant les conquêtes et pillages, des arbres sont plantés par centaines lors du Bicentenaire de 1989 pour rappeler combien la liberté conquise est essentielle et … durable. L’arbre est aussi politique, parfois symbole puissant d’un pays, comme le cèdre du Liban. Les forêts portent parfois en elles une charge mémorielle très forte. Témoin de la bataille de Verdun de 1916 (pensons au bois des Caures), la forêt meusienne saccagée par des années de guerre a repris racine sous les auspices de l’Office national des forêts (ONF) sur la zone rouge de l’ancien champ de bataille. Comme le rappelle avec justesse le géographe Jean-Paul Amat dans un très beau livre, Les forêts de la Grande Guerre (Sorbonne université presses): « La forêt domaniale de Verdun reçut, le 12 juin 2014, le label forêt d’exception[…] le paysage conforte son statut de composante de l’histoire. »

Cette polyvalence historique, mémorielle et symbolique essentielle irrigue notre imaginaire contemporain : J.R.R. Tolkien dans Le Seigneur des Anneaux évoque ces arbres vivants, les Ents, doués de réflexion, de parole et d’actions. James Cameron fait de l’Arbre des âmes le repère spirituel des Na’vi dans le premier opus d’Avatar. L’arbre est aussi un lieu de vie, de protection, qui offre abri et nourriture. Là encore, les productions artistiques contemporaines témoignent de la permanence de cet imaginaire malgré notre passage à une post-modernité augmentée. L’arbre est devenu un sujet majeur de la littérature (Le Baron perché de Dino Buzzati) et de jeunesse. Le dossier associé à l’exposition de l’école des Loisirs consacré à L’arbre témoigne de cette dynamique. Tout en apportant des connaissances solides sur les arbres et les hommes, le riche dossier pédagogique intitulé Des arbres, des livres propose une bibliographie des livres jeunesse sur le thème. Les textes associés aux arbres permettent aux enseignants de traiter du rapport matériel et symbolique de l’homme à son espace à toutes les périodes historiques. 

Depuis quelques années déjà, d’autres facteurs positifs, vitaux, s’attachent aux arbres et aux forêts : l’ombre apportée par les arbres âgés permet de faire chuter les températures moyennes qui ne cessent d’augmenter ; espace de développement de la biodiversité ; puits d’oxygène, bois et forêts absorbent le carbone rejeté par nos industries, nos voitures et camions qui ne cessent de se multiplier : matériaux recyclables d’importance. Arbres de haies, bois, forêt se développent et se préservent au prix d’équilibres fragiles que l’homme contribue de plus en plus à détruire. Les mesures se multiplient pour protéger les espaces sylvestres naturels, à l’échelle du monde, de l’Europe ou de la France. La gestion de la ressource arbre devient un enjeu environnemental important. La législation évolue, certes lentement mais sûrement. Aujourd’hui les coupes massives dans les forêts françaises sont encadrées, comme l’abattage des arbres d’alignement dans les villes. Théoriquement, car dans les faits… 

De l’arbre ressource à l’arbre allié

La destruction systématique des espaces naturels par les hommes ne date pas d’hier. Les arbres libanais ou de l’île de Pâques ont été victimes d’une exploitation trop intense de la ressource bien avant l’industrialisation de nos sociétés. Les grands défrichements de l’époque médiévale ont permis en France et en Europe de nourrir une population croissante. Les forêts ont servi de frontières militaires (entre la Finlande et l’URSS en 1939-1940) et de champs de bataille depuis la période gauloise jusqu’aux guerres mondiales comme nous l’avons souligné plus haut. Les hommes les ont parfois broyées pour cela. 

La prise en compte des forêts comme ressource

En France, c’est au XVII^e siècle, celui de l’État monarchique, que les bois et forêts apparaissent comme un enjeu en termes de ressources. Les navires du Roi nécessitent en particulier une gestion raisonnée des arbres. Le puissant Colbert doit pourvoir à la construction d’une marine susceptible de rivaliser avec les flottes anglaises et hollandaises. Il lance un inventaire général des forêts royales et persuade Louis XIV de procéder à une grande réorganisation des Eaux et Forêts. Une ordonnance de 1669 installe durablement la gestion de la forêt française : espace naturel et réservoir de matière première. La révolution industrielle du milieu du XVIII^e siècle, en ouvrant une nouvelle phase décisive de l’anthropocène, démultiplie bois et forêts comme ressources : alimenter certaines machines, étayer les galeries de mines, chauffer les demeures de foyers de plus en plus nombreux, en Europe puis dans le monde. La pression foncière et industrielle a pesé lourd entre le XIX^e et le XX^e siècle sur l’arbre et ses environnements. 

De la gestion à la protection

Le Code forestier de 1827 prolonge cette première période, créant une École forestière à Nancy. La notion de protection apparaît alors. Un remarquable développement dynamise les forêts tout au long du XIXe siècle, alors que la notion de patrimoine s’installe dans la société. Il faut attendre 1965-1966 pour voir la création de l’Office national des Forêt, chargé des espaces domaniaux : gérer, surveiller, protéger. La création des parcs naturels régionaux et nationaux dans la deuxième moitié du XX^e siècle s’inscrit dans ce changement de paradigme, plaçant de facto la nécessité de protection comme un principe nécessaire. 

Ces dernières années, la multifonctionnalité de la forêt s’est imposée. Si elle reste un atout économique, elle rend aussi un service écologique en étant un réservoir de biodiversité, un stock de carbone, une protection contre certains risques naturels (érosions, crues). Le réchauffement climatique accentue une prise de conscience des arbres comme alliés des hommes, en pleine nature comme dans les espaces urbains. La loi s’adapte peu à peu à ces nouveaux enjeux essentiels : depuis le 23 février 2022, selon l’article L 350-3 du Code de l’environnement « Le fait d’abattre ou de porter atteinte à un arbre ou de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres est interdit. » Les Plans locaux d’urbanisme proposent des espaces qualifiés d’Espaces boisés classés (EBC). Dans ces espaces, les arbres ne peuvent être abattus que sur autorisation. De multiples acteurs, collectifs, associations, ont appuyé ces changements de perception et de réglementation, ils, elles luttent aussi contre les abattages parfois massifs qui continuent. 

La littérature comme soutien à la prise de conscience

Jean de La Fontaine, maître des Eaux et Forêts à Château-Thierry sa ville natale (Aisne) connaît bien les arbres. Il en fait des héros de fables, parfois fanfaron comme dans « Le Chêne et le Roseau », dont la morale perdure jusqu’à aujourd’hui. Dans « La Forêt et le bûcheron », il souligne la pression des hommes sur leurs milieux : « Voilà le train du Monde et de ses sectateurs : On s’y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. » Les romantiques font de l’arbre, des bois et forêts les lieux idoines de la contemplation solitaire. Dans ses Rêverie d’un promeneur solitaire en 1782, Jean-Jacques Rousseau magnifie les espaces sylvestres : « De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux, dont plusieurs tombés de vieillesse et entrelacés les uns dans les autres, fermaient ce réduit de barrières impénétrables : quelques intervalles que laissait cette sombre enceinte n’offraient, au-delà que des roches coupées à pic et d’horribles précipices […] je me mis à rêver. »

Au XX^e siècle, des auteurs comme Jean Giono ou Maurice Genevoix reviennent aux bois et à la forêt comme espaces majeurs, décrivant la nécessaire osmose que l’homme et la nature doivent préserver, face à l’accélération des contraintes du monde moderne. Dans les années 1970, l’écologie politique, militante, installe « l’arbre magique » (jouet vendu à des milliers d’exemplaires) au cœur d’une nouvelle réflexion plaçant la protection du vivant et la biodiversité comme grande cause internationale. 

Dans les années 1990, une véritable littérature de l’arbre se développe, sous l’impulsion par exemple de l’écologue et écrivain Francis Hallé. Auteur du Plaidoyer pour l’arbre (Acte Sud, 2005), il milite aujourd’hui à plus de 80 ans pour la reconstitution d’une forêt primaire en Europe de l’ouest. L’ouvrage de Thomas Brail, L’homme qui sauvait les arbres (Arthaud, 2022) revient sur le parcours d’un simple militant, grimpeur-arboriste, qui défend les arbres centenaires des centres-villes, de Paris à Mazamet (Tarn). Il n’hésite pas à grimper dans les arbres les plus hauts pour les protéger des abattages, quand d’autres achètent des parcelles de bois pour en faire des réserves naturelles. 

La sensibilisation à la question vitale des arbres (danger de disparition à cause des dérèglements climatiques, support de lutte contre le réchauffement) se lit à travers les efforts de journalistes ou de scientifiques qui font connaître les arbres remarquables, comme les auteurs.trices de jeunesse qui s’emparent du sujet, ou les projets des écoles ou des collèges plaçant les arbres au cœur de la pédagogie. Un article extrêmement précieux de Fabienne Cavaillé proposait, en 2017, un parcours de lecture pour les enfants de 6 à 10 intitulé De l’arbre au paysage d’arbres (Projets de paysage, 30/06/2017.) En s’appuyant notamment sur l’album de Kazuo Iwamura, La Famille Souris dîne au clair de lune (l’école des Loisirs, 1989), elle montre comment amener auprès des élèves à la prise en compte de l’arbre comme acteur du paysage : « Ce travail de lecture peut enclencher un intérêt réel et engagé des enfants pour les arbres saisis dans leur complexité et leur éviter peut-être une attitude passive ou l’approche technique des paysages qui leur sont parfois imposées. »

Dans le cadre de l’éducation au développement durable, l’Éducation nationale s’est emparée depuis quelques années de la question de la préservation et de la plantation des arbres, aujourd’hui soutenue (tardivement) par un président de la République qui dit aimer les « bagnoles ». 

Ainsi, de multiples acteurs contribuent à sensibiliser les populations aux enjeux de préservation des arbres. La musique ou la littérature sont des outils opérants, comme les documentaires et émissions qui fleurissent depuis plusieurs années, à l’image de l’opération « Aux arbres citoyens ! » avec son point d’orgue le 8 novembre 2022, une grande émission en direct et en première partie de soirée, préparée par le militant écologiste Cyril Dion, et présentée par Léa Salamé et le journaliste « lanceur d’alerte » Hugo Clément. Il faut dire que les arbres, à l’image des espaces « verts », sont devenus les objets d’une âpre guerre de tranchées.

Le front sylvain : pour ou contre le changement ?

Depuis le début des années 2020, il est possible de noter une accélération des prises de conscience et des actions. Le réchauffement climatique, de plus en plus visible, pèse sur nos sociétés et sur leurs espaces. Les récents méga-feux de forêt au Canada ou la mort massive d’essences d’arbres en France sous les coups du réchauffement témoignent d’effets tangibles et de la nécessité de réagir. Pourtant, si quelques politiques urbaines proposent de reverdir les centres-villes en replantant des arbres, force est de constater la poursuite de projets d’abattages massifs dans les forêts ou dans les espaces urbains. 

La consultation du site du Groupement national de surveillance des arbres (GNSA), créé en 2019, laisse sans voix. Collectif fondé en association loi 1901, il affirme : « Les arbres sont un “bien commun” parce qu’ils participent, en tant qu’êtres vivants, au maintien de notre cadre de vie en bon état et à la résilience de nos territoires vis-à-vis des conséquences dues au réchauffement global et à l’érosion de la biodiversité. » Pourtant, de Condom à Montpellier, de Paris en Bretagne, les arbres restent victimes de destructions sévères associées à des projets conçus par des élu.e.s trop peu conscients des avantages qu’ils apportent en ville. 

Une récente émission du journaliste Hugo Clément, Sur le front, sur France 5, était consacrée à ce thème, après celui des Forêts françaises en danger. Son titre : Comment échapper à la canicule en ville. Il montre comment les militants « protecteurs des arbres » doivent se battre pied à pied dans toute la France contre les politiques d’abattage dans les villes. Et planter de nouvelles essences et de nouveaux arbres ne sert à rien : peu arrosés, implantés dans des espaces mortifères, les jeunes arbres, sous la chaleur, n’atteindront jamais les âges de ceux qui ont été abattus. 

Les décideurs peinent donc à changer de logiciel vis-à-vis des arbres en danger. Pire, ils participent sciemment à leur destruction pour que rien ne change. On se souvient de Saint Exupéry dans Pilote de guerre (1942), décrivant le feu ravageant la forêt : « Va-t-on guérir cette forêt ? », interroge-t-il. Plus loin, il évoque l’épisode suivant :

« Ainsi tels arbres, vieux de trois cents ans, abritaient votre vieille maison de famille. Mais ils gênent le champ de tir d’un lieutenant de vingt-deux ans. Il expédie donc une quinzaine d’hommes anéantir, chez vous, l’œuvre du temps.

Il consomme, pour une action de dix minutes, trois cents années de patience et de soleil, trois cents années de religion de la maison, et de fiançailles sous les ombrages du parc. Vous lui dites :

— Mes arbres !

Il ne vous entend pas. Il fait la guerre. Il a raison. »

Aujourd’hui, ce sont parfois (souvent) les forces de l’ordre, appelées en renfort, qui surveillent en nombre les abattages, dans les villes dont les municipalités continuent à s’attaquer aux végétaux, le long des voies vouées à des élargissements ou des projets autoroutiers d’artificialisation. Un peu comme les pompiers du dystopique Fahrenheit 451 qui brûlent les livres au lieu de les protéger des flammes. C’est ainsi que les départements de la Haute-Garonne et du Tarn viennent de perdre nombre de platanes qui offraient fraîcheur et abris pour les oiseaux et chauves-souris. Dans les villes, on abat les arbres au profit de panneaux publicitaires, d’abribus ou de lampadaires. 

Le chemin semble encore long pour cesser ce paradoxe de la destruction à l’heure de la prise de conscience climatique. Il s’agit bien de redonner aux arbres leur aura perdue, en replaçant leurs bienfaits au centre des préoccupations. Protéger, nous protéger, c’est gérer avec responsabilité notre espace de vie, dont l’arbre est un acteur majeur. « Aux arbres, citoyens ! » : une indignation qui mérite décidément toute l’attention. 

A. L.

Retrouvez ici l’ensemble des chroniques de la rubrique « Notre planète ».

Ressources

• Dossier À nos cabanes, L’École des lettres, n°4 juin-août 2023.
• L’arbre dans les albums de l’école des loisirs, par Dominique Masdieu.
• Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, Acte Sud, 2005.
• L’Arbre-Monde, Richard Powers, Gallimard (2019), 744 pages, 9,90 euros.
• La grande histoire des forêts françaises, ONF. 
• Jean-Paul Amat, Les forêts de la Grande Guerre de 1815 à nos jours, éditions Sorbonne université presses, 2015.
• Thomas Brail, L’homme qui sauvait les arbres, Arthaud, 2022.
• Kazuo Iwamura, La Famille Souris dîne au clair de lune, l’école des Loisirs, 1989.Les forêts françaises, des origines à nos jours, France.

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.