À Huis clos, de Kery James :
une pièce haletante sur les violences policières

À Huis clos, de et avec le chanteur et rappeur Kery James, est en tournée dans toute la France. La pièce traite le sujet des violences policières, appuyée par une mise en scène originale et un scénario haletant.

Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie (académie de Créteil)

À Huis clos11, de et avec le chanteur et rappeur Kery James, est en tournée dans toute la France. La pièce traite le sujet des violences policières, appuyée par une mise en scène originale et un scénario haletant.

Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie (académie de Créteil)

Mercredi 29 janvier, l’Espace 93 de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) accueillait un artiste très apprécié dans la commune : le chanteur, rappeur et comédien Kery James. Cinq ans après sa venue avec À vif, une joute oratoire entre deux élèves en droit sur la responsabilité de la République dans la situation des banlieues, sa nouvelle pièce met en scène un face-à-face tonitruant entre un jeune avocat, Souleymane, et le juge qui a relaxé le policier ayant assassiné son frère d’une balle dans le dos.

La salle de l’Espace 93 était pleine, notamment de jeunes accompagnés par des associations locales ou leurs enseignants. La notoriété de Kery James, dont les films Banlieusards 1 et Banlieusards 2 sur Netflix ont été couronnés de succès, mais aussi le thème abordé, expliquent certainement cette affluence.

La ville de Clichy-sous-Bois commémorera en effet cette année le vingtième anniversaire de la mort tragique de Zyed Benna et Bouna Traoré, deux adolescents morts électrocutés après avoir fui un contrôle de police le 27 octobre 2005. Le collège où ils étaient scolarisés n’est qu’à une centaine de mètres de la salle de spectacle, et une allée menant à l’établissement porte leurs noms.

Une mise en scène originale

Dès son arrivée dans la salle, le spectateur peut s’interroger sur la présence d’un rail circulaire comportant deux caméras sur pied roulant autour d’un salon cossu au centre de la scène. La pièce est en fait filmée et projetée sur un écran géant situé juste au-dessus. Cela permet d’apprécier au mieux le jeu des acteurs grâce à un système de gros plan. Avec le risque induit de garder le regard braqué sur l’écran au détriment de la scène elle-même. Mais le dispositif est attractif pour le jeune public qui a l’habitude de ce type de montage.

Un scénario haletant

Le personnage de Souleymane, interprété par Kery James, est un jeune avocat ayant grandi dans un quartier populaire du Val-de-Marne (il apparaît d’ailleurs dans les films Banlieusards 1 et 2 réalisé par lui-même et Leïla Sy). Lorsque son frère, délinquant multirécidiviste, est abattu d’une balle dans le dos par un policier, il s’attend à une condamnation sans réserve du fonctionnaire. Hélas, celui-ci est relaxé et le jeune avocat perd toute foi dans la justice de son pays.

Souleymane décide de se procurer une arme et de séquestrer le juge en charge du dossier de son frère. Commence alors le procès du juge au sein duquel le public prend la place des jurés. Cette manière de procéder peut permettre à des élèves de réaliser la difficulté de juger devant des débats contradictoires. Très vite, le juge – joué avec brio par Jérôme Kircher – reprend ses esprits et offre une opposition hardie au jeune avocat. Le dialogue, alternant tension et bienveillance, va alors aborder de nombreux thèmes : les violences policières, la démocratie, le racisme, le mépris de classe, la résilience, la justice, mais aussi l’amour, ce qui prend subtilement le spectateur à contre-pied.

Des dialogues de forte intensité

La qualité des dialogues entre les deux protagonistes apporte beaucoup à la pièce. Dans la continuité de À vif, où l’éloquence constituait le cœur de la pièce, Kery James s’est appliqué à offrir des textes bien ciselés. Certains pourraient s’apparenter à du slam tellement les mots fusent.

Maître dans ce domaine, le rappeur est concurrencé par le juge dont la rhétorique est tout aussi maîtrisée dans un autre registre. Cet équilibre est appréciable car le propos ne sombre pas dans une vision binaire, et cette nuance dans les échanges fait gagner de la complexité et nourrit la réflexion.

L’intérêt pédagogique

Les nouveaux programmes d’éducation morale et civique pour l’année scolaire 2024-2025 rencontrent ce que la pièce offre au public : une réflexion sur le fonctionnement de l’État de droit.

Dans le vade-mecum pour accompagner l’engagement des élèves et leur participation aux projets d’éducation à la citoyenneté, aux médias et à l’information , on peut lire, entre autres choses, que « la culture démocratique, institutionnelle et juridique est une composante essentielle de l’éducation à la citoyenneté et de la culture civique. Cette culture se fonde notamment sur la connaissance et l’exercice des droits, la connaissance de la justice, de la Constitution, des institutions et du fonctionnement de l’État de droit. La démarche de projet permet d’incarner ces connaissances, notamment à travers les actions intégrant la visite d’institutions publiques ou la rencontre d’élus, de fonctionnaires, de professionnels du droit, qui constituent des temps marquants susceptibles de donner envie aux élèves de devenir des acteurs engagés dans la République. »

À Huis Clos est une pièce tout indiquée pour des élèves de lycée, mais elle peut concerner des élèves de quatrième qui étudient la justice comme thème central en EMC, et de troisième, niveau qui travaille sur le principe de démocratie, l’engagement citoyen et l’égalité. L’étude avec une classe d’une affaire analogue à celle évoquée dans la pièce, l’affaire Bentounsi, survenue à Noisy-le-Sec en 2012 pendant la campagne présidentielle, peut s’avérer intéressante, d’autant qu’elle s’est achevée en cour d’appel par la condamnation d’un des policiers ayant abattu Amine Bentoussi. Kery James est d’ailleurs un proche d’Amal Bentounsi, frère de la victime, qui a mené le combat judiciaire.

Délicat à traiter, le thème des violences policières intéresse fortement les élèves et peut s’avérer être une bonne entrée en matière pour comprendre le fonctionnement de la justice. « C’est une maire adjointe de la ville qui m’a invité à cette pièce et je tiens à exprimer mon ressenti, a confié Sonia,élève de troisième présente dans le public. C’est une pièce politique puissante qui déconstruit nos préjugés et met en lumière des réalités trop souvent passées sous silence. Ce face-à-face bouleversant m’a profondément émue, surtout cette fin tragique où l’injustice frappe encore. Voir ce personnage abattu alors qu’il ne cherchait qu’à éveiller les consciences sur les violences policières m’a marqué. Kery James bouscule, interroge et éveille. Merci à lui de porter ces voix et de nous pousser à réfléchir. Ces violences policières sont cachées. Sans cette pièce de théâtre je ne les aurai sûrement pas connues. Il faut davantage aborder ce sujet à l’école. »

J.-R. K.

Note

  1. Pièce adaptée du livre de Kery James, À Huit Clos, Actes Sud, 2023. ↩︎

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Jean-Riad Kechaou
Jean-Riad Kechaou