Lycée Toulouse-Lautrec :
tous dans le même bahut

La série Lycée Toulouse-Lautrec montre comment une jeune valide découvre le handicap dans un établissement où tout le monde est logé à la même enseigne. De quoi inverser les représentations et prôner l’inclusion sans angélisme ni complaisance ni regard médical, mais avec une vraie préoccupation sociale et pédagogique.
Par Inès Hamdi, professeure de lettres en collège (académie de Créteil)

L’école a le vent en poupe sur le petit écran. TF1 ne compte plus ses succès d’audience autour de productions ancrées en terrain scolaire. De Sam au Remplaçant, campé par le trublion Joey Starr, l’école semble garantir de belles parts de marché aux grandes chaînes hertziennes. Hélas, ces productions « scolaires » n’échappent pas toujours aux clichés et aux grosses ficelles : de la proximité problématique des encadrants avec les élèves aux mutations miraculeuses d’une enseignante rebelle, certaines libertés passant à l’écran pour vraisemblables ne manquent pas de faire bondir les professionnels de l’éducation.

La série Lycée Toulouse-Lautrec de Fanny Riedberger, Nicolas Cuche et Stéphanie Murat*, diffusée en six épisodes de 52 minutes sur TF1, n’échappe pas à la règle du succès[1]. Mais une singularité émane de son cahier des charges : jeter la caméra dans un environnement scolaire inclusif encore mal connu et appréhendé. Elle prend place ainsi à Toulouse-Lautrec, un EREA (établissement régional d’enseignement adapté) situé à Vaucresson, en Ile-de-France, et dans lequel les élèves en situation de handicap sont scolarisés avec des élèves valides. Cette série d’apprentissage formellement classique a le mérite de ses intentions : mettre en lumière ceux que la société invisibilise et l’intérêt de ne pas les scolariser à l’écart. Et ce, avec d’autant plus d’impact que c’est le personnage valide, Victoire, qui se sent « différente » et qui va apprendre des autres. La série a, en outre, été tournée avec de vrais élèves et non avec des comédiens.

Hors et dans les normes

Le premier des six épisodes ouvre sur un dispositif audiovisuel traditionnel : une imagerie au ralenti et une voix off, celle de l’adolescente-protagoniste valide, Victoire. Sa voix annonce le point de vue à venir : une jeune fille ordinairement autocentrée qui refuse d’être arrachée à son environnement initial. De son lycée d’origine, elle est basculée en EREA par une mère qui centralise la scolarité de ses enfants : son frère en proie à des crises épileptiques répétées ne peut plus être pris en charge en milieu scolaire dit « ordinaire ». 

Cette mise en place assez conventionnelle a recours à un symbolisme quelque peu convenu[2] et qui ne renforce pas la hardiesse de ses personnages. Exemple : un gros plan s’attarde lourdement sur un panneau de sortie pour le désir de fuite de Victoire devant ses nouveaux camarades…

Ces lourdeurs de forme (peut-être imputables au cahier des charges uniformisant de la télévision) mises de côté, la série a l’intelligence de s’écarter de l’angélisme et de la complaisance. Le choix de passer par le point de vue de Victoire permet de saisir la réalité d’une adolescence sans concession et marquée par la cruauté envers soi et les autres.

Dans Toulouse-Lautrec, les élèves au-delà de leurs handicaps sont des élèves comme les autres qui ne se gardent d’aucune trahison, bizutage et autres moqueries propres à la férocité de ces âges et de ces lieux. Le handicap est ainsi aussi présenté en dehors de ses dimensions purement médicales, comme un catalyseur moral et psychologique pour des adolescents en crise identitaire. 

Par exemple, comment gérer la charge mentale lorsque même une promenade devient un enjeu avec une ostéogenèse imparfaite comme Roxana ? L’assurance et la dérision constante de Marie-Antoinette ne l’empêchent pas de rappeler les difficultés de l’acceptation de soi accentuées par sa dystrophie musculaire : comment aimer et se faire aimer lorsqu’on est cloué sur un fauteuil ? Dans le second épisode de la série, ce dilemme cornélien est associé à celui de la pièce Cyrano de Bergerac dont l’adolescente reprend le stratagème de contournement après une séance de français. Christian devient Victoire et les lettres, des SMS. On aurait en effet presque oublié que les élèves sont la majorité du temps en … cours !

Une pédagogie à l’arrière-plan

Sur le plan pédagogique, la série ne discourt pas sur les spécificités de l’établissement, mais les adultes y sont plus nombreux qu’en milieu ordinaire et les enseignants se déplacent dans les salles dans lesquelles les effectifs ne dépassent pas la dizaine d’élèves. La colorimétrie générale tend ainsi vers les tons froids comme ceux du cadre : une bâtisse spacieuse et médicalisée. Le pôle médico-social est à l’honneur et l’importance du psy-EN[3] est rappelée à travers les quelques séquences d’entretiens menés avec des élèves en proie à la dépression et aux troubles anxieux.

La “gesta” enseignante ne semble pas la priorité fixée par la réalisatrice Fanny Riedberger[4] qui se base sur sa propre expérience de Toulouse-Lautrec : elle a été à la place Victoire, le personnage narrateur. L’arrière-plan est réservé à des professeurs qui semblent parfois faire cours seuls. Les canaux d’interaction entre élèves et enseignants paraissent étrangement rouillés. La part belle est dévolue au personnel de direction[5] qui tente de se sortir d’une sombre affaire d’inspection générale. Quelques curiosités peuvent alerter : une nouvelle enseignante d’éducation musicale en proie à des problématiques de gestion de classe croit bon de se tourner vers le proviseur pour des conseils pédagogiques … en pleine inspection !

Toutefois, ce manque d’attention portée aux enjeux d’une représentation vraisemblable de l’enseignement se justifie aisément par le parti pris dramatique : le spectateur assiste avant tout au déploiement de destins au sein d’une population scolaire au quotidien singulier. La charge émotionnelle tient au fait que la maladie est présente dans la classe et peut se manifester et désorienter un ou plusieurs élèves.

Depuis 2019, un comité national de suivi de l’école inclusive a été mis en place au sein de l’Éducation nationale. L’un des objectifs fut de dresser un bilan des différentes actions menées et à venir autour de la prise en charge d’élèves en situation de handicap de plus en plus nombreux (ou désormais visibilisés ?). 430 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés à ce jour mais leur prise en charge semble encore insuffisante au regard des différentes discussions menées entre le ministère et les syndicats. Le succès d’une série comme Toulouse-Lautrec rappelle le caractère exceptionnel d’un établissement qui ne devrait pas constituer un modèle unique en matière de bonnes pratiques pédagogiques et de relations humaines. Cette visibilisation pourrait à tout le moins permettre la création d’autres établissements similaires.

I. H.

* Lycée Toulouse-Lautrec, série française (TF1), six épisodes de 52 minutes, réalisée par Fanny Riedberger, Nicolas Cuche et Stéphanie Murat. Avec Chine Thybaud, Stéphane De Croodt, Valérie Karsenti, Ness Merad, Max Baissette de Malglaive, Adil Dehbi, Juliette Halloy, Nolann Duriez, Aminthe Audiard, Margaux Lenot, Hippolyte Zaremba. 

Bande annonce :

[1] La série a terminé sur 17% de part de marché et un objectif publicitaire largement atteint. Source : https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/audiences-tv-le-final-de-lycee-toulouse-lautrec-battu-par-le-demarrage-de-piste-noire-24-01-2023-WEND46B55FEWDGQD2KZU7GJKYI.php

[3] Ce terme désigne les psychologues de l’Éducation nationale.

[4] … dont on identifie bien la prédilection pour la “dramédie” sur des séries comme Clem ou Chérif sur lesquelles elle a œuvré.

[5] Le proviseur est campé par le sympathique Stéphane de Groodt et son adjointe par l’étincelante Valérie Karsenti.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Ines Hamdi
Ines Hamdi