"The Trip", de Michael Winterbottom

« The Trip », de Michael WinterbottomMichael Winterbottom est l’un des meilleurs réalisateurs britanniques actuels. À la fois documentariste du social et passionné par l’adaptation cinématographique des romans, il a adapté Jude l’obscur de Thomas Hardy (1996), donné un équivalent savoureux du Tristram Shandy de Sterne. Il a remporté l’Ours d’or à Berlin en 2003 pour un film sur l’immigration, In this world (2003) et l’Ours d’argent en 2005 pour La Route de Guantanamo (2006). C’est en militant et en spécialiste de l’adaptation qu’il a mis en scène Un cœur invaincu (2007), à partir du livre autobiographique de Marianne Pearl, épouse du journaliste tragiquement assassiné en 2002.
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Un film qui mêle documents et fiction
sur la vie de l’acteur Steven Coogan

L’impossible adaptation de Tristram Shandy en 2006 sous le titre A cock and bull strory doit beaucoup au sérieux imperturbable du comédien Steven Coogan, digne de Buster Keaton. Scénario à tiroirs, mise en scène anti-naturaliste qui met en évidence le kitsch des costumes d’époque, nonsense permanent y sapent à chaque instant la crédibilité de la reconstitution. Le même imbroglio de motifs que dans le roman, la multiplication des obstacles retardent le cours du tournage, comme celui de l’intrigue du roman.
Winterbottom a décidé de reprendre les interprètes de ce film, Steven Coogan et Rob Brydon pour The Trip, long-métrage inspiré d’une série de six épisodes diffusée sur la chaîne anglaise BBC II en 2010, série dans laquelle les deux acolytes jouaient déjà leurs propres rôles.
Ce film mêle donc documents et fiction sur la vie de Steven Coogan, acteur de cinéma et de télévision qui doit sa célébrité au personnage d’Alan Partridge dans une série télévisée. Mais ce titre est aussi un clin d’œil au fameux film expérimental de Roger Corman, qui, en 1967, montrait Peter Fonda dans le rôle d’un cinéaste en instance de divorce entreprenant un voyage psychédélique et érotique sous l’emprise du LSD pour échapper à ses soucis.
Car Coogan, sollicité par l’hebdomadaire dominical The Observer, doit faire une tournée de critique gastronomique dans le nord de l’Angleterre. Sa compagne vient de le quitter. Il demande donc à son copain et confrère Rob Brydon de l’accompagner pendant une semaine dans ce voyage prétexte, dans ce trip si bienvenu qui lui permet d’échapper à l’échec de sa vie solitaire.
Rob, lui, est épanoui en ménage et réussit dans son métier de comédien. Mais on les reconnaît tous deux dans les villages qu’ils traversent, on leur demande des autographes. Le film pousse très loin, on le voit, l’autodérision de l’acteur-vedette, content de lui-même et enfermé dans ses certitudes, mais en perte de vitesse, comme Coogan lui-même dans un système hollywoodien qui méconnaît la particularité de son humour so british.
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Un exercice de style

Sans aucun scénario, les deux hommes vont alors improviser brillamment et se mesurer l’un à l’autre avec une inépuisable virtuosité verbale, au cours des repas succulents et identiques qu’on leur sert d’auberge en auberge. Les imitations de Brydon, célèbres en Grande-Bretagne, donnent d’ailleurs beaucoup de sel à The Trip, où d’interminables conversations à bâtons rompus lui permettent d’imiter Woody Allen, Michael Caine, Sean Connery, Anthony Hopkins et à Coogan de rencontrer en rêve Ben Stiller.
Récitant les morceaux choisis de leurs auteurs favoris, Coleridge en particulier, à qui Coogan est comparé, ils passent six jours agréables et cocasses, en dehors du temps, rythmés par les magnifiques images bucoliques des landes et des lacs, les escales gourmandes dans les restaurants de luxe, les aventures de Steven avec les serveuses et les appels de la mère de son fils, de son agent ou du journal.
L’humour britannique trouve dans cet exercice de style son expression la plus pure. Et leur joute verbale devient de plus en plus âpre et vitale, révélant peu à peu son envers, la situation respective des deux hommes, que la scène finale, par son montage parallèle, met enfin en lumière.

Anne-Marie Baron

 

Anne-Marie Baron
Anne-Marie Baron