Tendance : vers une pédagogie véritable ou vers la généralisation du cahier de jeux estival ?
Pédagogie active, pédagogie du projet, pédagogie différenciée, pédagogie de la découverte, la recherche théorique n’a pas manqué ces dernières décennies de fournir de nouveaux modèles d’apprentissage aussi stimulants que novateurs.
Las ! Si ces méthodes produisent des résultats convaincants dans l’espace limité de leurs expérimentations, elles se dénaturent et se caricaturent fréquemment lorsqu’elles sont transposées dans l’enseignement secondaire.
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Simplification et déperdition
Ce phénomène de simplification et de déperdition est bien connu dans l’enseignement des lettres : on a tous le souvenir d’avancées critiques ou théoriques remarquables (Propp et les personnages de conte, Greimas et le schéma actantiel, Richard et l’analyse thématique, Genette et la narratologie, Barthes et l’analyse structurale) qui se sont traduites par des applications médiocres au collège comme au lycée.
Ainsi, loin de dédaigner la recherche en pédagogie, c’est bien contre sa seule réduction à quelques recettes et méthodes de travail caricaturales qu’il y a peut-être lieu de réagir.
Activités, jeux ou simples gadgets ?
Il semble en effet, au vu de ce qu’on peut observer dans les classes, que l’apport des différents courants pédagogiques se borne en définitive à multiplier les « activités » au cours d’une séance et à s’étourdir de formules comme « l’élève au cœur du processus d’apprentissage », « l’élève acteur de ses apprentissages » et autres expressions dont pas un qui ne les emploie ne saurait citer le ou les chercheurs qui en conçurent le modèle.
C’est dans la formation du futur enseignant qu’il faut renforcer les bases de ce savoir pédagogique dont le professeur sera appelé à manier les outils. Avec quelques conseils guidés par la seule expérience du terrain, on incite trop vite le nouvel enseignant à mettre les élèves en activité sans avoir pris le temps de réfléchir avec lui à l’origine, au contexte et aux finalités de ce mode opératoire.
Faute de cet arrière-plan théorique, combien d’activités ne tiennent lieu que de substituts de jeux, de gadgets ou d’occupations sympathiques ne faisant que retarder les apprentissages visés ! Intéresser l’élève, lui faire réaliser par lui-même telle ou telle recherche plaisante, ne peuvent être des buts en soi, et ne jouer de l’attraction qu’exerce l’ordinateur sur la jeunesse que pour capter son attention n’est pas un gage certain d’amélioration des connaissances finales.
Jouer de toutes les fonctionnalités d’un tableau numérique ne provoque pas mécaniquement un accroissement du niveau en grammaire.
Le principe du “cahier de jeux” estival
menace toujours le véritable exercice d’apprentissage
Tout apprentissage doit-il alors passer par une mise en activité ? Est-il nécessaire de jouer avec un cordon avant d’apprendre à nouer ses lacets ? L’enfant devra-t-il découvrir par lui-même ce que c’est qu’une boucle afin de lacer ses chaussures ? Le « tout activité » mal compris conduit à confondre ce qui relève des attentes des uns et des autres, du rôle de l’enseignant et du rôle de l’apprenant.
La motivation, qui est un enjeu central de toute entreprise pédagogique, ne peut trouver de résolution réelle dans une mise en activité de type ludique. Le cahier de jeux estival menace toujours l’exercice d’apprentissage, comme le simulacre menace l’original. Faire participer l’élève à l’acquisition des connaissances ne veut pas dire renoncer à imposer leçons et devoirs, à réclamer effort et patience.
La tendance à multiplier en classe les exposés, les recherches seul ou en groupe, les travaux et les exercices via le numérique, est une évolution à la fois inévitable et périlleuse, qui doit toujours rester sous contrôle. La visée pédagogique doit être forte, faute de virer à la complaisance éducative.
Un bagage théorique solide reste indispensable
dans la formation des enseignants
Parce que les nouvelles générations d’enseignants sont spontanément en phase avec ces principes de « pédagogies participatives », ces méthodes et ces moyens nouveaux, il faut agir à rebours de ce qui fut pratiqué avec la génération antérieure.
S’il fallait il y a vingt ans inciter les collègues à aller vers la pédagogie et les pratiques innovantes, il faut aujourd’hui « freiner » les jeunes collègues, inventifs et ingénieux dans ces rôles et missions nouvelles, et pour cela accompagner leur élan naturel d’un bagage théorique solide. La pédagogie ne peut être intuitive, les activités résurgentes, et les objectifs mal hiérarchisés.
Cette attente justifie une fois encore la raison d’être des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation : la formation pédagogique des futurs enseignants mérite mieux que quelques recettes d’activités glanées ici ou là. Elle doit embrasser tout le champ des sciences de l’éducation.
Jean Georges