Stage de troisième :
fardeau pour les uns, opportunité pour les autres

Pour les élèves de troisième, il en est question depuis la rentrée : le stage d’observation en milieu professionnel se déroule sur l’une des semaines de décembre. Foyer d’injustices et amplificateur d’inégalités, il peut être une chance si tout le monde joue le jeu.
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie-EMC (Chelles)

Pour les élèves de troisième, il en est question depuis la rentrée : le stage d’observation en milieu professionnel1 se déroule sur l’une des semaines de décembre. Foyer d’injustices et amplificateur d’inégalités, il peut être une chance si tout le monde joue le jeu.

Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie-EMC (Chelles)

En mémoire de Jean-Pierre Sérigny, ancien PDG de la société Cotherm

Assis sur un tabouret, je regarde les pharmaciennes faire des allers-retours incessants entre leurs comptoirs et des tiroirs où sont rangées des boîtes de médicaments. Les minutes semblent des heures, les heures des journées. Une matinée, j’ai pu classer les médicaments, et ce fut ma seule activité de la semaine. Voilà le souvenir que j’ai d’un stage d’observation du monde de l’entreprise. Je l’avais fait en classe de cinquième. Le personnel n’avait pas su m’impliquer dans le fonctionnement de leur commerce, mais il est parfois compliqué d’accorder du temps à un adolescent alors que les clients sont nombreux. Je n’étais pas non plus passionné par ce domaine, mais j’étais trop jeune pour me déplacer et j’avais opté pour la solution la plus simple : un commerce de mon quartier, à cent mètres de chez moi.

Deux ans plus tard, en classe de troisième, grâce à ma cousine, je faisais un stage dans une PME iséroise avec le P.-D.G. de la société. Le site de fabrication était à proximité du siège. Je découvrais toutes les strates de l’entreprise, du service commercial à l’usine. Je me souviens encore de cette première journée au siège social au côté du directeur, et je pouvais réaliser les responsabilités qui lui incombaient. C’était un homme passionné, et il tenait à ce que je découvre sa société et son fonctionnement. Ce fut une très belle expérience car j’observais avec curiosité toutes les étapes de vente d’un produit – en l’occurrence des thermostats –, sa conception, sa production, le marketing et la vente dans le monde entier. Elle me fit réaliser que les conditions de travail peuvent être très différentes au sein d’une même entreprise. Ce stage ne suscita pas en moi une vocation particulière mais m’ouvrit les yeux sur le monde du travail et me motiva à poursuivre des études. Mon rapport de stage fut facile à rédiger tant j’avais à raconter, et je fus gratifié d’une très bonne note. Je garde de cette expérience, 30 ans plus tard, un beau souvenir.

En ce mois de décembre, en particulier la semaine du lundi 18 au vendredi 22, juste avant les vacances, une bonne partie des 850 000 élèves de troisième est censée découvrir le monde de l’entreprise. C’est un véritable casse-tête pour certaines familles, mais aussi pour la communauté éducative car tous les élèves ne sont pas logés à la même enseigne. En fonction de la situation sociale de l’élève, son environnement proche, du réseau de ses parents, ce stage peut n’avoir aucun intérêt comme être un déclic. 

Les entreprises ne jouent pas forcément le jeu et refusent les candidats stagiaires à tour de bras. Certaines sont empêchées pour des raisons juridiques. Certaines se contentent de n’en prendre qu’un par an. D’autres demandent les traditionnels CV et lettre de motivation. Même si les enseignants accompagnent du mieux qu’ils peuvent les élèves, appuyés souvent par les missions locales (à Chelles, les employés de la Boussole, une structure municipale d’insertion professionnelle, proposent des formations pour la rédaction de CV et de lettre de motivation aux élèves de troisième), il est difficile de les aider tous.

Et, il faut aussi le reconnaître, demander un CV à un adolescent de 14 ans n’est pas d’une grande utilité. Une lettre de motivation dans laquelle le collégien expose ses qualités, ses compétences et les raisons qui l’ont poussé à choisir telle société suffit amplement. Il faudrait aussi former davantage les élèves aux codes sociaux nécessaires lorsqu’ils partent sur le terrain à la recherche d’un stage : posture, langage, style vestimentaire car, encore une fois, cette quête amplifie les inégalités sociales. Si nous leur rappelons l’essentiel au collège, nous ne pouvons les former à tout.

Gare aux conditions

À Chelles où j’enseigne, c’est plus de 700 élèves de troisième qui doivent trouver un stage, souvent aux mêmes dates. Chaque année, des élèves sans solution reviennent au collège. Certains vont alors faire leur stage dans les cuisines de leur établissement, d’autres accompagnent l’ouvrier de maintenance dans ses tâches.

D’autres sont pris en charge in extremis par des anciens élèves qui nous dépannent littéralement. Avec le temps, nous développons tout un réseau de professionnels qui n’ont pas oublié leur collège et la difficulté de trouver un stage pour un adolescent de 14 ans. C’est le cas, par exemple, d’un frère et d’une sœur devenus pharmaciens qui, dès qu’on les sollicite, accueillent dans leurs officines des élèves qu’on leur envoie à la dernière minute. Ils leurs accordent du temps pour découvrir toutes les composantes de leurs métiers. Et cette solidarité est une vraie satisfaction.

Nombreux sont ceux qui ne sortent pas du quartier où ils résident en ciblant les boulangeries, pharmacies, fast-food ou supermarchés du secteur. Je ne dis pas que ces stages ne leur apprennent rien, mais, ils ne sont pas toujours encadrés correctement. C’est en lisant leurs rapports de stage qu’on se réalise qu’ils n’ont pas fait grand-chose.

Il y a aussi ceux, et je suis obligé de le dénoncer, qui se font exploiter. Certaines entreprises profitent de l’aubaine, et considèrent les élèves comme de la main-d’œuvre gratuite. Je me souviens d’un supermarché qui avait pris une dizaine d’élèves la même semaine et s’était ensuite plaint de leur comportement. Quand on a demandé des comptes aux élèves, tous nous ont décrit la même chose : ils avaient passé leur temps à décharger, ranger la marchandise et nettoyer l’entrepôt. Ce cas de figure est très éloigné des objectifs de ce stage de découverte qui doit permettre aux élèves de voir comment fonctionne une entreprise. Même s’il n’est pas grave de donner de petites responsabilités aux jeunes – qui sont souvent demandeurs d’ailleurs –, il ne s’agit pas de les traiter comme des employés non plus, qui plus est sans rémunération.

A contrario, certains reviennent de leur stage gonflés de motivation et/ou d’ambition. Soit car ils ont pu découvrir le métier qu’ils veulent faire (crèche, garage, cabinet d’avocat, journal, etc.), soit ils ont pu quitter leur ville de banlieue et découvrir Paris ou une autre commune. Prendre les transports, s’habiller correctement, sortir de leur zone de confort, c’est déjà toute une aventure pour eux.

« Viens voir mon taf »

Depuis plus une dizaine d’années, des associations cherchent à aider les élèves à trouver des stages intéressants à l’instar de la plateforme « Viens voir mon taf » qui œuvre pour l’égalité des chances en donnant la possibilité aux élèves issus des réseaux d’éducation prioritaire de faire un stage intéressant. C’est une très belle initiative et un exemple à suivre. Il faudrait une prise de conscience générale, du monde de l’entreprise d’une part, de l’Éducation nationale de l’autre afin que ce moment de l’année ne soit pas un fardeau mais une opportunité.

Une opportunité, c’est exactement ce qu’ont vécu dix de mes élèves il y a un an. Suite à une publication que j’avais faite sur un réseau social pour un élève qui n’avait toujours pas trouvé de stage, une amie m’a proposé un partenariat avec sa société : Hays, leader mondial du recrutement spécialisé dont le siège français est à proximité des Champs-Élysées. J’ai évidemment accepté, et dix élèves ont ainsi pu vivre une expérience enrichissante. Avec l’ensemble des professeurs principaux de troisième, nous avons sélectionné des collégiens sans réseaux mais motivés.

La société a pris les choses au sérieux avec un maître de stage par élève et la découverte quotidienne de tous les secteurs de l’entreprise : ressources humaines, juridiques, marketing, commercial et informatique. Chaque élève a reçu un titre de transport et des tickets-restaurants pour la semaine. J’ai accompagné les élèves le lundi matin pour rassurer les parents mais aussi les guider dans les transports en commun. Leurs regards brillaient à la découverte des grands boulevards de l’ouest parisien et du bâtiment haussmannien, siège de la société. Un petit-déjeuner leur a été proposé avec une présentation de la semaine. Ils ont reçu ensuite un badge pour les différents accès et un ordinateur pour rédiger leur rapport tout au long de la semaine. Leur stage s’est parfaitement déroulé.

L’une, Claire a été métamorphosée par cette expérience. Elle m’a confié ensuite qu’elle voulait changer d’orientation pour devenir consultante. Le dernier jour de son stage, elle a même osé demander au directeur de Hays France un stage rémunéré lorsqu’elle aurait 16 ans.

Tous les autres sont sortis grandis de cette expérience avec une meilleure connaissance du monde de l’entreprise et de ses exigences. Le stage leur a ouvert le champ des possibles en les sortant de leur quartier et en leur permettant de côtoyer un environnement qui leur était inconnu. Depuis, l’un d’eux est décidé à devenir ingénieur informatique. Lors de la réunion bilan, le directeur que je remerciais chaleureusement pour cette initiative m’a, à son tour, remercié, en m’expliquant que ces jeunes avaient apporté un peu de fraîcheur à sa société (il avait notamment apprécié l’aplomb de Claire), ce qui l’encourageait à reconduire l’expérience.

Souvent décrié en ce qu’il dépend des réseaux et de l’entourage des familles, et les révèle parfois cruellement, ce stage de troisième peut s’avérer très utile. À condition que tout le monde joue le jeu pour enrayer les inégalités d’une part mais également éviter de donner une image dégradée du monde du travail.

J.-R. K.

Note

1. https://eduscol.education.fr/623/sequence-d-observation-en-milieu-professionnel-pour-les-eleves-de-3e

Ressources


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Jean-Riad Kechaou
Jean-Riad Kechaou