Retour sur le 13 novembre 2015 avec une classe de collège
Trois ans après, les plaies des attentats du 13 novembre restent vives. Cette effroyable vague de violence en plein Paris a d’évidence pour longtemps touché le cœur de la République française. Or, pour un professeur, à chaque date « anniversaire », comme celle aussi du 7 janvier 2015, jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, une interrogation resurgit. Faut-il revenir sur ces sujets douloureux avec les élèves ou les laisser appréhender seuls et/ou avec leurs parents la rétrospection des faits ?
Les compétences du programme de français invitent à développer la conscience personnelle des élèves « citoyens », notamment celles liées au domaine 1 du socle comme « Exprimer ses sentiments, ses sensations » ou encore « Formuler un avis personnel ». Passer par le biais d’une chanson constitue sans doute un angle d’attaque pédagogique pertinent si l’enseignant fait le choix d’évoquer ces événements tragiques. Celle d’Alain Souchon, « Et si en plus, y’a personne », créée en 2005, sera ici le support d’une évocation indirecte de cette soirée funeste.
Un message à expliciter
Le texte d’Alain Souchon, parolier hors-pair comme en témoignent entre autres des chansons telles que « Foule sentimentale » ou « C’est déjà ça », a la double vertu d’émouvoir et de faire réfléchir. Sa situation d’énonciation en forme d’adresse à « Abderhamane, Martin, David », prénoms représentatifs des trois religions monothéistes, suggère d’emblée une réflexion autour du sentiment voire du fait religieux. L’hypothèse radicale – du moins pour un croyant – énoncée dès le deuxième vers, « et si le ciel était vide », est susceptible de créer le trouble chez l’auditeur. L’auteur prend ensuite le parti d’interroger poétiquement l’instrumentalisation de la foi en Dieu en suggérant combien ses zélateurs les plus extrémistes l’utilisent à des fins manipulatrices :
« Tant de processions, tant de têtes inclinées
Tant de capuchons tant de peurs souhaitées. »
Comme ces derniers vers peuvent en témoigner, le texte de la chanson n’est pas forcément d’une compréhension immédiate, mais sa valeur poétique en est renforcée. Si la chanson fait mouche, c’est justement parce qu’elle joue sur des métaphores ou des métonymies comme « tant de têtes inclinées ». Le travail sur le sens des mots et des expressions voire sur la poétisation du langage permet ainsi de revenir progressivement au contexte de réception, une semaine pendant laquelle beaucoup d’images et de commentaires en rapport avec les attentats de Paris reviendront sur les écrans.
Le point de vue exprimé par le texte
Même si caractériser les chansons d’Alain Souchon comme « engagées » serait sans doute excessif, la visée sociétale de certains de ses textes n’en reste pas moins avérée. Aussi, dès la première écoute, « Et si en plus y’a personne » laisse transparaître l’inquiétude et la colère de son auteur-interprète. Proposée à une classe de collège, il sera important de situer en amont à quelle occasion particulière le chanteur a décidé de la réinterpréter sobrement accompagné de son guitariste, le 11 janvier 2015 lors d’une soirée hommage aux victimes de Charlie Hebdo.
Après l’écoute proprement dite, le questionnement pourra s’enclencher autour des mots et expressions potentiellement méconnus par les élèves, comme « prières empressées », « angélus » ou encore « musiques antalgiques ». Il sera important qu’ils comprennent le message délivré par la chanson, à savoir les finalités criminelles du fanatisme religieux.
Deux champs lexicaux seront mis en relation : d’un côté celui du « religieux » avec une formule comme « tant d’angélus » et de l’autre celui du crime, avec notamment l’expression « toutes les armes de poing ». Au cours de l’analyse, on sensibilisera les élèves à une colère exprimée graduellement à mesure que progresse la chanson : colère qui atteint sa pleine intensité quand est prononcé le verbe « zigouiller » en point d’orgue.
Les vertus d’une chanson à texte
L’écoute en classe de « Et si en plus y’a personne » peut, bien entendu, ne pas émouvoir la totalité des élèves. On expliquera à ceux qui n’y ont pas été sensibles qu’une chanson, fût-elle populaire, n’est jamais propre à faire l’unanimité car elle ne relève pas d’une démarche prosélyte. La mise en situation pédagogique de ce texte en classe induit cependant de nombreuses réactions de la part des élèves.
Au-delà d’une simple appréciation péremptoire, « j’aime / j’aime pas », beaucoup sont assez naturellement en situation d’établir des liens avec les situations tragiques qui envahissent douloureusement les écrans. Après une écoute puis une relecture du texte – distribué dans un second temps – les élèves rentrent ainsi naturellement dans le jeu du « ça me fait penser à… ».
La réflexion collective amorcée à partir du texte d’Alain Souchon est susceptible de justifier auprès des élèves le double enjeu d’une écoute attentive et d’une exploration détaillée d’un texte poétique. À une époque où la répétition de la barbarie risque de la rendre désespérément banale, « Et si en plus y’a personne » possède une vertu citoyenne fondamentale, celle de ressourcer la mémoire et de questionner le temps présent.
Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université
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• Vidéo : Alain Souchon interprète “Et si en plus y’a personne“.
Voir sur ce site :
• Évoquer le massacre des innocents avec une classe de collège et de lycée, par Antony Soron.
• Prévention de la radicalisation : que peut faire l’école ? par Fabrice Fresse.