Réforme de la formation : qu’en disent les formateurs ?

François Bayrou et Élisabeth Borne ont acté la réforme de la formation des enseignants suspendue par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024. Celle-ci déplace notamment le passage du concours de la fin du master à la licence pour « donner envie ».

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, INSPE Paris Sorbonne Université

François Bayrou et Élisabeth Borne ont acté la réforme de la formation des enseignants suspendue par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024. Celle-ci déplace notamment le passage du concours de la fin du master à la licence pour « donner envie ».

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne Université. 

La formation des enseignants : c’est plus qu’une obsession en France, quasi une bête noire. La dernière réforme en date, la cinquième depuis 1989, voulue par l’ancien ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a été suspendue par la dissolution de l’Assemblée nationale survenue le 9 juin 2024. En 2021, celui-ci avait élevé à niveau bac + 5 (Master 2) le niveau de recrutement. « L’idée s’est révélée catastrophique », cingle un édito du Monde (31 mars 2025). Et pour cause : « Depuis sa mise en œuvre, le nombre de candidats a baissé de 45 % dans le premier degré et de 21 % dans le second. » D’où l’idée force de la nouvelle réforme : baisser le niveau de recrutement à la fin de la licence, soit à Bac + 3. 

« À partir de la rentrée 2026, une licence pluridisciplinaire préparatoire au professorat des écoles sera proposée sur tout le territoire. Elle permettra aux étudiants engagés dans cette formation de suivre un parcours exigeant, professionnalisant et portant sur l’ensemble des disciplines dispensées aux élèves. », a annoncé Élisabeth Borne, nouvelle ministre de l’Éducation, dans l’édito du dossier de presse de dix-neuf pages publié le 28 mars 2025 sous le titre Mieux former pour mieux faire réussir nos élèvesLes concours de l’enseignement du premier et du second degré, ainsi que celui de conseiller principal d’éducation, seront dorénavant ouverts dès le niveau bac + 3. »

Dans les INSPE, des concertations s’organisent pour faire le point sur ce nouveau texte. D’aucuns relèvent avec humour « qu’après IUFM, ESPE et INSPE, la bonne nouvelle est qu’ils n’envisagent plus de changer notre nom ». Une formatrice observe que « quand l’éducation va mal on commence toujours par s’en prendre à la formation ». L’idée d’anticiper l’entrée dans la profession en fin de troisième année de licence ne suscite pas d’opposition frontale. « Sans aller jusqu’à cette nouvelle licence, on a déjà mis en place des modules de préprofessionnalisation  au 1er comme au 2nd degré. », fait remarquer un formateur.

La formation des enseignants actuelle ne faisait pas recette. Les étudiants reprochent notamment à l’année de M2 du master MEEF (enseignement) d’empiler les exigences : validation d’un M2 comprenant des stages et un mémoire, écrits et oraux de concours, formation au métier….

Autre constat : « Le professorat attire de moins en moins ». Ce que la ministre a confirmé : « En 2024, près de 3 000 postes sont restés vacants à l’issue des concours. »

Placer les concours (CAPES/CPE (2nd degré), CRPE (1er degré) plus tôt dans les études supérieures et rémunérer les lauréats à partir du M1 permettra-t-il de rouvrir le vivier ? « L’argument financier peut jouer », concède un formateur. La rémunération annoncée est en effet de 1400 euros nets mensuels en M1, et 1800 euros nets mensuel en M2.  

Niveau de recrutement

En abaissant l’année de passage du concours, « cela va également faire baisser le niveau requis », commente un formateur. « En master, les lauréats bénéficieront-ils d’une consolidation des connaissances fondamentales liées à la ou aux future(s) discipline(s) enseignée(s) ? », demande un de ses collègues. « Le nouveau curriculum qui vise à apprendre à enseigner pourra-t-il se passer de contenus disciplinaires en mathématiques, en histoire, en lettres ? », s’interroge un autre. 

« L’architecture de la formation sera différente pour les enseignants du premier et du second degré, a expliqué la ministre au MondeOutre les stages, les premiers auront environ 44 % de leur temps en master consacré à des contenus pluridisciplinaires, le reste sera réservé à des aspects plus didactiques. Pour le secondaire, 60 % du temps de formation sera dévolu à des contenus disciplinaires. L’objectif de cette réforme est de mieux former les professeurs à tous les aspects de leur métier. » D’aucuns rappellent que « l’idée de faire précéder la période de formation professionnelle par une sélection universitaire n’est pas neuve ». Elle correspond tout simplement à l’esprit des écoles normales, institution remplacée par les IUFM en 1989.

Autre interrogation assez communément partagée : la précocité du choix du métier de professeur des écoles dans le parcours universitaire. Articulé autour d’un passage du concours en fin de licence (L3), le nouveau curriculum de formation invite en effet les étudiants intéressés par le métier de professeur des écoles à acter cet intérêt dès leur inscription en licence. 

Deficit de concertation

Si nombre de formateurs expriment un sentiment de lassitude, cela tient au fait que, « ce que l’on réalise, que l’on améliore, au fil des années dans nos formations, est toujours remis en cause, comme si nous étions les seuls responsables des problèmes éducatifs », résume l’un d’eux. Le sentiment de ne pas être assez entendus tout comme l’impression d’un déficit de concertation, dont se plaignent les syndicats de l’enseignement supérieur, Snesup-FSU, CFDT Éducation, CGT Ferc sup, FO ESR, Sud Education, sont largement partagés.

Si l’esprit de la réforme n’est pas complètement blâmé, elle ne parvient pas à dissiper une certaine méfiance. « Il ne faut pas que la rémunération au cours des deux années de Master soit revue à la baisse, en cours de discussion, comme dans la dernière mouture », redoute un formateur. « Si l’agrégation apparaît intouchable, son positionnement en M2 +1 la décale fortement du CAPES passé en L3, soit trois ans auparavant ; ce qui n’est pas très logique, note un formateur : ces deux concours étant censés préparer au même métier. »

« La mère des batailles »

« Faire des économies sur la formation des enseignants, c’est une très mauvaise idée », a déclaré dans Le Monde la ministre qui a fait de la formation « la mère des batailles », et chiffré ce dernier texte à 500 millions d’euros par an.

« Nous sommes l’un des seuls pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] à ne pas avoir de parcours complet de formation pour nos enseignants, et quatre professeurs sur cinq disent qu’ils n’ont pas été suffisamment préparés au métier. », a-t-elle ajouté en insistant : « Nous devons redonner l’envie d’enseigner. »

Au moins, l’exécutif a-t-il pris soin cette fois de ne pas précipiter les calendriers.

  • Septembre 2025-juin 2027 : période transitoire avec coexistence de l’ancien et du nouveau concours
  • Septembre 2026 : début de la licence pluridisciplinaire
  • Septembre 2027 : disparition des anciens Master MEEF

Les acteurs de la formation ne se montrent pas vent debout contre cette énième réforme, mais il l’accueillent avec des réserves, et peinent à croire qu’elle sera définitive. « Quid de l’aval, quid de la formation continue ? », lance l’un, évoquant un chantier plus vaste encore.

A. S.

Ressources

https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/reforme-formation-initiale-professeurs

https://education.newstank.f/article/view/32644cl martyin9/reforme-formation-initiale-enseignants-recherche-fondamentaux-martin.html


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