Formation des enseignants : vers une revalorisation symbolique ?
Le rapport sur la réforme de la formation des enseignants vient d’être remis par le comité de suivi dirigé par le recteur de l’académie de Versailles, Daniel Filâtre.
S’inscrivant dans une réflexion plus large sur le métier d’enseignant et sur la vie professionnelle en général, il se présente comme un ensemble de recommandations divisé en trois parties : – les principes préalables aux orientations ; – une nouvelle approche sur le continuum de formation ; – des propositions pour élaborer ce modèle de formation tout au long de la vie.
Parce que le document est riche et ambitieux, porteur d’une véritable feuille de route pour une révision prochaine de la formation, il est peut-être bon de le commenter pas à pas.
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I. Considérer la formation à partir de l’exercice du métier
et du développement professionnel
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Tout séduisant et novateur qu’il soit, et bien que prolongeant une réforme commencée avec les ÉSPÉ, ce rapport sur la formation a ceci de gênant qu’il semble davantage s’enraciner dans un désir de changement venu d’en haut que dans une demande expresse exprimée par la base. Pas d’état des lieux du système actuel, pas d’évaluation de l’existant, pas de sollicitation des enseignants : si urgence il y a, c’est d’abord du côté de l’institution.
Certes le projet est ambitieux, il s’agit de valoriser la formation et par là même le métier d’enseignant, mais il est à craindre que l’enseignant lui-même songe à autre chose qu’à une formation renforcée et alourdie pour retrouver sa valeur, son crédit et la marque de sa considération dans la société.
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• La formation des enseignants doit être considérée
sur toute la durée d’exercice du métier
L’idée de départ est assez légitime : la formation des enseignants s’étend bien au-delà de la formation initiale ; elle doit être reconsidérée dans toute la durée de l’exercice du métier, dans le sens même de la notion de développement professionnel. Les premières propositions laissent toutefois songeurs : on envisagerait une sorte de contrat, de charte à faire signer à tout nouvel enseignant pour s’assurer qu’il connaît et accepte les exigences de son métier, le référentiel des compétences, les valeurs du système.
Pourquoi pas, mais le concours lui-même ne pouvait-il, par un entretien spécifique, vérifier le profil du candidat et sa connaissance de ce que l’État attend de lui ? La brève tentative imaginée il y a quelques années était-elle toute à rejeter ?
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• Rendre la formation obligatoire ?
De la même manière, la proposition de rendre la formation obligatoire relève à la fois d’une haute idée du métier et d’un contrôle plus contestable de l’enseignant : la formation est un droit, mais la formation obligatoire est peut-être une manière d’intervenir dans ce que l’enseignant identifie comme ses besoins, de diriger son travail considéré comme évolutif et en constant apprentissage. Le rapport, pour se justifier, insiste en effet sur les transformations au cours de la vie ; il recense les évolutions à intégrer, technologiques, méthodologiques, pédagogiques, mais il surévalue peut-être ces changements en suggérant que le bon enseignant est toujours en mouvement, à la pointe des innovations, du travail collaboratif et de l’ingénierie pédagogique.
L’expérience nous montre que beaucoup d’enseignants forcent le respect par une expérience ancienne et éprouvée, par des savoir-faire efficaces et imperméables aux modes. Les transformations du monde de l’éducation sont elles si nombreuses et si rapides ?
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• Des besoins plus pédagogiques
que scientifiques et disciplinaires
Le rapport retient encore en préalable l’idée que les besoins sont plus pédagogiques que scientifiques et disciplinaires. L’enquête TALIS 2013 le confirme, car tel est bien le sentiment d’une majorité d’enseignants. Mais, là encore, pourquoi s’arrêter à un sentiment ? La connaissance approfondie d’une discipline n’est-elle pas une source d’assurance et de légitimité ? La mise à disposition sur Internet et en librairie de préparations prêtes à l’emploi suffit-elle à donner le savoir au professeur ?
Il y a quelques décennies, l’agrégé était exempté d’année de stage pratique. C’était peut-être contestable mais c’était porteur de l’idée juste qu’une bonne maîtrise d’un domaine est un préalable à son bon enseignement.
La première partie s’achève alors sur une invitation à considérer les enseignants comme des professionnels acteurs de terrain. C’est la reconnaissance de leurs compétences mais c’est aussi l’introduction de l’idée d’une formation entre pairs, au sein même des établissements, entre « communautés d’apprentissage » revendiquant l’importance des réseaux favorisant l’émergence de « laboratoires de proximité ». Il serait intéressant de savoir combien de temps pourraient prendre sur le service d’un professeur ces moments de partage d’expérience et de développement professionnel…
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II. Considérer la formation comme un continuum
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Le rapport se centre sur le continuum allant de la préparation au métier d’enseignant jusqu’à la consolidation de ses compétences en passant par l’apprentissage du métier avec le Master MEEF.
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• Il s’agit de considérer la formation autour de trois périodes :
– une phase de pré-professionnalisation en licence ;
– une phase de formation initiale en master et en accompagnement initial dans le métier ;
– et enfin une phase de formation et développement professionnel continu.
Cette formation étendue semble d’autant plus nécessaire que le profil des candidats évolue, venant d’horizons de plus en plus diversifiés. Le rapport parle de richesse. Soit, mais un étudiant au cursus linéaire est peut-être, quoi qu’on en dise, plus sûr qu’un candidat venant d’un milieu tout étranger à l’université, fort de sa propre expérience professionnelle. L’accent est mis sur la nécessité d’alternance stage–étude, en reconnaissant le rôle formateur de cet entrecroisement et en faisant de cet alliage la condition d’une formation réussie.
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• Penser la formation comme continuum
La nouveauté tient à l’accompagnement dans les premières années d’exercice, le titulaire débutant étant considéré comme en formation poursuivie. Le rapport insiste à juste titre sur les efforts qui doivent être faits pour que la première année d’exercice soit satisfaisante face à la somme de travail à réaliser (préparations) et à la brutalité des conditions d’enseignements (classes, établissements).
Chacun songe à limiter les abandons et découragements qui, même peu nombreux, sont toujours à regretter. Le rapport propose d’imaginer un programme de soutien à la fois personnalisé et organisationnel, première phase de développement professionnel et démarche de prolongement universitaire.
Penser la formation comme continuum amènerait alors les ÉSPÉ à revoir leur organisation et leurs modes d’apprentissage avec le souci de mieux répartir dans le temps l’acquisition des compétences et de renforcer leurs liens avec les établissements et les universités.
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III. Construire le modèle de FTLV des enseignants
et personnels d’éducation
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Le comité propose d’envisager la formation continuée sur le modèle de la formation universitaire et de l’architecture du LMD.
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• Une approche diplômante
Concrètement, il s’agit de conduire une approche par compétences, une progressivité dans l’acquisition qui passerait par des formations modulaires et finalement une capitalisation qui pourrait permettre, à terme, une reconnaissance universitaire : autrement dit une formation qualifiante et diplômante, qui, comme à l’université, pourrait déboucher sur des travaux de recherche ou encore sur des échanges internationaux dans le cadre de la mobilité européenne.
L’idée est belle, ambitieuse, gratifiante, mais est-ce bien cela que recherche l’enseignant soucieux de formation ? Un diplôme ? Une qualité de chercheur ? Si la formation doit trouver une reconnaissance n’est-ce pas du côté de la progression indiciaire, d’un profit plus réel que symbolique ? Si l’enseignant est tenté par la recherche n’a-t-il pas déjà la possibilité de s’inscrire en thèse ? L’envie de suivre une formation naît de besoins : à quarante ans le diplôme est-il un besoin ? Lorsque les programmes imposent des œuvres à étudier, dictent un renouvellement des œuvres, ils créent un besoin : la demande des professeurs est alors toujours forte, il y va de leur intérêt et de ce qu’ils considèrent comme leur compétence.
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• De nouveaux dispositifs de formation
supposant une plus grande implication
Mais le comité entend bousculer les habitudes du Plan académique de formation (PAF) : la formation s’inscrit dans les principes du développement professionnel défini comme processus graduel de transformations des compétences et des composantes identitaires. Pour cela les formations collaboratives sont encouragées et plus encore, au sein de ces unités, la dimension réflexive de l’activité professionnelle est privilégiée. Telle est bien l’ambition affichée : concevoir de nouveaux dispositifs de formation appelant les participants à faire preuve d’une nouvelle attitude, une plus grande implication.
L’ambition ultime est de réinventer le lien entre la recherche et les pratiques éducatives. Il s’agit de faire confiance aux enseignants pour construire eux mêmes l’expertise pédagogique dont nous avons besoin pour améliorer le travail de nos élèves. C’est la démarche bottom up, de la base vers le sommet, de l’expérience de terrain vers le bureau où luisent les mémoires.
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• Rapprocher communauté scientifique
et communauté enseignante
Pour le comité il est possible et souhaitable de rapprocher communauté scientifique et communauté enseignante. L’intérêt est assurément très grand, mais là encore faut-il imposer la démarche à tous. L’Éducation nationale a-t-elle vocation à être un vivier de docteurs en sciences de l’éducation ? Ne peut-on plutôt ménager pour ceux qui le souhaitent, et seulement pour eux, cette passerelle entre action de terrain et réflexion scientifique ? le comité n’ignore pas les difficultés de cette mise en œuvre et ne prétend pas renverser le PAF sans l’accord et l’approbation des enseignants.
Renforcer le sentiment d’expertise pédagogique et pour cela multiplier les occasions de dialogues, d’échanges, où les propositions et les solutions viennent d’en bas, de la mixité des publics, de la diversité des expériences : les enseignants sont-ils prêts à ce changement ? Le comité en fait le pari, se voulant, de son aveu même, optimiste.
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• Comment intégrer cette formation au temps de travail ?
Il est fort possible que ces formules de formation collaborative séduisent et soient productives, encore faut-il que les conditions matérielles de leur mise en œuvre soient acceptables pour les enseignants, que tout ne soit pas vécu comme des rendez-vous contraints, du temps perdu.
C’est une nouvelle voie ouverte, un horizon en vue, mais qu’en est-il des bas-côtés, des fossés ? Qu’en est-il de l’intégration de cette formation au temps de travail ? De son articulation avec les inspections ? De sa faisabilité même, compte tenu de l’éparpillement des établissements, de la distance des rectorats ? Qu’en est-il enfin de l’état d’esprit des collègues qui ne sont plus… des étudiants !
Pascal Caglar
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• Télécharger le rapport sur la formation continue coordonné par Daniel Filâtre : Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie (novembre 2016, 32 pages ).
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