
Recevoir un auteur en classe
Bon nombre d’élèves sont convaincus que la majorité des auteurs étudiés en classe sont morts. Rencontrer un écrivain vivant avec eux relève d’un moment exceptionnel. Quelle préparation ? Quels enjeux pédagogiques ? Débat au Festival du livre de Paris, le 11 avril.
Par Cécile Cathelin, professeure de lettres en lycée et Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspe Paris Sorbonne-Université.
Bon nombre d’élèves sont convaincus que la majorité des auteurs étudiés en classe sont morts. Rencontrer un écrivain vivant avec eux relève d’un moment exceptionnel. Quelle préparation ? Quels enjeux pédagogiques ? Débat au Festival du livre de Paris, le 11 avril.
Par Cécile Cathelin, professeure de lettres en lycée et Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspe Paris Sorbonne-Université.
Festival du livre de Paris, scène de la Reine le 11 avril à 10 heures, le thème du débat était le suivant : « Dialogues dans la littérature de jeunesse : pourquoi et comment accueillir un auteur en classe ? ». Trois invités étaient conviés à en discuter avec Jean Poderos, fondateur et directeur des Éditions courtes et longues : Nicolas Michel, journaliste et auteur ; Anaïs Beltramelli, chargée de vie littéraire au Salon du livre jeunesse de Troyes ; Antony Soron, enseignant à l’Inspé de Paris Sorbonne-Université (et co-auteur de cet article).
La question n’est pas mince. Combien de professeurs de français ont dû renoncer à faire venir des auteurs dans leurs classes : « Pas de budget suffisant » ; « Manque de temps à cause des programmes à traiter » ; « Projet trop chronophage depuis le montage du dossier… ». Pourtant, ce type de projet est très stimulant. « C’est comme si mes élèves découvraient que l’écriture c’est un métier », résume un enseignant. « Le plus incroyable, ce sont les élèves que je n’entends jamais. Ils ont littéralement mené l’échange », confie un autre. « En fait, ce sont des artistes accessibles », constate un élève. « On mesure combien ils aiment leur métier et ils aiment transmettre leur travail. », observe sa voisine. « C’est toujours intéressant que l’écrivain explique parfois que son œuvre, son sens lui échappe et que c’est le lecteur qui en construit des interprétations. »
Le propos qui suit porte exclusivement sur les rencontres ponctuelles sur une demi-journée (temps réel : 1h30/2h). Pour la question du budget, voir le site de la charte des auteurs(1). Plutôt se concentrer sur les enjeux pédagogiques la venue d’un écrivain en classe.
Une expérience marquante
Faire rencontrer un écrivain à des élèves n’est pas anodin. Il convient de préparer cet évènement tant sur le plan pratique que didactique. Ce qui implique, avant d’engager le processus d’invitation, de se poser la question suivante : quel est l’intérêt ?
Une rencontre inédite avec un artiste vivant
- Un témoignage authentique sur un métier en constante évolution.
- Des éléments pour alimenter la dissertation au bac d’arguments plausibles et crédibles, car : « C’est l’auteur qui l’a dit, pas le prof qui a fait une hypothèse de lecture ! ».
- Une expérience marquante qui aide les élèves à mieux retenir et ancrer les propos de l’artiste dans leur mémoire.
- Un levier de motivation : le désir de bien recevoir l’auteur et de poser des questions pertinentes les pousse à être plus rigoureux dans l’étude de l’œuvre.
- Après la rencontre, les élèves montrent qu’ils prennent conscience du travail de création, de la notion de brouillon, de réécriture, et d’intertextualité. Ils comprennent l’impact de la biographie de l’auteur et peuvent utiliser ces éléments dans des dissertations.
De fait, la rencontre suppose une préparation, ne serait-ce que pour savoir où ele va se passer (dans la classe, au CDI, en salle polyvalente si plusieurs classes sont concernées) et selon quelles modalités. D’où l’idée que cette préparation doit se faire avec les élèves en tenant compte de leurs suggestions. De fait, les rencontres les plus profitables sont celles qui ont été projetées avant et reprises après. Ce qui les apparente à de véritables projets pouvant impliquer un contact prolongé avec l’écrivain reçu par l’envoi de lettres ou la constitution de capsules audio-vidéo après la lecture d’autres de ses ouvrages. Hors situation spécifique, un professeur invite un écrivain dont au moins un des livres a été étudié en classe.
Un événement profitable à tous
Avoir face à soi un écrivain en chair et en os suggère aux élèves des questions à la fois biographiques (« Êtes-vous marié ? »…) et pratiques (« Vous gagnez combien par livre ? »). La préparation de la séance aura pour objectif d’élargir le champ du questionnement en allant à la fois du côté de la pratique d’écriture (la question du brouillon par exemple, ou du rôle de l’éditeur dans la relecture…) et de l’œuvre elle-même (comment avez-vous imaginé tel personnage ? Pensez-vous qu’une histoire doive toujours finir bien ?). Cette phase de préparation tend à orienter des questions posées non pas simplement à un individu ayant le statut d’écrivain mais à l’auteur d’un livre que l’on a lu.
La phase préparatoire peut très bien supposer une répartition en groupes dont chacun aurait la responsabilité d’un axe de questionnement (le métier d’écrivain, l’écriture d’un livre…). Cela étant, il ne faudra pas non plus minimiser l’importance du sujet-lecteur. Autrement dit, inviter les élèves à donner leurs impressions de lecture, voire à exprimer des critiques, par exemple à l’encontre d’une situation donnée ou d’un personnage spécifique de l’histoire. On peut même imaginer donner des rôles à certains élèves le jour de la rencontre : être en position de journaliste littéraire, de critique littéraire avec l’accord – bien sûr – de l’auteur pour entrer dans ce type de jeu de rôle !
La réciprocité de la rencontre
On peut opposer deux types de rencontres si l’on s’en tient aux témoignages des écrivains invités. Les meilleures sont conditionnées par le fait que les élèves ont lu assidûment au moins un livre de l’auteur et que la rencontre a été pensée en amont. Les pires sont celles où la venue de l’écrivain relève d’une forme d’exotisme par rapport aux apprentissages habituels et où l’invité prend tout en charge, y compris la régulation des échanges.
D’où la nécessité que le professeur invitant ait tenu informé l’invité de la manière dont la classe s’est emparée de l’événement à venir. Plus globalement, la mise en contact préalable des deux partenaires constitue le socle d’une rencontre réussie. Cela étant, l’écueil d’une organisation trop rigide serait que les échanges manquent d’authenticité et que les élèves ne fassent que lire des questions préparées à l’avance. Aussi est-il souhaitable de laisser l’écrivain rebondir sur une question, voire interroger lui-même les élèves sur tel ou tel aspect de son livre. En effet, l’écrivain, a fortiori de jeunesse comme Marie-Aude Murail par exemple, reste rarement indifférent, si l’on prend en référence la vidéo synthétique d’une rencontre avec des étudiants à la BNF en 2023(2).
« Me confronter aux enfants me permet de savoir si je suis légitime en tant qu’adulte qui leur parle, si je peux accueillir leurs angoisses, les accompagner et les soutenir. »
« Pourquoi les élèves devraient-ils rencontrer un écrivain » ?, interroge Héloïse Côté dans son article(3)
« La rencontre avec l’écrivain contribue à développer le sens critique des élèves et à élargir leur vision de la culture : plutôt que d’être pensée comme un objet fermé et qui date, la culture peut être vue comme un ensemble de symboles et d’œuvres en constante expansion, sous l’impulsion des créateurs contemporains. »

C. C et A. S.
Notes
- La Charte des auteurs et illustrateurs illustrateurs de jeunesse : Comment préparer une rencontre ?
- Rencontre avec Marie-Aude Murail et Constance Murail à la BNF Projet mené par les étudiant-es du master 1 MEEF de l’INSPE PARIS (16 juillet 2023)
- Héloïse Côté, « La culture à l’école : pourquoi les élèves devraient-ils rencontrer un écrivain ? », Lurelu, volume 32, numéro 3, hiver 2010, p. 4-106.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.