Pour lutter contre les préjugés, le musée de l'Histoire de l'immigration
La Cité nationale de l’Histoire de l’immigration (CNHI) – dénommée aussi musée de l’Histoire de l’immigration – avait ouvert ses portes en 2007 dans un contexte scientifique houleux, avec le refus de prendre en compte la dimension de l’histoire coloniale, mais aussi politique avec la création d’un “ministère de l’Identité nationale”.
Tout cela avait conduit à ce que le projet évoqué sous Lionel Jospin, lancé sous Jacques Chirac, ne trouve aucune personnalité politique pour l’inaugurer en 2007.
Depuis, cette institution est restée sans inauguration officielle, comme l’a rappelé Benjamin Stora lors du discours qu’il a prononcé pour sa nomination à la présidence du Conseil d’orientation du musée et pour l’inauguration de la nouvelle exposition permanente, le 15 septembre 2014.
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L’immigration : un problème ?
Cette absence d’inauguration officielle montre bien la gêne qui existe dans la société française à parler de l’immigration. Or, comme l’a souligné Benjamin Stora, cette histoire est au cœur de l’histoire de France, elle participe pleinement de son écriture, même si elle possède aussi ses caractéristiques propres, ce qui fait qu’elle reste encore aujourd’hui largement marginalisée.
De fait, le discours porté actuellement sur l’immigration est largement empreint de préjugés, de négativité. Pourtant, Benjamin Stora a tenu à rappeler que dans les années 1980, le discours sur l’immigration était valorisé, notamment à la suite de la « marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983 (voir à ce sujet le film de Nabil ben Yadir avec Olivier Gourmet et Jamel Debbouze notamment), avec des groupes comme Carte de séjour (dont le chanteur était Rachid Taha).
Cependant, les attentats du 11 septembre et l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002, ont contribué à jeter l’anathème sur l’immigration comme vectrice des maux de notre société. Pour Benjamin Stora, le temps est compté pour changer à nouveau les représentations sur l’immigration et les immigrés.
Comme premier symbole politique, il a laissé entendre que la CNHI serait – enfin – inaugurée officiellement. Tel a effectivement été le cas le 15 décembre dernier, le président de la République ayant déclaré lors de cette inauguration que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme serait déclarée grande cause nationale en 2015. Cette actualité paraît encore plus criante aujourd’hui, après les attaques terroristes des 7 et 8 janvier.
Vouer le musée au plus grand nombre
Benjamin Stora a ensuite évoqué le rôle qu’il entendait donner à la CNHI, à savoir tout d’abord insister sur la première lettre du sigle : le C comme Cité. Une Cité est en effet un lieu de débats, de discussion. La CNHI doit ainsi devenir un lieu où l’on prend l’habitude de venir pour des événements, pour rencontrer des personnalités.
Elle ne doit pas être un lieu de visite obligé ou confiné à quelques universitaires, mais un lieu où tout un chacun peut venir de lui-même, par envie, et naturellement. Pour Benjamin Stora, on devrait ainsi dire que l’on va au « Palais de la Porte dorée » aussi naturellement que l’on dit que l’on va dans tel ou tel musée, comme au « Louvre », à « Orsay » ou au « quai Branly ». Le terme « palais » n’étant pas le plus explicite (sa dénomination date de l’exposition coloniale de 1931 dont il était le fleuron), peut-être celui de « musée de la Porte dorée » prendra peu à peu le pas.
Ce musée doit bien sûr continuer à être visité par les écoles. Nous pouvons rappeler à ce titre l’exposition de Benjamin Stora et Linda Amiri en 2012 sur l’immigration algérienne en France ou, plus récemment, celle sur « Des histoires dessinées entre ici et ailleurs » consacrée aux migrations traitées par la bande dessinée de 1913 à 2013. La présidente du conseil d’administration du Palais de la Porte dorée, Mercedes Erra, a rappelé à ce titre la constante augmentation de la fréquentation de la CNHI : les chiffres atteignent actuellement 500 000 visiteurs par an.
Les voyages scolaires doivent de ce point de vue profiter de la gratuité des visites pour les moins de 26 ans, d’autant plus que les question migratoires sont abordées au collège et au lycée, et peuvent faire l’objet d’une lecture croisée littérature / histoire-géographie. De plus, l’exposition coloniale de 1931 étant abordée en classe de première en histoire, une visite autour de ce bâtiment est d’autant plus conseillée.
L’exposition temporaire actuelle, intitulée « Fashion mix. Mode d’ici. Créateurs d’ailleurs », concerne l’immigration et la mode et propose jusqu’au 31 mai 2015 de présenter les parcours des nombreux créateurs étrangers qui ont fait la mode parisienne.
Parmi les expositions qui ne sont pas encore annoncées, l’une concernera l’immigration italienne en France (ce qui peut être l’occasion d’étudier entre autres Jean Le Bleu, de Jean Giono, ou encore de relire Cavanna) et une autre sur la notion de frontière, ô combien importante en ces temps où des centaines de clandestins meurent en tentant de traverser la Méditerranée, comme l’a souligné Benjamin Stora.
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La nouvelle exposition permanente
Pour l’heure, la nouvelle exposition permanente, qui occupe les mêmes ailes du bâtiment, permet d’y retrouver certaines œuvres, comme par exemple cet empilement de lits auxquels sont accrochés des « sacs Barbès », pour symboliser la promiscuité du logement à laquelle de nombreux immigrés sont confrontés (Climbing down, de Barthélémy Toguo, 2004). De même, nous y voyons toujours ces tampons gigantesques et leurs inscriptions sur papier, caractérisant évidemment le calvaire administratif des immigrés (Carte de séjour, Mamadou, France et Clandestin, de Barthélémy Toguo).
Certaines caricatures de Plantu ou de Wolinsky continuent bien entendu à être exposées. Celles-ci prennent évidemment un jour nouveau depuis les assassinats perpétrés au journal Charlie Hebdo dont Wolinsky a été l’une des victimes. Certaines œuvres d’expositions précédentes ont rejoint la collection permanente.
Il en est ainsi de planches de Marjane Satrapi (auteure de la belle série Persépolis) ou de Farid Boudjellal, auteur notamment de Petit Polio, de Mémé d’Arménie ou de Jambon-beur. Enfin, de nouvelles pièces sont présentées, tel le bas-relief d’Honoré Daumier, Les Fugitifs ou Les Émigrants, provenant des collections du musée d’Orsay.
La galerie des dons s’est également enrichie et présente des objets et des archives de quarante personnes, connues et inconnues, à travers leurs parcours migratoires. Le premier objet à avoir été donné est ainsi la truelle de Luigi Cavanna, père de François Cavanna, l’un des fondateurs de Charlie Hebdo.
Une nouvelle exposition, un nouveau président. Nous ne pouvons qu’espérer que cela donne un nouveau souffle pour la CNHI. Après le fiasco du musée de la France et de l’Algérie abandonné par la mairie de Montpellier au printemps 2014, il est plus que jamais nécessaire qu’une institution comme la CNHI puisse porter des projets d’ouverture à l’Autre, d’ici et d’ailleurs, à l’heure où l’on peut craindre à nouveau des crispations communautaires après les attaques terroristes qui se sont déroulées les 7 et 8 janvier derniers.
Tramor Quemeneur
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• Le site du musée de l’Histoire de l’immigration.
• Ressources pédagogiques pour les enseignants autour des expositions temporaires.
• Pourquoi faut-il une Cité nationale de l’histoire de l’immigration ? Entretien avec Benjamin Stora sur France Culture le 15 décembre 2014.
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Sur ecole des lettres.fr/actualites :
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