Paroles de lycéens : des classes de seconde à la découverte du théâtre de Fassbinder
Gwenaël Morin, metteur en scène lyonnais, a récemment monté deux pièces de Rainer Werner Fassbinder, Anarchie en Bavière et Liberté à Brême, au Centre dramatique régional de Tours.
Cela a été l’occasion pour des élèves de seconde de découvrir un dramaturge allemand engagé et d’être confrontés à la problématique de la mise en scène.
Quelle lecture Gwenaël Morin et son Théâtre permanent allaient-ils proposer d’une œuvre fortement politisée et dérangeante ? Quelles réactions les choix du metteur en scène allaient-ils susciter ?.
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La représentation
Anarchie en Bavière décrit la vie quotidienne d’une famille qui essaie de préserver son modeste patrimoine alors que la révolution anarchiste s’installe. Les élèves réagissent, rient, frémissent ou restent interloqués : non protégés par l’obscurité qui accompagne habituellement le lever de rideau, ils sont dans la lumière des projecteurs et leurs états d’âme se lisent aisément sur leurs visages. À l’entracte les premiers commentaires s’éparpillent, plutôt laudatifs, et les questions fusent… Mais la soirée se prolonge avec Liberté à Brême : une femme en quête de liberté dans un monde d’oppression choisit le meurtre pour se libérer.
Au cours suivant, les langues se délient ; on finit par prendre la plume puis on débat. Inès se fait le porte-parole de ses camarades : « J’ai trouvé ces pièces différentes de celles que l’on peut voir habituellement », Valentine rebondit : « Ce spectacle donne une nouvelle vision du théâtre. La mise en scène rassemble des éléments qui peuvent nous choquer, nous interpeller, nous surprendre, nous faire réagir. »
La première pièce a plu : « C’était assez drôle », affirme Marine, « J’ai bien ri pendant la première partie, ajoute Jennifer, mais la seconde pièce m’a endormie. » Beaucoup trouvent, en effet, que Liberté à Brême était… répétitive. Puis, l’enthousiasme général ressurgit : la « narratrice » qui, dans les deux pièces, énonce les didascalies, a été très appréciée pour la clarté de sa diction, la finesse de ses intonations. Ses commentaires ont aussi facilité la compréhension du texte : Leo les a trouvés« pratiques », « à l’égal du chœur antique ».
Les remarques se succèdent avec enthousiasme et concernent aussi bien le jeu des acteurs que les choix de Gwenaël Morin.
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Retour sur « Anarchie en Bavière «
Robin avoue : « Au début, de la pièce j’ai été surpris » ; Alana poursuit : « On ne peut pas dire que j’ai tout compris ; j’ai été déstabilisée » et Alizée affirme : « Je n’ai pas toujours compris le spectacle: je ne savais pas s’il fallait rire ou non. » Léo enchaîne : « Les changements de rôles étaient difficiles à comprendre... » La classe réfléchit alors à cette « gêne » uniformément éprouvée… « Le fait qu’une comédienne intègre la salle, escalade le public nous a mis mal à l’aise », assure Laura. « On avait l’impression d’être regardés », lance Irène, et Elisa renchérit : « Être éclairée m’a déboussolée, j’aurais préféré être dans le noir. »
Pour Jennifer « les lumières sur le public étaient dérangeantes». Mais Lola fait avancer le débat : « La jeune femme escaladant le public m’a beaucoup amusée, même si cela était assez perturbant. C’est une pièce sans tabou. » Ce dernier mot fait réagir Zacharie : « J’ai eu l’impression que plus aucun tabou n’existait, comme la nudité, la sexualité ou la religion. » « Oui mais la femme nue n’avait aucun rapport avec le sujet », s’exclame François, et Sarah de lui rétorquer : « Je n’ai pas non plus compris le rapport entre la pièce et le fait qu’une actrice se déshabille intégralement. C’était sûrement pour choquer les spectateurs mais il n’y avait pas forcément un lien avec le sujet traité. »
Quel était le sujet des pièces ?
Pour Elaura « les thèmes abordés correspondent à l’actualité », ils concernent « notre société et donc nous-mêmes ». Selon Zénon, « la première pièce traitait du pouvoir et de la politique ». Élisa a jugé « la situation amusante car les gens se plaignent sans cesse de manquer de temps, de trop travailler et finalement lorsqu’on met en place l’anarchie, ils ne savent plus quoi faire pour s’occuper » et « ils veulent à tout prix retrouver l’ordre sinon ils sont perdus ». Guyliann explique : « Fassbinder fait passer une nouvelle vision du théâtre par des moyens qui bousculent les spectateurs. »
Pour Lola, en effet, « Antiteatre est une vraie provocation ».
[« “Antiteater” est le nom que R. W. Fassbinder a donné à la troupe avec laquelle il a monté et joué la plupart de ses propres textes. “Antiteatre” est le nom que je veux donner aujourd’hui au spectacle que je prépare à partir du répertoire de Fassbinder » (Gwenaël Morin).]
La classe s’interroge : Gwenaël Morin a peut-être voulu que le public se sente mal à l’aise et partage le désarroi des personnages en quête d’harmonie ! Et Amandine analyse : « Je croyais qu’on allait s’ennuyer à cause de l’absence de véritables décors et l’abandon des costumes mais, en fait, je trouve que cela a enrichi la pièce : les spectateurs, grâce à ce dénuement, se sont concentrés sur le texte. » Inès nuance : « Le décor était étudié, contrairement à ce qu’il paraissait, puisqu’aucune des chaises alignées n’était semblable aux autres. » Quelques élèves s’interrogent : le metteur en scène n’a-t-il pas pris quelques libertés par rapport aux choix de Fassbinder puisque ce dramaturge refusait, semble-t-il, tout artifice pouvant altérer l’autorité de la parole ?
« Les comédiens jouaient à fond », souligne Fiona, « on ressentait leur énergie ». Elaura les a vraiment admirés : « Pour faire du très bon théâtre, on n’a pas toujours besoin de décors et de costumes ; les acteurs, avec seulement leur corps et leur voix, nous transmettent les sentiments des personnages. » N’est-ce pas le moment de suggérer que Fassbinder souhaitait prolonger la vie du texte écrit par l’énergie vitale de l’acteur ?
Valentine conclut ainsi : « Cette pièce nous interroge sur les comportements humains qui font naître, en nous, un malaise; on est indécis sur les réponses qu’on pourrait apporter et notre réflexion se poursuit une fois le rideau baissé. »
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Retour sur « Liberté à Brême «
L’intrigue a paru plus aisément compréhensible : une épouse dominée, maltraitée, assassine ses maris, ses enfants et, rituellement, prie Jésus avant chacun de ses crimes…
« J’ai trouvé cette pièce plus facile d’accès », précise Antoine. Camille a « réfléchi aux conditions de vie des femmes à cette époque ». Pour Zacharie, la « morosité » dominait. Il faut avouer que nos élèves commençaient à ressentir la fatigue d’une journée forcément bien remplie ; cette seconde partie du spectacle, plus longue que la précédente, enchaînait des gestes répétitifs puisque la meurtrière ne cessait d’escalader les marches en courant, décrivant un cercle qui enserrait le public.
Son malaise, communicatif, augmentait le mal-être de chacun des spectateurs déjà lesté de ses propres angoisses. « On ressentait la souffrance de cette femme et c’était éprouvant », répond Laura à Émeline qui exprime son agacement devant les déplacements incessants de l’actrice principale, Geesche, la meurtrière : « Je ne comprends pas l’intérêt de monter et descendre les gradins une vingtaine de fois », et Alana s’apitoie, dans l’empathie : « J’avais mal au cœur pour cette femme. » Mais Éva, tout comme Amélie et Naska, affirment péremptoirement : « On partageait les souffrances de Geesche ! »
Adrien a davantage apprécié l’« humour décalé » de la prière christique avant chaque meurtre. Émeline et Anouk s’imposent alors dans le débat en soulignant le côté enrichissant de la soirée. Admiratifs de l’énergie déployée par les comédiens, tous se montrent respectueux de l’engagement de ces acteurs qui se « mettent à nu », selon Guillaume.
Laissons à Thomas le mot de la fin : « C’était la première fois que j’allais au théâtre mais j’ai aimé et j’ai remarqué que moins il y a de décors et plus on s’intéresse aux textes et aux personnages. ».
Analyses et commentaires des secondes du lycée Vaucanson de Tours,
recueillis par leur enseignante, Marie-Claude Hibert.
• Télécharger le dossier pédagogique sur le dyptique « Anarchie en Bavière » / » Liberté à Brême », de R. W. Fassbinder, élaboré par Catherine Bellet, pour le Centre dramatique régional de Tours.
• Gwenaël Morin vient d’être nommé à la direction du Théâtre du Point du jour à Lyon où il va poursuivre son aventure d’un théâtre permanent. France Culture l’a invité le 7 février 2013 pour évoquer l’aventure menée avec sa compagnie en 2009 aux Laboratoires d’Aubervilliers : le Théâtre permanent. Écouter l’émission.
• Le théâtre dans les Archives de l’École des lettres.