Mais où sont les profs ?
Il y a de quoi être amer.
Les postes aux concours sont toujours plus nombreux, la préparation s’est renforcée et structurée avec les ÉSPÉ, les épreuves ont été révisées et diversifiées, et pourtant le recrutement patine, les candidats manquent à l’appel, les rectorats sont en difficulté : de façon insensible mais régulière le métier d’enseignant glisse dangereusement vers le club maudits des métiers que les Français ne veulent plus exercer.
Il y a de quoi être songeur. On ne peut aimer la jeunesse sans aimer les enseignants, on ne peut se soucier des élèves sans se soucier des professeurs, on ne peut prendre acte des transformations des publics scolaires sans noter les transformations des profils d’enseignants.
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Des profils d’enseignants en mutation
sur les plans universitaires, sociaux et culturels
Or ces profils sont en mutation : parcours académique, origine sociale, horizon culturel, sur tous ces points les nouveaux enseignants se démarquent des générations antérieures. Sur le plan des études d’abord, les parcours universitaires rectilignes et continus, expression d’une volonté déterminée d’enseigner, ne sont plus majoritaires. Beaucoup de nouveaux enseignants viennent plus tardivement aux concours, après des parcours sinueux, accidentés, des expériences variées et précaires. Le mythe de la vocation n’est plus qu’un souvenir, le principe d’un “faute de mieux”, d’un choix de raison est désormais la cause principale des motivations à enseigner.
L’origine sociale de ces nouveaux professeurs évolue aussi : moins élevée qu’auparavant, dominée par une classe moyenne inférieure et par les classes populaires c’est tout une partie de la société qui voit dans les carrières de l’enseignement un échec professionnel. Parallèlement les candidats étrangers font leur apparition : issus de l’espace Schengen, Bulgares, Roumains, Arméniens n’hésitent pas à se présenter, fort sérieusement d’ailleurs, et fortement motivés.
Enfin, culturellement ces nouveaux professeurs ont un rapport différent au savoir : leur métier et la culture font deux. Leur culture est désormais celle de tous les Français, la culture ordinaire issue de la télé, des médias et des loisirs. La culture classique n’est que leur instrument de travail, un savoir à mobiliser plus qu’un savoir à vivre. Ils reflètent l’évolution de toute la société à l’égard de la culture traditionnelle jugée inutile ennuyeuse et périmée.
Des conditions de travail dissuasives
Cela dit, ces évolutions ne sont pas en soi des obstacles à l’exercice du métier d’enseignant : que les professeurs changent n’implique pas nécessairement qu’ils disparaissent… Si les risques de détournement et d’abandon du métier existent, c’est du côté des conditions de travail faites à l’enseignant qu’il faut demander des comptes.
N’allons pas cependant faire des rémunérations la première et principale cause de désaffection. Il y a beaucoup de métiers, dans la culture ou les médias précisément, qui attirent beaucoup de jeunes alors que les salaires ne sont guère enviables à ceux de l’enseignement.
Si l’envie était là, si l’image était là, si la respectabilité était là, les questions de rémunération seraient moins sensibles.
La disparité public/privé
Pour approcher des vraies causes, il faut peut-être comparer la situation de l’enseignement public et de l’enseignement privé. Le concours du CAFEP (enseignement privé) a fait le plein, tous les postes ont été pourvus alors que le CAPES (public) peinait à recruter. Pourquoi cette disparité ? Qu’est ce qui distingue ces deux enseignements ? Chacun en a de plus en plus conscience : il s’agit de l’affectation et des conditions de travail, véritables boulets de l’enseignement public.
Dans le privé le nouvel enseignant n’est pas à la merci de ces affectations dans des académies non désirées et pour des durées non maitrisées ; sa liberté est plus grande, son choix personnel plus accessible.
De la même manière il sait ou suppose que dans l’exercice de son métier il rencontrera moins de problèmes de discipline, qu’il pourra être plus professeur et moins éducateur, qu’il sera plus dans son rôle naturel, sa mission originelle.
Telles sont deux clés majeures d’un regain d’attractivité du métier d’enseignant : les affectations et mutations, les conditions de travail et la discipline. L’effort a été mis sur la formation (renforcée), sur le recrutement (en quantité et qualité) il faut poursuivre et imaginer d’une part des parcours professionnels plus souples et moins contraints et d’autre part une autorité rétablie, une vocation à enseigner avant toute chose.
Aussi ne suffira-t-il pas d’une aimable campagne de promotion (fût elle diffusée jusque dans l’Europe francophile) pour effacer ce que la mémoire profonde de toute une génération enregistre depuis des années : l’ingratitude d’un métier difficile.
Pascal Caglar
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