« Où prend mon esprit toutes ces gentillesses ? » – L’atelier de Jean-Michel Blanquer
Dans Amphitryon de Molière, Sosie chargé de faire un rapport à Alcmène des exploits de son maître s’étonne que les idées lui viennent en masse alors qu’il n’a été témoin de rien : où prend mon esprit toutes ces gentillesses ?
La merveille n’est pourtant pas grande, conter des exploits appartient à la mémoire collective : la parole des autres a depuis longtemps préparé celle de Sosie. C’est un peu ce qui se passe pour les projets de réforme du système éducatif annoncé par Jean-Michel Blanquer dans la presse début août, projets qui dans leur ensemble reprennent les principales propositions ou préconisations émises tout au long de l’année par des institutions comme l’OCDE, la Cour des Comptes, le Sénat ou encore le Comité d’action publique (CAP22)
Trois chantiers
Ainsi les trois chantiers engagés par le ministre (qui préfère – question de connotations sans doute – parler d’atelier) portent sur une triple transformation :
– de la politique de ressources humaines,
– de l’organisation territoriale,
– de la culture de l’évaluation,
sont tous la synthèse de réflexions développées dans le rapport Brisson et Laborde déposé le 28 juillet au Sénat sous l’intitulé : Métier d’enseignant, un cadre rénové pour renouer avec l’attractivité.
Le communiqué officiel « Atelier Action Publique 2022 », s’il est plutôt laconique sur la deuxième transformation, la clarification de l’organisation territoriale, se contentant d’indiquer son intention de faire coïncider le nombre actuel des académies avec le nombre de grandes régions (13), s’il est particulièrement succinct sur le troisième point, l’évaluation systématique des élèves à tous les niveaux et celle des établissements dans le cadre d’une instance nationale, en revanche il fait preuve sur le premier point, les ressources humaines, d’un programme détaillé qui ne se comprend qu’à la lumière du rapport du Sénat.
Le recrutement des enseignants
Ainsi le premier axe de réflexion porte sur le recrutement : pour améliorer l’accès au métier, il faut oser une politique de pré-recrutement dès la L1 en s’appuyant sur les assistants d’éducation, garantir des affectations protégés aux contractuels visant une titularisation, prendre en considération les vocations tardives, en tenant compte du fait que désormais un candidat sur quatre aux concours n’est pas un étudiant mais un salarié, et reconnaître qu’enseigner peut être une seconde carrière, enfin, avancer dans le cursus de formation l’accès au concours et professionnaliser davantage celui-ci en en modifiant le contenu et repensant les épreuves orales.
Cette révision du recrutement ne peut rester sans impact sur les ÉSPÉ et la formation continue. Le rapport propose de mieux encadrer ces Écoles en fixant notamment un cahier des charges précis des attentes en matière de formation, et surtout, de renforcer la « pratique » en faisant davantage appel à des enseignants de terrain dans la formation dispensée aux étudiants, visant à terme à transformer ces ÉSPÉS en structures sans formateurs propres, recourant aux seules ressources de l’Éducation nationale, enseignants-formateurs et enseignants-chercheurs.
Au-delà de la formation initiale, c’est la formation continue qu’il faut intégrer aux obligations de services, et développer les échanges d’expériences dans un souci d’amélioration pédagogique théorique et pratique.
Les procédures d’affectation et le déroulement de la carrière
C’est enfin le déroulement de la carrière qui retient l’attention : la procédure d’affectation est totalement à revoir. Il faut en finir avec ces affectations aveugles et massives, souvent décourageantes pour les néo-titulaires et pénalisantes pour les académies mal aimées, prendre en compte les parcours individuels, les besoins spécifiques à chaque région, les postes à profil nécessaires dans des établissements dotés de plus d’autonomie, mieux accompagner les jeunes titulaires dans leurs premiers pas.
Dans le même souci d’équité territoriale, il faut instaurer une aide au logement dans les zones difficiles, repenser la mobilité tout au long de la carrière, réguler les mutations, favoriser les désirs de changement et d’utilité, par des contrats de mission par exemple, redéployer les agrégés dans les seuls lycées (et non plus au collège), repenser les ORS des enseignants en progressant vers l’annualisation des services ou l’augmentation des heures supplémentaires exigibles, offrir des débouchés et des perspectives de reconversion pour une nouvelle carrière après l’enseignement.
Un diagnostic exact ne justifie pas n’importe quel traitement
Il est incontestable que le problème du peu d’attractivité du métier de professeur et ses répercussions sur la qualité de l’enseignement dans l’ensemble du territoire est pris à bras le corps par le gouvernement et son Comité d’action publique rebaptisé Atelier par le ministre de l’Éducation nationale. Mais reconnaître un problème ne doit pas être un prétexte pour faire passer comme solution des décisions arbitraires et préétablies.
Si le rapport du Sénat, riche en propositions de toutes sortes, plus ou moins séduisantes pour les enseignants, constitue la base des transformations envisagées pour les années à venir, il reste un long travail d’examen de chacune d’elles à conduire, afin de toujours concilier intérêt individuel et intérêt collectif, souhaits et attentes des enseignants et besoins ou urgences du pays.
C’est seulement après cet examen que l’on saura si oui ou non on peut parler comme Sosie de « gentillesses » faites au monde enseignant.
Pascal Caglar
• Sources :
– Rapport d’information n° 690 (2017-2018) de Max Brisson et Françoise Laborde, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 25 juillet 2018 : Métier d’enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l’attractivité.
– Le communiqué officiel du ministère de l’Éducation nationale : « Atelier Action publique 2022 »