Numérique et éducation : promesses, espoirs et textes cadres
Même si le cœur de notre monde continue de battre, son écorce est fragilisée par les dérèglements climatiques. Notre planète doit faire face à des mouvements de population sans précédents et l’humanité est confrontée à un avenir incertain.
Nous ferons ici le point sur les moyens élaborés par les États et organisations supranationales pour gérer cette situation, et sur les textes cadres récents au niveau international et européen définissant le lien entre numérique et éducation.
Quelques données mondiales
– 1 personne sur 9 dans le monde souffre de la faim (Programme alimentaire mondial, 2015).
– 18 000 personnes meurent chaque jour des effets de la pollution (Birol, 2016).
– 2 millions de personnes sont infectées du VIH (ONUSIDA 2016).
– 758 millions d’adultes sont analphabètes (UNESCO, 2014).
– 1 % de la population mondiale détient 82 % de la richesse du monde (Byanyima, Oxfam, 2018).
– Le nombre de morts dus à l’extrémisme violent et au terrorisme a été pratiquement multiplié par 100 entre 2000 et 2015.
– Chaque jour 28 300 personnes sont déplacées sans leur consentement (UNHCR, 2017).
– Un milliard de personnes vivent avec une certaine forme de handicap (WHO, 2011).
Quelques données régionales sur le numérique
– D’ici 10 à 20 ans, 9 % des emplois devraient disparaitre dans 21 pays (Arntz, Gregory, & Zierahn, Mai 2016).
– D’ici 20 ans, 47 % des emplois américains seraient automatisables (Frey&Osborne, 2013).
Les États face aux défis mondiaux
À la lumière de ces constats alarmants, les États et organisations supranationales dessinent et imaginent un monde où chacun aurait sa place pour éradiquer la violence, maîtriser la famine, protéger la planète, prendre en compte la santé des personnes, garantir la sécurité et assurer les droits fondamentaux de toutes et de tous.
Face à ces défis mondiaux, la révolution numérique ouvre de nouveaux espoirs pour l’humanité. Elle laisse entrevoir la promesse pour les hommes et pour les femmes de devenir des citoyens numériques éclairés, et de développer de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs. Dotés de ces nouveaux savoirs et ces nouvelles compétences, ils pourraient ainsi pour mieux agir individuellement et collectivement.
Ainsi, pour garantir une évolution de tous vers ce monde meilleur, les États, les organisations régionales et institutions internationales définissent des objectifs mesurables par des indicateurs.
Ce faisant, ils induisent quatre postulats :
• Il est urgent d’agir et de concevoir ensemble des indicateurs robustes permettant de mesurer les progrès pour dépasser les déclarations d’intention ;
• Il est impératif de collecter, d’analyser puis de diffuser les données pour partager les bonnes pratiques et les bonnes stratégies ; et, dialectiquement, de condamner aussi les mauvaises ;
• Les États créent ensemble des indicateurs universels, qui sont devenus progressivement nouvelle langue commune entre les peuples et les disciplines du savoir, pour mesurer les progrès en représentant mais aussi en associant leurs citoyens. En les associant, ils deviennent parties prenantes et donc responsables des résultats obtenus nationalement, et prêts à la comparaison internationale à intervalle de temps régulier (Voir les évaluations PISA, PIRLS et le classement Shanghai pour l’enseignement supérieur).
Exemples d’indicateurs : les indicateurs mondiaux et thématiques conçus pour mesurer les cibles des Objectifs de développement durable, Nations unies, 2015.
Les indicateurs permettent de mesurer le progrès de réalisations de cibles. Plusieurs cibles composent chacun des 17 objectifs de développement durable.
Un objectif de développement durable déterminant : l’éducation
L’objectif de développement durable relatif à l’éducation comprend la cible 4.6 : « D’ici à 2030, faire en sorte que tous les jeunes et une proportion considérable d’adultes, hommes et femmes, sachent lire, écrire et compter. » Cette cible comprend trois indicateurs dont l’indicateur: 4.6.1 Proportion de la population d’un groupe d’âge donné atteignant au moins un seuil déterminé de compétences fonctionnelles a) en alphabétisation et b) en calcul (UNESCO, 2015).
Face à la multiplication des données et au scepticisme causé par l’imperfectibilité de l’homme et à la démystification progressive de la décision politique et économique, il serait préférable de croire en une intelligence supérieure et transcendantale, l’intelligence artificielle qui, pour pallier l’insuffisance des hommes, pourrait trouver des solutions aux problèmes causés par les hommes et qu’ils ne semblent pas eux-mêmes parvenir à résoudre (Harari, 2015).
Puisqu’il s’agit de penser l’amélioration du monde de demain, cela ne peut se faire sans la jeunesse et donc sans l’éducation. Il est donc assez naturel que les décideurs et chercheurs nationaux, régionaux et internationaux pensent l’articulation entre Éducation et Numérique.
Quatre textes cadres récents au niveau international et européen
définissent le lien entre numérique et éducation
• Déclaration D’Incheon (UNESCO, 2015). – Le numérique est perçu comme un moyen de « renforcer les systèmes éducatifs, la diffusion du savoir, l’accès à l’information, ainsi que l’efficacité et la qualité de l’apprentissage, et pour assurer une offre de services plus performante (V) »
• d’action Éducation 2030. – La logique est une logique d’adaptation des systèmes au numérique – où le numérique est mis sur le même plan que le marche du travail) : « Les systèmes éducatifs doivent être pertinents et répondre à des marchés du travail en rapide évolution, aux avancées technologiques. »
• Skills for a digital world (OCDE, 2016). – Le numérique est à la fois un moyen d’améliorer les systèmes éducatifs et de développer de nouvelles compétences (la compétence numérique bien sûr mais aussi d’autres compétences autrement). Dans le texte : « Quatre priorités : 1. Éducation de base à tous les élèves pour équiper les élèves de compétences numériques de bases. 2. Évaluation des besoins : collecte et analyse de donnees pour pilotage de politiques publiques. 3. Organisation du travail doit permettre à chacun de développer au maximum ses compétences. 4. Encourager la formation et autoformation. »
• Plan d’action numérique du 17 janvier 2018. – Ce plan de la commission et des États membres fait écho aux orientations des textes précédemment cités, avec deux variations. Le terme d’aptitude numérique remplace le terme de compétence numérique, le numérique est un moyen de faire apprendre. Dans le texte : « Trois priorités : 1. améliorer l’utilisation des technologies numériques pour l’enseignement et l’apprentissage ; 2. développer les aptitudes numériques nécessaires pour vivre et travailler à une époque marquée par l’évolution rapide du numérique ; 3. améliorer l’éducation par une meilleure analyse des données et une meilleure prospective. »
La numérique offre des possibilités de développement
sur cinq niveaux
• Au niveau des États dans la définition de leurs politiques éducatives. – En collectant des données sur les systèmes éducatifs, un diagnostic précis sera dressé. Ce diagnostic sert à la définir des axes stratégiques pour rendre les systèmes éducatifs plus performants et plus efficaces et créer ainsi une communauté humaine plus compétente et plus sachante.
• Au niveau de la formation et de l’emploi. – Puisque le monde devient numérique, les individus doivent s’adapter en se formant et s’auto-formant tout au long de la vie et en développant de nouvelles compétences pour choisir un parcours professionnel le plus en adéquation avec leurs aspirations. On parle de compétences numériques, de compétences globales et de processus de reskilling and upskilling (reconversion et perfectionnement).
• Au niveau de la recherche et de la mutualisation des savoirs. – Le numérique permet de mettre en commun et en relation, de façon inédite, les chercheurs du monde entier qui travaillent de façon cohérente et coordonnée pour penser ensemble les problèmes du monde de demain. Exemple, une étude franco-canadienne récente sur la maladie d’Alzheimer révèle que la maladie serait causée non pas par une disparation mais par un mauvais fonctionnement des synapses (Scientific Reports, 17 janvier 2018).
• Au niveau du patrimoine de l’humanité. – Possibilité pour tous de consigner et de d’avoir accès au patrimoine immatériel de l’humanité. Selon la Charte sur la conservation du patrimoine numérique d’octobre 2003, L’UNESCO a élaboré une stratégie fondée sur les constatations précédentes pour encourager la préservation numérique. Cette stratégie a pour axes principaux : a) une vaste opération de consultation avec les gouvernements, les acteurs politiques, les producteurs de l’information, les institutions et les experts du patrimoine, l’industrie des logiciels ainsi que les organisations qui fixent les normes ; b) la diffusion de directives techniques ; c) la mise en place de projets pilotes ; d) et la préparation d’un projet de charte sur la préservation du patrimoine numérique
Au niveau des droits. – Possibilité d’avoir accès à l’information et de s’exprimer librement, de rendre les citoyens du monde actifs et responsables. Le numérique est un espace démocratique, ouvert à tous, sans discrimination, permettant a chacun d’avoir accès à l’information et un espace pour s’exprimer librement et ainsi de fonctionner autrement que les États, les régions ou les organisations internationales (John Perry Barlow, 1996).
Fabrice Fresse,
Visiting International Faculty, USA
evalUE – Évaluateurs et experts de l’Union européenne
• Voir sur ce site : Numérique et éducation : illusions, régressions, précautions, inégalités, enfermement algorithmique et extrémisme violent, par Fabrice Fresse.
Bibliographie
Arntz, M., Gregory, T., Zierahn, U. (14 mai 2016), The Risk of Automatization of Jobs in OECD Countries : A Comparative Analysis. OECD Social, Employment and Migration Working Papers, no 189. OECD, Paris.
Birol, F. (2016), Energy and Air Pollution : World Energy Outlook, Special Report, International Energy Agency, Paris.
Byanyima, W. (2018), Récompenser le travail, pas la richesse, OXFAM : World Economic Forum.
Commission européenne (17 janvier 2018), De nouvelles mesures pour stimuler les compétences clés et les aptitudes numériques, ainsi que la dimension européenne de l’enseignement, Bruxelles.
Frey, C. & Osborne, M. (17 sept. 2013), Oxford, 2013, The future of Employment : How susceptible are Jobs to Computerization ? Oxford University Press, Oxford.
Harari, Y. (2017), Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir, Albin Michel, Paris.
Nations unies. (2015), Liste finale des indicateurs proposés pour les Objectifs de développement durable, Nations unies, New-York.
Perry Barlow, J. (1996), A Declaration of Independence of Cyberspace, Electronic Frontier Foundation, Davos.
Poirel, O., Mella, S., Videau, C., Ramet, L., Davoli, M., Herzog, E., Katsel, P., Mechawar, N. Haroutunian, V., Epelbaum, J., Daumas, S., El Mestikawy, S. (17 janvier 2018), Moderate decline in select synaptic markers in the prefrontal cortex (BA9) of patients with Alzheimer’s disease at various cognitive stages, Scientific Reports, volume 8, article 938.
Programme Alimentaire Mondial (2015), L’état d’insécurité alimentaire mondial, PAM : Rome.
OCDE (juin 2016), Skills for a Digital World, OCDE, Paris.
ONUSIDA. (2016), Fiche d’information. Dernières statistiques sur l’état de l’épidémie du sida. ONUSIDA, Genève.
WHO (2011), World report on disability, WHO, Paris.
UNESCO (2003), Charte sur la conservation du patrimoine numérique, UNESCO, Paris.
UNESCO (2015), Déclaration d’Incheon et Cadre d’action éducation 2030, UNESCO, Paris.
UNESCO (2016), 50e anniversaire de la journée internationale de l’alphabétisation : les taux d’alphabétisme ont progressé, mais des millions restent analphabètes, UNESCO, Paris.
UNESCO (2017), Comprendre l’objectif de développement durable 4 : Éducation 2030, UNESCO, Paris.
UNHCR (19 juin2017), Figures at a Glance, United Nations High Commission for Refugees, Genève.