
Notre planète. Chronique n°17 :
l’école face à l’anxiété des élèves
Si les programmes scolaires ont intégré des enseignements relatifs à la crise climatique, à la biodiversité et au développement durable, ils se heurtent à la réalité médiatique, politique et internationale. Or, les contradictions entre besoins et discours alimentent l’anxiété des jeunes.
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire-géo EMC (académie de Toulouse)
Si les programmes scolaires ont intégré des enseignements relatifs à la crise climatique, à la biodiversité et au développement durable, ils se heurtent à la réalité médiatique, politique et internationale. Or, les contradictions entre besoins et discours alimentent l’anxiété des jeunes.
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire-géo EMC (académie de Toulouse)
Un jeune sur quatre fait l’objet d’une suspicion d’un trouble anxieux généralisé. Le dernier baromètre Ipsos, publié le 14 mars, établit que 45 % des adolescents en France seraient potentiellement concernés par des troubles de l’anxiété. Ce niveau, qui a baissé de 4 points par rapport à 2023, mais a augmenté de 2 par rapport à 2021, reste fortement préoccupant.
« Le phénomène touche à un niveau équivalent les garçons (25 %) et les filles (24 %) et diminue très légèrement à l’arrivée au lycée », poursuit le sondage qui souligne que « les années collèges sont particulièrement difficiles : 26 % des 11-14 ans et 22 % des adolescents âgés de 15 ans font l’objet d’un trouble anxieux généralisé. »
Une grande majorité se déclare sous pression « avec un risque accru de détresse psychologique chez ceux qui la perçoivent fortement », annonce Mentalo, une plateforme à travers laquelle l’Inserm a lancé en mai 2024 une grande étude nationale sur le bien-être mental des 11-24. L’objectif est de partir de leurs besoins, renseignés sur la plateforme, pour « leur apporter un accompagnement personnalisé et de prévenir et/ou traiter au plus tôt la dégradation de leur santé mentale ». Plus de 300 collégiens, lycéens, étudiants et jeunes actifs, à Paris et en région, ont participé à l’élaboration des questions. Les participants à l’enquête seront interrogés sept fois jusqu’en mai 2026. Le 10 avril 2025, elle affichait plus de 14 000 participants.
Injonctions à la réussite, discordances entre les valeurs prônées à l’école et la réalité des faits relatés dans les actualités, stress lié à l’orientation soumise à des algorithmes, situations familiales et internationales…, les sources d’anxiété ne manquent pas. Mais l’écologie et la crise climatique restent parmi les pires exemples de contradiction entre les discours qui se tiennent à l’école et ceux que les élèves entendent en dehors. Ce qui n’est bon ni pour eux, ni pour l’école. Zoom sur cette question en particulier, qui ne fait pas toujours l’objet des analyses en santé mentale malgré son importance croissante.
Programme « Développement durable »
À regarder le discours scolaire depuis une quinzaine d’années, de l’école primaire au lycée, les programmes et les recommandations aux enseignants soulignent de plus en plus la réalité de la crise climatique et les enjeux vitaux du développement durable.
En 2019, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a auditionné des personnalités inscrites dans la réflexion sur le réchauffement climatique, rédigeant en direction du ministre de l’Éducation nationale une note d’orientations et de propositions pour le renforcement des enseignements relatifs au changement climatique, à la biodiversité et au développement durable (cycles 1, 2, 3 et 4). Un seul objectif : « Permettre à tous les élèves d’appréhender de manière éclairée et au plus tôt les questions climatiques et environnementales, et d’en saisir les enjeux pour mieux pouvoir agir. »
Depuis plusieurs années, le site Eduscol propose des contenus pédagogiques pour tous les niveaux, régulièrement mis à jour. La page dédiée, intitulée « Comprendre les causes et les enjeux du changement climatique », donne à lire des informations utiles sur le Giec et ses différents rapports, et des pistes pour aborder le climat en classe. L’approche est pluridisciplinaire : cycle 3, thème « Planète Terre ». Les êtres vivants dans leur environnement ; géographie 6e, thème 3 « Habiter les littoraux ou mathématiques : modélisation de l’élévation du niveau des océans ».
Les programmes disciplinaires sont à l’avenant. Celui de géographie en classe de seconde invite à une réflexion poussée sur la question centrale de la « transition ». Dans son thème 1, l’enseignant évoque le rapport entre les sociétés et leur milieu par le biais de la question des risques et des ressources, sous pression du changement climatique. Les conflits d’usage sont abordés : l’enseignant peut les aborder en s’appuyant sur des manuels qui proposent des dossiers documentaires sur la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées ou la question controversée des méga-bassines. En enseignement moral et civique (EMC) en seconde, complotisme et « fausses nouvelles » peuvent être traité par le biais du climato-scepticisme, encore très répandu malgré les études scientifiques concordantes.
Ainsi, l’école a pris à bras-le-corps la réalité du changement climatique et des crises afférentes (réfugiés climatiques, pression sur les milieux) par le biais des enseignements, mais également des projets pédagogiques : les clubs « Développement durable » se multiplient dans les établissements, comme les expositions réalisées sur la biodiversité. Ils sont de plus en plus nombreux à mettre en place une démarche E3D (école ou établissement en démarche globale de développement durable). Les enseignants sont de mieux en mieux formés à ces problématiques.
Une réalité médiatique et politique en contradiction
Dans le domaine de l’écologie, comme dans d’autres, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump contribue à brouiller les messages politiques et médiatiques concernant l’écologie et l’environnement. L’appel aux forages (pour poursuivre une économie carbonée), le départ des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat (2015), le climato-scepticisme de l’administration américaine criée dans tous les médias, met un peu plus encore au défi l’école en France.
En effet, ces dynamiques contraires à la défense de l’environnement ont des répercussions sur les annonces politiques : alors que l’Union européenne tente un « Pacte vert », une feuille de route pour un développement durable à la suite de la signature de l’Accord de Paris sur le climat, la nouvelle loi d’orientation agricole retenue par le Parlement est régressive sur le terrain environnemental. Le texte prévoit en effet que la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche sont « d’intérêt général majeur en tant qu’ils garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation ». Ils constituent un « intérêt fondamental de la Nation en tant qu’éléments essentiels de son potentiel économique ».
Exit l’environnement, la protection de la biodiversité, la loi littorale. Pas un jour, par exemple, sans que le lobby de la pêche ne fasse pression pour continuer à racler le fond des océans alors que le ministère de la Transition écologique présente l’année 2025 comme celle des mers et océans, avec une grande conférence internationale intitulée « World Ocean Day », organisée le 8 juin 2025 à Nice.
Les exemples pourraient être multipliés sur la gestion des ressources ou la protection des terres agricoles. Les enseignants, qui s’appuient sur les catastrophes de Mayotte, de Valence ou des méga feux aux États-Unis pour illustrer la crise climatique, se trouvent devant des élèves appelés à consommer toujours davantage par la fast fashion et des réseaux sociaux transformés en vastes zones commerciales et des politiques plus soucieuses de l’offre (des entreprises) que de la demande (des populations).
L’incohérence du « dire » et du « faire » se fait de plus en plus criante pour des élèves qui luttent contre l’écoanxiété et qui étudient en cours l’importance vitale d’avoir accès à l’eau et à des ressources alimentaires. Sans parler des conflits à l’étranger, les projets de transition perdent du terrain au profit de tentatives d’adaptation teintée par le green washing ou l’art de « faire croire », cependant que les élèves apprennent à décoder ces messages en cours.
Un cas d’école : le projet de l’autoroute A69
Dans le sud du Tarn, une majorité d’élus de tous les bords politiques soutiennent depuis une trentaine d’années un projet d’autoroute sur 53 kilomètres entre Castres, sous-préfecture, et Toulouse, l’importante métropole du Sud-Ouest. Le projet a ressurgi à la fin des années 2010, poussé par les gouvernements Hollande et Macron. Alors que l’Accord de Paris sur le climat a été signé en 2015, le projet a été déclaré d’utilité publique en 2018, et un concessionnaire a été retenu en 2022. Et ce, malgré une opposition d’une partie des élus et des habitants, forte d’une enquête environnementale menée en 2023 et des remarques négatives de plusieurs institutions liées à l’environnement.
Ce projet d’autoroute est devenu le terrain d’investissement de nouvelles luttes collectives pour la sauvegarde de l’environnement : des citoyens militant pour le vivant s’opposant aux forces vives de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) soutenues par un député et une firme transnationale très pourvoyeur d’emplois dans la région. Deux mondes s’opposent : celui favorable à la bétonisation, au règne de la voiture et à l’accroissement de la consommation, et celui du monde soucieux d’un véritable développement durable et de transition, respectueux de la nature, de l’air et de l’eau. Les élèves de la région observent donc le département du Tarn proposer un plan de lutte contre les perturbateurs endocriniens… et soutenir la construction de vastes usines à bitume pour 53 kilomètres de route dont les « bénéfices économiques, sociaux et de sécurité publique sont trop limités », a tranché le tribunal administratif de Toulouse le 27 février.
Entre les discours « verts » et vertueux et la réalité des actions des politiques (plus de routes, plus de zones d’activités), la distorsion est énorme : comment expliquer à des élèves d’un établissement classée « Développement durable » que le maire autorise l’installation d’une importante usine à bitume à moins d’un kilomètre de leur salle de classe ?
Les débats menés dans les établissements scolaires montrent à quel point les élèves souffrent des injonctions contradictoires. L’enseignant, qui aime à faire de l’éducation aux médias et à l’information, peine à décrypter des informations locales pas toujours impartiales et à rassurer ses élèves sur la fiabilité des sources et le respect du contradictoire.
Sur le terrain strictement sémantique, comment enseigner le développement durable et la crise climatique quand des collectifs et des associations luttant contre des abattages d’arbres ou l’accaparement de l’eau sont qualifiés d’éco-terroristes ?
L’école est dans son rôle lorsqu’elle enseigne la crise climatique et le développement durable. En s’appuyant sur une parole scientifique et le débat contradictoire, elle apporte aux élèves à la fois un constat (difficile), mais des solutions raisonnées aussi (les COP — grandes conférences annuelles des Nations unies sur le climat – par exemple, la charte constitutionnelle de l’environnement de 2004, des actions locales portées par des collectivités ou des acteurs de la société civile).
Mais comment continuer à réfléchir et à débattre de sujets complexes (au lycée par exemple), comment effectivement débattre de conflits d’usage ou d’opinions en cherchant des solutions, dans un monde clivé et saturé de contradictions ? Sans compter que l’inaction des adultes nourrit l’anxiété des plus jeunes. Les programmes sanitaires de lutte contre l’écoanxiété ne passent d’ailleurs ni par des thérapies ni par des traitements, mais par des projets d’actions concrètes : « Encourager les enfants à agir ensemble peut passer par des initiatives pédagogiques, résume un sujet sur France info (9 mars 2025). C’est notamment l’objectif de Ma Petite Planète, une application soutenue par l’Ademe qui propose des défis écologiques aux élèves de la maternelle au lycée. »
A. L.
Ressources
Ingrid Merckx, « Les ados de plus en plus anxieux face à la crise climatique et « à un vide qui déclenche une énorme colère », Basta !, 23 juillet 2021.
Ministère chargé de la santé :
Service-Public.fr :
- Santé mentale : Kaavan, un podcast conçu pour aider les jeunes
- La première grande étude scientifique nationale pour le bien-être mental des 11-24 ans !
Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) :
- Mentalo : une appli pour décoder le bien-être mental des jeunes
- Prendre soin de la santé mentale des 18-25 ans
Retrouvez l’ensemble des chroniques de la rubrique « Notre planète » ici.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.