Aux gros mots les gros remèdes de Nathalie Prince : la princesse de Motordu

Après une biographie de Saint-Exupéry, l’écrivaine et professeure de littérature publie Aux gros mots les gros remèdes. L’histoire dune fille de Roi rebelle, sans rose bonbon ni soumission, mais avec des gros mots à foison.

Par Alexia Psarolis, journaliste et critique spécialisée en littérature de jeunesse

Au royaume de Perpète-lès-Alouettes, princesse Hirondelle, qui vit seule avec le roi, est aussi loquace que son père est mutique. Elle décoche les flèches de son arc comme les gros mots qu’elle assène à tout-va. Tous les noms d’oiseaux y passent et autres métaphores ornithologiques : « Gros canard à l’haleine de toucan », « fesses d’œufs », « poule mouillée », « bipède à jabot », « vieilles chouettes », etc.

Accablé par la grossièreté de sa fille, le roi engage un professeur de Belles Lettres pour lui enseigner un beau vocabulaire et faire en sorte qu’elle cesse de voler dans les plumes. Mais on le sait, professeur de français n’est pas tâche facile, encore moins au Royaume de Perpète-les-alouettes. Il essaie en vain d’éduquer Hirondelle, quitte à l’enfermer dans un cachot ou, pire, à l’immerger dans une tribune de football où fusent les « zizis farcis », « pingouins d’eau douce » et autres « cornichons poilus ».

Mais rien ni fait. La grossière reste grossière, et son professeur est chassé du royaume. C’est au cours d’un « accident podologique » dont est victime le roi que le changement va s’opérer. Hirondelle traverse alors la forêt Dégromo sur un chemin initiatique qui l’amène à rencontrer la belle sorcière Démodure…

Un conte contemporain

S’amorçant par le rituel « Il était une fois », le récit emprunte aux codes du conte traditionnel : découpage en chapitres, récurrence du chiffre trois, sorcière, chat noir, potion magique, forêt sombre… mais ces éléments font, cependant, l’objet de détournements. Dès le paratexte, le ton est donné : l’auteure ainsi que l’illustratrice dédient le roman respectivement  à ses filles rebelles et à une mère désobéissante.

Si les illustrations aux tonalités sépia évoquent une époque médiévale, elles font la part belle aux anachronismes mêlant des supporteurs de football, un pingouin mangeur de pop-corn et une autruche-photographe dans une imagerie baroque. Texte et illustrations se répondent, se prolongent, s’enrichissent dans une double narration riche de symboles visuels et d’intertextualité.

Ludique, le roman distille de nombreuses références littéraires que le lecteur peut s’amuser à débusquer : Pinocchio, Peau d’âne, Sophie, Blanche-Neige, Alfred Jarry et son « cornegidouille ». Forêt Dégromo, sorcière Démodure : jeux de mots et noms de volatiles parsèment le texte, comme autant de clins d’œil à Pef et son Prince de Motordu ou encore aux néologismes chers à Claude Ponti, dont Nathalie Prince est une fervente lectrice et admiratrice.

Délicieux « gros mots » à lire et à prononcer. Après une biographie de Saint-Exupéry, célèbre auteur du Petit Prince, l’écrivaine et professeure de littératureNathalie Prince offre une histoire – à lire à voix haute – pour rire ou sourire. Pour l’auteure adepte des métaphores, les vertus salvatrices de l’humour ne sont plus à démontrer.

Inclusivité

Les illustrations, évoquant les enluminures où bleu roi, ocre, bruns et orangers s’entremêlent, construisent un monde onirique parsemé de symboles à dénicher pour déplier de multiples interprétations. Dans une volonté d’inclusivité, elles unissent des personnages portant lunettes, aux peaux blanches et noires…

Des mots en gros et en gras ponctuent le roman jusqu’à l’ultime page du récit en forme d’un calligramme digne d’Apollinaire, où les mots de graisses et de tailles différentes figurent un volatile. En bonus, les pages de la fin révèlent les photos des oiseaux cités, ainsi qu’un lexique des expressions (« Piaillements et jacasseries »).

Inclusive l’est également la collection dans laquelle s’inscrit ce petit roman, intitulée « Gros mots », aux éditions Bel et Bien. Laetitia Veniat, directrice éditoriale, a à cœur de proposer des ouvrages en grands caractères avec une mise en page aérée afin de garantir un confort de lecture optimal et intergénérationnel, accessible aux malvoyants et aux personnes dys.

« Ce que parler veut dire »

Entre le silence d’un père et la grossièreté d’une petite fille, ce conte humoristique s’ancre dans une évidente contemporanéité où la question du langage est centrale. « Parler peut soulager bien des maux », défend le narrateur. Au terme de sa transformation, Hirondelle finit par poser son arc et ranger ses flèches, signes de sa colère. Elle l’a bien compris, le langage, utilisé à bon escient, permet de désamorcer l’agressivité.

Quant au père, la confrontation le métamorphose en homo communicans, livrant à sa fille des secrets longtemps inavoués. Cette histoire vaut tous les manuels de communication non-violente. Grandir, semble-t-il signifier, c’est (aussi) maîtriser l’expression de sa colère. Le « Ce que parler veut dire » de Pierre Bourdieu est une question toujours pertinente.

A. P.

Nathalie Prince, Illustré par Aimeé Fôrémar,Aux gros mots les gros remèdes, collection « Gros mots », Bel et Bien, 96 pages, 14,90 euros.


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Alexia Psarolis
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