"Ma part du gâteau", de Cédric Klapisch. "We Want Sex Equality", de Nigel Cole
Deux comédies sociales sortent presque en même temps, l’une française, Ma part du gâteau de Cédric Klapisch, l’autre britannique, We Want Sex Equality de Nigel Cole.
Klapisch choisit un sujet très actuel sur le monde de la finance.
Cole retrace les étapes d’un conflit historique : la lutte pour l’égalité des salaires entre hommes et femmes.
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“Ma part du gâteau”, de Cédric Klapisch
Cédric Klapisch a imposé un ton nouveau à la comédie hexagonale, en montrant, depuis Chacun cherche son chat (1995), qu’elle ne se limite pas aux vaudevilles ou aux grosses farces. Dans Ma part du gâteau, il entend montrer que notre cinéma n’est pas complètement fermé à la réalité sociale.
Une ouvrière de Dunkerque, licenciée économique, quitte ses trois enfants pour aller à Paris chercher du travail. Accueillie par le charmant directeur maghrébin d’une agence de formation, elle est placée comme femme de ménage chez un trader, travaillant pour une grosse société de bourse londonienne. L’intrigue traite donc de la crise économique, de ses causes – les spéculations boursières facilitées par le numérique – et de ses conséquences – la destruction des entreprises et la mise au chômage de leurs employés.
Pour incarner ces mécanismes, il fallait une histoire et des protagonistes crédibles. Le cinéaste sait incontestablement raconter une histoire. Le montage alterné lui permet d’opposer les deux personnages et leur univers respectif, le milieu populaire et plein de vie de France, licenciée à la suite d’une opération de délocalisation, et le monde aseptisé, déconnecté de la réalité, de Stéphane, trader impitoyable pour qui la finance est une jungle où le plus féroce triomphe. La rencontre hautement improbable de ces deux personnalités s’avère pleine de surprises quotidiennes, jusqu’à la surprise majeure : il est le principal responsable de la cessation d’activité de l’usine où elle travaillait.
La musique de Pretty woman réussit à nous entraîner sur la fausse piste de l’idylle. Mais si l’étonnement qu’ils se causent réciproquement débouche sur une certaine complicité amoureuse, ils sont trop éloignés l’un de l’autre pour se rapprocher vraiment. D’ailleurs Stéphane est dépeint comme incapable d’aimer qui que ce soit, y compris son fils de trois ans, à lui confié par sa mère pour un mois. C’est en s’occupant à sa place de l’enfant que France lui fait comprendre ses devoirs paternels et sa muflerie à l’égard des femmes en général. Cédric Klapisch humanise peu à peu son personnage, mais laisse subsister à la fois sa toute nouvelle tendresse pour l’enfant et sa goujaterie naturelle. Gilles Lellouche est parfait dans ce rôle tout en nuances et s’accorde parfaitement avec une Karine Viard excellente.
Pourtant, malgré la performance des comédiens, on ne se sent pas vraiment impliqué dans cette histoire ; on n’éprouve pas de grande émotion devant cette relation si invraisemblable et cette situation qui met en présence les deux extrémités de l’engrenage social, ceux qui tirent les ficelles financières et les travailleurs qui en subissent le contrecoup, les patrons, eux, étant curieusement absents. Peut-être parce que c’est justement l’abstraite absurdité du système lui-même que le cinéaste met en cause, cette finance folle dont les représentants s’avèrent de véritables machines à gagner, de grands fauves prédateurs ou des enfants inconscients et capricieux rayant des usines entières du paysage industriel par la suppression d’une ligne de leur fichier, sans se préoccuper des dégâts matériels et surtout humains qu’ils provoquent Il les peint avec efficacité comme de véritables dangers publics.
Sans vouloir révéler le dénouement, disons qu’il est à double détente. Une fin tragique, plus vraisemblable, est suggérée. Mais la comédie et l’idéologie reprennent leurs droits et l’auteur de L’Auberge espagnole (2001) ménage un happy end social. Pretty woman fait place aux héroïnes américaines de combats collectifs contre les entreprises.
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“We Want Sex Equality”, de Nigel Cole
We Want Sex Equality est réalisée par Nigel Cole, auteur du savoureux Calendar girls (2003), où des quinquagénaires sexy se dénudaient pour la bonne cause. Il aime à raconter des aventures de femmes hors du commun, comme en 2000, Saving Grace, où une veuve démunie faisait pousser du cannabis pour payer les dettes laissées par son mari.
Cette fois, il retrace la lutte des ouvrières de l’usine Ford, à Dagenham dans l’Essex, pour obtenir l’égalité de salaires avec les hommes. Avec cet humour qui permet aux Britanniques de transformer une page de l’Histoire sociale en comédie désopilante et émouvante à la fois.
Nous sommes loin de Ken Loach et de son militantisme pur et dur. Ici la lutte des classes arbore un visage souriant et rejoint avec légèreté la solidarité des femmes entre elles contre le machisme ambiant tandis que les syndicats en prennent pour leur grade.
En mai 1968, sous le gouvernement travailliste d’Harold Wilson, une femme réelle, Rita O’Grady, brillamment interprétée par Sally Hawkins (révélée dans Be happy de Mike Leigh), incarne le combat d’un petit groupe déterminé : 187 femmes qui ajustent à la machine les revêtements de sièges et de portières des voitures contre la puissante direction de Ford, mais aussi contre les 5 000 ouvriers de l’usine, eux-mêmes attachés aux privilèges masculins, et les représentants syndicaux qui ne prennent pas au sérieux la lutte de leurs adhérentes.
Propulsée à son corps défendant sur le devant de la scène pour négocier avec le syndicat, Rita va réussir à faire voter par ses camarades la première grève féminine pour la reconnaissance d’une qualification. Mais quand elle découvre le fond du problème, le fait que la loi autorise les patrons à payer les femmes – qui d’ailleurs ne se révoltent guère – moitié moins que les hommes, elle parvient à faire de cette petite revendication ponctuelle une vraie lutte politique pour l’égalité salariale, changeant ainsi le sort des femmes en Grande-Bretagne et dans le monde.
Le film retrace l’irrésistible ascension de cette déléguée que son indignation rend d’une éloquence redoutable. De grèves en défilés, de rencontres avec la direction à la prise de parole au congrès national et enfin au rendez-vous décisif avec Barbara Castle, « rousse explosive » et ministre de l’Emploi, capable de résister aux pressions d’Henry Ford lui-même, Rita obtient par sa pugnacité que les ouvrières soient notablement augmentées. Et la loi sur l’égalité des salaires passe deux ans après.
L’émotion a depuis longtemps gagné le public, conquis par l’interprétation de Rosamund Pike, improbable épouse d’un dirigeant anglais de Ford, de Miranda Richardson, désopilante en ministre, de Bob Hoskins, parfait en généreux syndicaliste acquis à la cause féminine ou de Daniel Mays, qui interprète le bon mari de Rita, désarçonné par la force de sa syndicaliste de femme. Il est difficile de passer une soirée plus gaie et plus enthousiasmante.
Anne-Marie Baron
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• Le cinéma sur le site de “l’École des lettres“.
Apparemment, le film de Klapisch n’est pas très séduisant. Il semble qu’il est affecté des défauts habituels des films français à prétentions sociales: simplisme de l’analyse, nombreux clichés, manque à peu près total de sens de l’humour.
En revanche, le film de Nigel Cole paraît beaucoup plus crédible (il repose d’ailleurs sur des faits réels) et il raconte, de façon sans doute réaliste et humoristique, une histoire qui fait penser au charmant film “Erin Brockovich” où s’était illustrée Julia Roberts. La critique d’AMB sonne juste et donne envie d’aller le voir.