L’évaluation des enseignants sous l’œil de la Cour des comptes
Le dernier rapport de la Cour des comptes sur l’Éducation nationale, intitulé Organiser son évaluation pour améliorer sa performance est une synthèse sur l’ensemble des évaluations au sein du système scolaire.
Il concerne aussi bien les services du ministère, ses directions, ses administrations centrales, comme la DÉPP, la DGESCO ou le Conseil supérieur des programmes, que les établissements scolaires et ses diverses évaluations : d’élèves, d’enseignants ou de personnels de direction.
L’Éducation nationale face à la « culture de l’évaluation »
Au terme de son analyse, la Cour des comptes observe que jamais la puissance publique n’a eu « l’ambition d’une culture de l’évaluation progressivement acceptée par toutes les composantes du système éducatif ».
Le rapport pointe la frilosité de tous les acteurs, partagés entre tradition et modernité, méfiants à l’égard de toutes les évaluations systématiques, du type enquêtes internationales comme PISA, peu soucieux de réformer le fonctionnement de l’évaluation en apportant une cohérence d’ensemble à un système d’intervention éclaté et en renforçant pour cela une instance indépendante, en l’occurrence le CNÉSCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire).
Dans ses recommandations, la Cour des comptes n’a de cesse de faire des propositions pour développer la culture de l’évaluation, en clarifiant les missions des uns et des autres (ne pas être à la fois prescripteur et évaluateur), et surtout en usant, à tous les niveaux et pour tous, de tests standardisés et dématérialisés : l’évaluation individuelle, collective, par établissement, par classe, par cycle, par acteurs, est présentée comme l’accès absolu à la performance, et son usage immodéré doit conduire à un objectif final unitaire : la publication d’un rapport sur la performance du système scolaire obligatoire.
En d’autres termes, il s’agit d’offrir à l’opinion publique française une enquête nationale, équivalente en valeur et en intérêt aux fameuses enquêtes de l’OCDE.
Déconnexion entre l’évaluation et la carrière des enseignants
S’agissant plus particulièrement de l’évaluation des enseignants, le rapport souligne l’ambigüité des inspections, prises entre progression de carrière et indication de performances pédagogiques. En dépit des apparences, l’évaluation obtenue à l’issue d’une inspection a fort peu d’incidence sur l’avancement : au terme de leur carrière, et après 5, 2 inspections en moyenne pour 35 années d’activité, 85 % des certifiés ont atteint la hors classe, quelles qu’aient été leurs notes. Et bien sûr, une fois à la hors classe, l’évaluation n’a plus aucun effet.
Bien plus, selon la Cour des comptes, la réforme de 2017 ne peut qu’aggraver cette déconnexion entre évaluation et carrière, car les nouveaux rendez-vous d’inspection déterminés en nombre fixes sont plus tournés vers les questions de promotion que vers les questions de conseils, d’appui ou d’accompagnement.
Faible impact des enquêtes internationales de l’OCDE
Le rapport déplore également une évaluation mal articulée avec les autres dispositifs évaluatifs du système scolaire, et notamment avec l’évaluation des élèves.
La France aurait la particularité par rapport aux pays voisins de ne prendre que très peu en compte les résultats des enquêtes internationales de l’OCDE pour corréler ensuite dans les établissements évaluation des élèves et efficacité des enseignants. Tout se passe comme si les résultats n’affectaient jamais vraiment les pratiques enseignantes ni d’ailleurs les projets d’établissement.
Aucun suivi explicite d’une inspection à une autre
Dernier point mentionné, le manque de continuité d’une évaluation à une autre. La Cour des Comptes observe que la nature même du rapport d’inspection se prête mal à une vérification de progrès accomplis dans la pédagogie d’un enseignant. Il n’y a ni grille ni thèmes ni critères systématiquement repris, et de ce fait il est presque impossible de comparer objectivement deux moments dans la carrière.
Le rapport constate à regret : « Il s’agit d’exercices rédactionnels à chaque fois renouvelés et qui ne font apparaître aucun suivi explicite d’une inspection à une autre. »
Sa conclusion est sans appel : mettant dans la balance le nombre d’heures mobilisées par les inspecteurs pour accomplir leurs inspections et l’impact (réduit) de ces évaluations sur les pratiques pédagogiques des enseignants, la Cour des Comptes s’interroge sur le coût de ce système.
Humanisme et performance
Chacun jugera de la pertinence de ces analyses en fonction de son vécu et de son expérience d’enseignant.
Pour ma part je relèverai cette chose invisible à l’œil de la Cour des comptes, cette chose absente parce que non quantifiable, chose pourtant essentielle et aux effets durables au-delà d’une inspection : ce temps de l’entretien, ce moment de relation personnelle d’inspecteur à professeur, fort d’un humanisme très loin de la performance.
Mais la Cour sait-elle vraiment ce que c’est que d’être prof ?
Pascal Caglar
• Télécharger le rapport de la Cour des comptes : « Éducation nationale : organiser son évaluation pour améliorer sa performance ».