Les maux de l’écriture
Quand l’acte d’écrire relève davantage
de la douleur que du plaisir,
l’école peut trouver ses soins palliatifs dans l’utilisation de certains outils numériques
Dès la fin de la maternelle, certains enfants montrent des difficultés à l’écrit, ils peuvent par exemple former les lettres dans le mauvais sens (écriture en miroir), ne pas réussir à écrire sur les lignes, confondre les « p » et les « b », etc.
Puis, au-delà de la difficulté, viennent les pathologies : dysgraphie, dysorthographie, dyspraxie (un enfant dyspraxique est toujours dysgraphique). Seul un bilan fait par un ergothérapeute peut attester réellement d’un retard graphique en fonction de quatre critères observés : vitesse d’écriture, lisibilité, performance orthographique, coût cognitif, ce dernier étant le plus difficile à évaluer.
L’enfant dyspraxique peut écrire mais avec un effort considérable et pour un résultat très médiocre. Alors même qu’il s’applique de tout son cœur à former les lettres, il ne peut pas écouter l’enseignant simultanément. Il va donc falloir aménager l’acte d’écriture.
L’écriture et la métacognition
L’écrit est un facilitateur de la mémorisation, c’est un support d’apprentissage qui permet d’extérioriser la connaissance, de récapituler, de synthétiser et donc de mémoriser.
Dès la maternelle, l’élève est incité à produire de l’écrit, avant même l’acquisition de la lecture et de l’écriture. Un des exercices types est la « dictée à l’adulte » qui permet de conscientiser la structuration de l’écrit. Autre exercice, au cycle 2, le « jogging d’écriture » est inspiré d’une pratique québécoise et consiste en la pratique d’atelier d’écritures courts, ludiques, réguliers et surtout décontextualisés du travail proprement dit d’étude de la langue afin d’initier la notion de plaisir et la réflexion sur ses propres mécanismes mentaux.
Pourquoi est-ce si douloureux ?
L’écriture est le reflet de l’intériorité et est donc révélatrice de chacun, elle représente l’enfant et en devient ainsi l’image. L’écriture peut dès lors révéler ses états émotionnels et surtout le non contrôle de ceux-ci, c’est un miroir sur lequel d’autres regards vont se poser : camarades, parents, enseignants… et ainsi potentiellement un moyen d’évaluer, de juger l’enfant qui a produit l’écrit. Le regard de celui-ci, sur son propre tracé, dès lors qu’il est mauvais, laid, biscornu, lui renvoie une très mauvaise image de lui-même, il a honte de lui et stresse à l’idée de devoir produire à nouveau.
De plus, l’écriture est la manifestation écrite de l’évolution, de la croissance, de la maturation de l’individu. Certains élèves se plaignent de douleurs lorsqu’ils écrivent, « j’ai mal au poignet », leur malaise physique se manifeste par des tensions musculaires, des maux de tête, maux de ventres, douleurs dans les mâchoires et sont associées à de mauvaises tenues de crayons et positionnements de la main.
Plus tard au lycée, l’élève qui écrit doit le faire de façon engagée et distante à la fois en gardant en conscience le fait qu’il va être lu. Il faut donc penser au contenu et aux formes linguistiques et/ou stylistiques nécessaires à la compréhensibilité du texte. D’autres, donnent peu d’importance à la forme et privilégient le contenu, il s’agit de ceux dont on dit : « Ils écrivent comme ils parlent ».
Pour toutes ces raisons, psychologiques, physiques, émotionnelles et quel que soit l’âge, l’acte d’écrire n’est en rien anodin mais bien un engagement, avec sa prise de risque latente et menaçante.
Comment les outils numériques
peuvent-ils contribuer à soigner les maux de l’écriture ?
Les outils numériques, dont les usages sont développés à l’école, permettent la variété des supports de la pratique de l’écrit. Par exemple, en classe, le fait de travailler sur un support numérique afin de réaliser une bande dessinée permet de produire de l’écrit et de faire un effort de synthèse dans un esprit ludique et créatif décomplexant ainsi l’élève par rapport à l’exercice demandé.
Produire des écrits sur un outil numérique engendre l’idée d’être publié et donc d’être lu. L’exercice est alors idéal pour travailler les six fonctions du langage définies par Roman Jakobson et surtout leurs liens entre elles : fonctions phatiques (mise en place et maintien de la communication), métalinguistiques (le code devient objet du message lui-même), expressives (expression des sentiments du scripteur), conatives (relatives à la reception du message, donc le lecteur ici), référentielles et poétiques. En outre, l’idée de la publication en arrière-plan de l’écriture est un moyen d’améliorer l’estime de soi de l’élève.
Certains outils numériques sont utilisés au collège notamment pour s’exercer à l’écriture collaborative : Framemo, Padlet, Mindomo, Etherpad, Widbook, Storyjumper, Pixton, Adobe Spark Video… (Je remercie Mme Lydia Lunel-Combeau, professeure d’histoire-géographie-EMC dans l’académie de Poitiers pour le partage d’expérience sur ces outils.)
Les mots de la fin… et autre piste de réflexion
L’écriture chinoise est essentiellement symbolique, l’expression figure la pensée au sens propre du terme, ce qui signifie qu’exprimer n’est pas simplement évoquer mais bien réaliser. De plus, l’écriture en Chine est un art, la calligraphie y est tout aussi importante que la peinture et tout aussi ritualisée qu’une cérémonie du thé.
Peut-être la clé est-t-elle dans cette évocation chinoise. Écrire dès le plus jeune âge comme on pratiquerait un art noble et reconnu, prendre plaisir à former les lettres, lignes, courbes, crochets, points serait alors, peut-être, une façon de changer le regard de l’enfant sur cet acte, en le transcendant, vers la pratique du Beau.
Delphine Roux-Bellicaud
Bel article pour démarrer la journée, merci!