
Les élèves face à la guerre
Comment les élèves reçoivent-ils les messages évoquant des menaces de guerre en Europe ? Retour sur un débat entre des élèves de troisième dans un collège de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géo et d’EMC
« Au-delà de l’Ukraine, la menace russe est là et touche les pays d’Europe. », a déclaré le président Emmanuel Macron, le 5 mars 2025, lors d’une allocution depuis l’Élysée retransmise en direct (elysee.fr) et sur plusieurs chaînes de télévision. Comment les élèves peuvent-il recevoir, comprendre et réagir à ce type de déclaration ?
Retour sur une conversation qui s’est tenue peu après, au début d’un cours d’histoire-géographie, entre des élèves de troisième du collège Robert-Doisneau (REP +) de Clichy-sous-Bois.
Le 5 mars, Emmanuel Macron s’adressait aux Français dans un « moment de grande incertitude », a-t-il précisé, pour évoquer la guerre en Ukraine et ses conséquences pour la France et l’Europe. « La Russie est devenue, au moment où je vous parle et pour les années à venir, une menace pour la France et pour l’Europe », a-t-il répété sur un ton solennel et grave. Il annonçait dans la foulée qu’il allait convoquer les chefs d’état-major des pays prêts à garantir une future paix en Ukraine ainsi que chercher des « investissements supplémentaires » en matière de défense. Il a également émis l’idée de faire bénéficier certains pays européens de la protection nucléaire de la France.
Cette allocution a eu un retentissement important chez les élèves de Robert-Doisneau car, dès les jours qui suivirent, plusieurs ont questionné leurs enseignants sur le risque de guerre imminente. Rares parmi eux regardent encore les journaux télévisés ou écoutent la radio : l’actualité leur parvient par l’intermédiaire de leurs réseaux sociaux : TikTok, Snapchat et, dans une moindre mesure, Instagram.
Il faut prendre en compte cette donnée devant des questions relatives à une actualité anxiogène. Les vidéos que les élèves regardent sur les réseaux sont celles d’influenceurs tournant en dérision l’actualité ou, montées trop rapidement, elles compressent l’information en la décontextualisant et parfois en ne gardant que les propos les plus belliqueux.
« Quoi de neuf ? »
Sur l’idée d’une collègue, j’ai donc décidé de lancer un temps « Quoi de neuf ? » avec mes classes. La retranscription qui suit reproduit un dialogue avec une classe de troisième. Pour éviter de brider les interventions et laisser aux élèves une spontanéité dans la prise de parole, je ne suis que très peu intervenu pendant l’échange qui a duré plusieurs minutes. À la fin de la conversation, faisant d’une pierre deux coups, j’ai repris tous les thèmes évoqués : dissuasion atomique, propagande, fake news, armement de l’UE, situation de l’Otan, etc., en introduisant le chapitre sur la guerre froide. Les élèves ont ainsi mesuré à quel point l’histoire s’étudiait sur le temps long.
Moi. — « La semaine dernière, au retour des vacances, vous avez été nombreux à me solliciter sur la déclaration d’Emmanuel Macron à la télévision concernant la guerre en Ukraine. Avant d’y répondre, j’aimerais avoir vos réactions. Qu’avez-vous ressenti en entendant ces déclarations ?
Farhan. — Déjà que la France est en crise économique et qu’elle connaît aussi une instabilité politique, pourquoi chercher à aller [faire la guerre] autre part ? Il faudrait d’abord se focaliser sur la France au lieu d’aider d’autres pays et d’aggraver notre situation.
Dayena. — On a l’impression que Macron réfléchit pour lui et pas pour nous. Quand il parle, il parle de lui, pas des Français ! On n’a pas notre mot à dire si on pense que ce qu’il fait avec les États-Unis n’est pas bien. On a besoin des États-Unis, sans eux, on n’a rien pour se défendre.
Mohammed. — On n’a pas besoin des États-Unis car on a l’arme nucléaire. S’il y a une guerre, Macron s’en fiche parce qu’on possède cette arme. On a le sous-marin “le Terrible” qui peut raser à lui tout seul 75 % de la Russie. Poutine fait un peu de propagande : sur les réseaux sociaux, j’entends certains dirent “On est sauvé, Poutine n’en veut qu’à Macron, il n’en veut pas à la France”. On dirait que Poutine menace directement Macron pour nous déstabiliser. S’il y a une révolte en France contre Macron, lui aura gagné sans faire de guerre.
Baran. — J’ai vu une vidéo montrant que la France avait lancé une bombe à Moscou. C’est vrai ? (Il s’agit en fait d’une explosion dans le hall d’un immeuble moscovite qui a tué Armen Sarkisyan, un collaborateur pro-russe de la région de Donetsk recherché par l’Ukraine.)
De nombreux élèves de la classe. — Ce sont les Ukrainiens !
Ilies. — Quand on brandit l’arme nucléaire, on va trop loin ! Personne ne va l’utiliser, ça reste une arme de dissuasion. Peut-être que Macron a « le Terrible »… Mais vous vous rendez compte si Poutine appuie sur le bouton lançant “Satan 2” et Macron son “Terrible” ? Vous réalisez ce qu’il va se passer dans le monde ?
Sabaoth. — C’est la fin de l’Europe.
Ilies. — C’est la fin du monde ! Tout exploserait ! C’est pourquoi je pense que l’on est plutôt sur une guerre froide V2 entre la France et la Russie.
Léo. — Poutine ne peut pas utiliser “Satan 2” ! S’il l’utilise, la Russie aussi est morte !
Réda. — Les États-Unis ont une influence sur nous en matière d’économie. Si les entreprises américaines augmentent leur prix, notre pouvoir d’achat va baisser.
Ilies. — Et Trump qui veut le Groenland et le Canada, on en parle ?
Sabaoth. — Ce sont des idées expansionnistes !
Léandro. — Ça ne me fait pas peur ! Trump n’a encore rien fait en plus, le Canada et le Groenland peuvent se défendre !
Kaëla. — Je ne suis pas d’accord avec Emmanuel Macron quand il utilise le pronom “nous”. La plupart des Français ne veulent pas d’une guerre, sont en désaccord avec lui. Il ne peut pas parler au nom du peuple français. Je vois des vidéos qui affirment que 50 % des jeunes Français sont prêts à partir au front, mais c’est faux !
Mohammed (répondant à Réda). — Il n’y a pas que nous qui avons besoin des États-Unis, eux aussi ont besoin de nous. La France produit des Airbus, des voitures, les besoins sont réciproques.
Kaëlla. — Macron veut faire la guerre car cela efface les dettes en période de guerre !
Moi. — Cette dette ne disparaît pas, des créanciers, des banques vont demander leur argent. Tu veux plutôt dire que l’on ne fait plus attention à la dette publique en période de guerre ?
Kaëlla. — Oui, c’est ça !
Sabaoth. — Poutine parle mal, il nous manque de respect !
Dayena. — Je ne suis pas d’accord. Le comportement d’Emmanuel Macron vis-à-vis des autres pays, sa gestuelle, ses propos, montre qu’il se croit plus grand que tout le monde ! C’est pourtant un simple président, comme Poutine l’est aussi.
Moinaheri. — Dans le discours de Macron, on perçoit une question d’ego, car s’il se rendait compte de ce qu’il dit, son discours ne serait pas le même !
Sabaoth. — C’est fou de comparer Macron à Napoléon, ça ne se dit pas (Poutine a déclaré précisément “Il y a des gens qui veulent revenir au temps de Napoléon, ils oublient comment ça s’est terminé”).
Reda. — Ce qui protège la France de Poutine, c’est l‘Union européenne, sinon, il l’aurait déjà fait (si la France n’était pas dans l’Union européenne).
Moi. — Ce qui me surprend dans vos remarques, c’est que vous réduisez cette opposition à la France et la Russie. Tous les pays de l’Union européenne sont concernés par le réarmement en urgence.
Kaëlla. — Macron doit préciser qu’il parle au nom des pays de l’UE et pas au nom du peuple français.
Dayena. — Tout à fait !
Ismaël. — Ça m’énerve ! Toute l’année on parle négativement des Noirs et des Arabes. Quand c’est la guerre, on redevient des Français !
Moi. — Tu penses qu’en cas de guerre, on va faire appel à beaucoup de Français d’origine étrangère ? C’est ça ?
Kaëlla. — Oui.
Quelques élèves dans la classe. — Moi aussi !
Baran. — Je pense que les Français d’origine étrangère seront majoritaires dans l’armée !
Mohammed. — C’est plus la Première ou la Seconde Guerre mondiale ! L’armée, c’est devenu un métier. S’il y a une guerre, nos parents n’iront pas faire la guerre ! Nous avons des militaires professionnels.
Reda. — Si les militaires ne sont pas assez nombreux, on sera obligé d’appeler les citoyens !
Mohammed. — Des réservistes, ceux qui veulent faire la guerre, mais pas tous les citoyens !
Kaëlla. — De toute façon, Poutine n’en veut qu’à Macron, pas au peuple Français !
Ilies. — On est arrivé à un stade où les armées sont trop modernes, trop fortes. Personne ne pourra l’emporter. Si on entre en guerre, c’est….
Sabaoth. — … la fin du monde !
Kaëlla. — Poutine fait peur. Macron lui se fait gifler en public, il n’est pas respecté par son peuple ! Moi à sa place, j’aurais peur de Poutine ! Il est monté sur un ours ! (Référence à un fake qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux).
Reda. — Tu es victime de la propagande, Kaëlla ! Les conséquences de cette guerre seraient dévastatrices pour tout le monde : les bombes nucléaires, les avions, les bombardiers….
Kaëlla. — Je ne comprends pas, Emmanuel Macron veut aider l’Ukraine alors que ses propres îles ont besoin d’aide. Il y a eu un drame à Mayotte. On devrait d’abord poursuivre notre aide ou même régler le problème des prix en Martinique et en Guadeloupe.
Amine. — Ils ne vont pas agir de toute façon, ils ne font que parler ! Ils courent à leurs pertes sinon !
Sabaoth. — C’est une guerre de paroles !
Kaëlla. — On n’a pas peur car le peuple français arrive toujours à tourner ça en dérision, avec de l’humour. Sur TikTok, on voit des vidéos où des jeunes défient Poutine en l’invitant dans le 9-3…. »
(Rire dans la classe…)
La conversation s’achève ainsi, sur une note d’humour, mais la classe s’est montrée plutôt inquiète et consciente de la gravité de la situation. Le fait d’avoir étudié il y a quelques semaines la Seconde Guerre mondiale et l’utilisation américaine de l’arme atomique au Japon a certainement influencé leur ressenti.
J’ai aussi constaté le poids des fausses informations (bombardement français à Moscou, Poutine présenté comme un surhomme, puissance exagérée de l’armement français) véhiculées sur les réseaux sociaux. La plus grande difficulté, c’est que la plupart d’entre eux s’informent en regardant des vidéos où l’actualité est tournée en dérision ou analysée par des pseudos experts qui sont plus à la recherche du buzz que de la vérité.
Il faut donc leur rappeler l’importance des sources d’information et du choix de médias crédibles lorsque l’on souhaite avoir une information traitée correctement.
Enfin, comme trois ans ont passé depuis le début de cette guerre en Ukraine, j’ai rappelé aux élèves les origines du conflit (histoire de l’URSS, chute du mur, anciens pays communistes qui rentrent dans l’UE et dans l’Otan…). Un texte décrit le cours que j’avais proposé à mes élèves en févier 2022. Une chose est sûre, les enseignants de manière générale et d’histoire-géographie en particulier doivent se saisir de cette actualité pour échanger avec leurs élèves en les aidant à prendre du recul et à s’informer de manière plus réfléchie.
Ressources :
J.-R. K.
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