Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ?

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Il y a certaines vérités qui gênent. On feint de ne pas croire, de ne pas savoir, de minimiser, mais il arrive un moment où il n’est plus possible de ne pas entendre : avec le dernier rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) Comment l’école amplifie les inégalités sociales et migratoires ? plus question d’ignorer le problème et de différer les réponses.
Le rapport est clair : le problème n’est pas l’existence d’inégalités au sein de l’école, l’information ne serait pas nouvelle, mais bien l’augmentation, l’aggravation de ces inégalités tout au long du parcours scolaire.

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Les inégalités s’enchaînent et s’accumulent à partir du collège

On constate d’abord une inégalité de traitement parce que les établissements défavorisés ne peuvent assurer la même qualité d’enseignement que d’autres : temps perdu à la discipline, enseignants moins qualifiés, moyens supplémentaires encore insuffisant, climat d’insécurité peu propice au travail.
Puis s’ajoutent les inégalités de résultats, largement établis par les études PISA : les performances des élèves défavorisés se dégradent tandis que celles des élèves favorisés se stabilisent ou s’améliorent. La situation de la France évolue à contre courant de la plupart des pays de l’OCDE.
Avec le collège apparaissent encore les inégalités d’orientation : autocensure des familles, contexte scolaire ségrégué, propositions de l’institution, tout concourt à orienter les élèves défavorisés plus que les autres vers les filières professionnelles.
À terme, les inégalités de diplômation révèlent que le bac n’est pas le même pour tous, qu’il y a une hiérarchie (l’enseignement générale reste la voie royale), et surtout qu’à diplôme égal un jeune de milieu favorisé trouvera plus aisément une insertion professionnelle.
Cette inégalité des chances n’est pas perçue également par les Français : par un paradoxe de surface on observe que ce sont les classes favorisées (et non les classes en difficulté) qui croient le moins en l’égalité des chances : c’est que peut-être plus que les autres elles savent que la réussite passe par des méthodes, des stratégies qu’elles connaissent mieux que les plus fragiles.
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Après les faits, les causes

Le rapport s’interroge : comment l’école fabrique-t-elle ses inégalités ? Les évolutions économiques et sociales ont un impact limité sur les inégalités. Les établissements privés, les cours particuliers pèsent également peu dans les déséquilibres. Plus profondément ce sont les politiques scolaires menées depuis trois décennies qui expliquent le mieux les inégalités scolaires. C’est le point le plus inquiétant du rapport.
En effet ce n’est pas faute d’essayer des solutions, ce n’est pas l’inertie ou l’indifférence des successifs gouvernements qui est cause de la situation mais bien une suite de politique, d’initiatives, de dispositifs bien intentionnés mais inefficaces ou pire, aggravants : l’éducation prioritaire a ainsi eu des effets pervers de stigmatisation des établissements qui en bénéficiaient, inversant la discrimination positive en discrimination négative.
Des défauts de gouvernance propre à la France sont alors pointés : faible expérimentation ou évaluation des dispositifs, faible accompagnement de la formation des enseignants, et surtout l’absence de volonté forte d’instaurer la mixité sociale à l’école, d’en finir avec la ségrégation, la concentration des difficultés dans des établissements ghettos. Citons le rapport : « Autant l’activisme politique a été de mise sur d’autres réformes, autant la déségrégation entre les établissements mais aussi dans les établissements est la grande oubliée pour ne pas dire l’angle aveugle des politiques scolaires des trois dernières décennies. »
 

Pas de rapport sans recommandations

Le Cnesco avancent quelques préconisations apparemment modestes parce que simples mais intéressantes parce qu’utiles et plébiscitées par beaucoup:
1. Miser sur l’expertise pédagogique des personnels enseignants et d’encadrement (formation continue, conseil, référents).
2. Mobiliser la prévention dès les premiers apprentissages : renforcer le champ d’action des professeurs spécialisés des écoles.
3. Rompre avec les inégalités de traitement. Autrement dit lutter contre la ségrégation sociale.
4. Renforcer les évaluations nationales aux étapes clés de la scolarité pour fournir des repères clairs aux acteurs de terrain.
5. Appliquer le principe d’équité aux politiques d’orientation : c’est-à-dire mieux accompagner les familles, mieux accompagner les élèves dans les formations sélectives.
6. Rendre plus équitable l’enseignement professionnel : soit, développer l’employabilité des jeunes diplômés, décloisonner les différentes voies de formation.
7. Assurer des conditions matérielles suffisantes aux apprentissages pour les élèves les plus démunis. Pas de travail scolaire de qualité si des problèmes matériels (alimentation, habillement, fournitures) ne trouvent pas de l’aide du côté des fonds sociaux des établissements.
L’enjeu est bien finalement celui de la justice sociale à l’école, qui ne peut plus se contenter d’affirmer l’égalité des chances à travers l’égalité de traitement mais doit se repenser en termes d’équité, c’est-à-dire de répartition des biens scolaires selon les besoins autant que selon les mérites.
Que nul ne parle d’éducation s’il n’a pris connaissance de ce rapport.

Pascal Caglar

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• Télécharger le rapport du Cnesco : Inégalités sociales et migratoires. Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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