Le temps des paradoxes
L’unanimisme est toujours quelque part dangereux. Ionesco nous l’a montré. Montaigne nous l’avait appris.
La bonne conscience, la bien-pensance, les certitudes qui animent le monde enseignant soudain poussé en première ligne d’un combat autoproclamé contre la barbarie doit avancer ses principes et ses idéaux avec tact et finesse, non avec la brutale maladresse du professeur de Mulhouse justement suspendu récemment (voir Le Monde du 15 janvier). Faute de quoi chacun pourra méditer cette maxime de La Rochefoucauld : « La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal. »
Après le CRS embrassé dimanche par un participant débordant de reconnaissance, voici l’École a son tour embrassée, applaudie, reconnue dans son rôle éducatif. Haie d’honneur pour ce rempart contre l’horreur et le fanatisme. L’École, comme les CRS. Détestée hier, saluée aujourd’hui.
Et les annonces de se précipiter : renforcement des mesures de sécurité d’un côté, renforcement des programmes et des opérations civiques de l’autre…
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Des « enseignants démunis »
L’expression est souvent revenue ces derniers jours après les difficultés à répondre aux réactions des élèves, moins unitaires que les foules républicaines mobilisées ce week end. Certes, il faut bien évidemment travailler avec les élèves, les former à la citoyenneté, développer leur esprit critique, les doter d’une véritable culture humaniste, mais c’est aussi les enseignants qu’il faut aider durant leur formation, renforcer leur connaissance disciplinaire, développer leurs connaissances extra-disciplinaires : droit, psychologie, sociologie…
Les dérapages sont venus ces jours-ci à la fois du côté des élèves et du côté des enseignants. En dépit des tentations ou des invitations, un professeur n’a pas à s’improviser animateur de débat. Une classe n’est ni un comptoir de café ni un plateau de télévision.
Un échange d’opinions ne construit pas un savoir ni ne constitue une séquence pédagogique. La parole de l’enseignant doit toujours rester encadrée par des programmes et des objectifs, et le devoir de réserve reste toujours une obligation.
Le temps des paradoxes
S’il est préférable de voir un professeur travailler sur le Dictionnaire philosophique (œuvre de culture) plutôt que sur un journal satirique (œuvre d’actualité), rien n’empêche celui-ci d’accompagner son cours de prolongements et d’ouvertures. La concordance des temps est la récompense de la culture.
Mais la part doit être faite entre la parole légitime, construite dans un apprentissage, et la parole improvisée qui n’engage que son auteur. L’indistinction de ces deux voix, d’autant plus menaçante que le cours est de plus en plus perméable à l’actualité, doit être soigneusement évitée.
Les événements vécus ces derniers jours ont fait surgir plus de paradoxes plus que de vérités : aimer à pourfendre les valeurs institutionnelles et aimer à défendre les valeurs républicaines. Enseigner le respect et approuver l’irrespect. Au nom de la liberté sommer de marquer une minute de silence. S’inquiéter d’Internet comme vecteur du terrorisme international et s’en féliciter comme vecteur de solidarité démocratique transnationale. Brandir la culture comme bouclier contre l’inhumanité mais ne pas l’ignorer comme armure de tous les tyrans sanguinaires.
Qui sait si Charlie deviendra une antonomase ?
Dira-t-on un jour « un charlie » pour dire un défenseur de la liberté d’expression ? Depuis trois siècles « séide » est devenu un nom commun : c’est (dictionnaire Larousse) « une personne fanatique prête à exécuter aveuglément tous les ordres de son maître ».
Originellement c’était le nom d’un personnage de tragédie. Une tragédie considérée en son temps comme l’une des plus admirables. L’auteur en est fort connu mais pour d’autres œuvres. Son nom est Voltaire et la tragédie : Mahomet ou le fanatisme (1741).
Pascal Caglar
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Sur le site de “l’École des lettres”
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• La morale républicaine à l’école : des principes à la réalité, par Antony Soron.
• Lire en hommage ? – Lire les images, par Frédéric Palierne.
• Cogito « Charlie » ergo sum, par Antony Soron.
• Le temps des paradoxes, par Pascal Caglar.
• Le bruit du silence, par Yves Stalloni.
• Trois remarques sur ce que peut faire le professeur de français, par Jean-Michel Zakhartchouk.
• Paris, dimanche 11 janvier 2015, 15h 25, boulevard Voltaire, par Geoffroy Morel.
• « Fanatisme ” , article du ” Dictionnaire philosophique portatif » de Voltaire, 1764.
• Pouvoir politique et liberté d’expression : Spinoza à la rescousse, par Florian Villain.
• Racisme et terrorisme. Points de repère et données historiques, par Tramor Quemeneur.
• La représentation figurée du prophète Muhammad, par Vanessa Van Renterghem .
• En parler, par Yves Stalloni.
• « Je suis Charlie » : mobilisation collégienne et citoyenne, par Antony Soron.
• Liberté d’expression, j’écris ton nom. Témoignages de professeurs stagiaires.
• Quel est l’impact de l’École dans l’éducation à la citoyenneté ? Témoignage.
• L’éducation aux médias et à l’information plus que jamais nécessaire, par Daniel Salles.
• Où est Charlie ? Au collège et au lycée, comment interroger l’actualité avec distance et raisonnement, par Alexandre Lafon.
• « Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers, par Anne-Marie-Petitjean.
• Discours de Najat Vallaud-Belkacem, 22 janvier 2015 : “Mobilisation de l’École pour les valeurs de la République”.
• Lettre de Najat Vallaud-Belkacem à la suite de l’attentat contre l’hebdomadaire « Charlie Hebdo ».
• Liberté de conscience, liberté d’expression : des outils pédagogiques pour réfléchir avec les élèves sur Éduscol.
• Communiqué de la Fédération nationale de la presse spécialisée.
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