Le "Rabelais" de Mireille Huchon, passionnant et magistral, sélectionné pour le Goncourt de la biographie

Cette année, Rabelais est au programme de littérature en Terminale littéraire (Gargantua), des agrégations de lettres (Le Quart livre), et du concours de l’École normale supérieure. De ce fait, la biographie de Mireille Huchon arrive à point nommé pour intéresser un vaste public.
Le lecteur non averti découvre en Rabelais un homme complexe (écrivain, médecin, moine, juriste, polyglotte, espion, alchimiste, mathématicien, astrologue…) évoluant dans un XVIe siècle dominé par François Ier, Henri VIII et Charles Quint (devenu Picrochole sous la plume facétieuse de Rabelais).

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Des connaissances perpétuellement approfondies

Les querelles religieuses, les aspirations humanistes, les débats d’idées, les croyances et les avancées de la médecine, la conquête du Nouveau Monde, les questionnements autour de la langue française – comment la codifier, quelle littérature inventer ? – apparaissent clairement, et c’est avec plaisir et intérêt que l’on croise Philibert de l’Orme, Marguerite de Navarre, Guillaume et Jean du Bellay, Guillaume Budé, ce « héros du savoir » pour Rabelais, ou Érasme qu’il appelle sa « mère », Étienne Dolet, et tant d’autres personnages marquants.
Mais les spécialistes de Rabelais, les « rabelaisants » feront aussi leur miel de cette biographie savante. Il faut dire que Mireille Huchon connaît Rabelais aussi bien que possible. Professeur à la Sorbonne (Paris IV), elle enseigne la littérature du XVIe siècle. Elle est l’auteur d’une Histoire de la langue française (Le Livre de poche, 2002), de Le Français au temps de Jacques Cartier (2009). Dans les années 80, déjà, sa thèse de doctorat d’État portait sur Rabelais grammairien. De l’histoire du texte aux problèmes d’authenticité.
Elle a édité, annoté, les œuvres complètes de Rabelais dans la « Bibliothèque de la Pléiade » en 1994 et publié encore une quarantaine d’articles sur son œuvre avant de remettre à plat toutes ses connaissances, de relire tous les textes pour écrire cette biographie, de comparer entre elles les éditions d’époque, de repenser tel passage, tel mot à la lumière de connaissances perpétuellement approfondies, affinées, révisées.
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De multiples niveaux de lecture

Fruit d’un travail minutieux, cette biographie apporte des éléments nouveaux, encore inconnus en 1994, sur les textes de Rabelais qu’elle a qualifié de « stéganographiques » à la manière de son contemporain le peintre Arcimboldo. Vus de loin, ses tableaux semblent de simples portraits. Vus de près, ils apparaissent comme des compositions de fleurs ou de fruits.
De même, les textes de Rabelais ont plusieurs niveaux de lecture. Derrière ses histoires de géants, se cachent des théories, des plaidoyers, des satires, des parti pris à décoder. « La lettre à Pantagruel » (chapitre 8 de Gargantua) par exemple, énonçant ce qu’un géant doit savoir, défend en arrière plan l’idéal humaniste et encyclopédique de Guillaume Budé.
Derrière l’arrivée de frère Jean des Entommeures (chapitre 27 de Gargantua) et son fameux récit d’un combat, il faut lire une mise en scène du sac de Rome par les lansquenets de Charles Quint et une charge violente contre le Pape Paul III réfugié, sans opposer de résistance, au château Saint-Ange. Dans le voyage du Quart Livre, il est moins question de la découverte du Nouveau Monde par Jacques Cartier que du voyage mythique des Argonautes partis à la recherche de la Toison d’or, dont le roi Henri II (sous les traits de Tiphys) serait le chef.
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Une passion pour la recherche littéraire communicative

Si Mireille Huchon, donne envie de lire ou relire Rabelais, elle communique aussi sa passion pour la recherche littéraire. Rabelais aimait à crypter son œuvre. Mireille Huchon s’emploie avec passion – comme on le ferait dans une enquête policière – à la décrypter en rassemblant des éléments qu’elle croise, recoupe, associe. Un travail sans fin car il reste encore à comprendre et à découvrir. Elle aimerait approfondir le travail de Rabelais éditeur, étudier de plus près les liens entre son œuvre et l’art de son temps, creuser sa grande proximité, sans doute, avec les humanistes allemands.
Les registres de la Sacrée Pénitencerie des archives du Vatican pourraient aussi éclairer des zones obscures de la vie de Rabelais, et notamment la date de sa naissance car on l’ignore à vingt ans près. Mireille Huchon la situe vers 1500, mais en aurons-nous jamais la preuve ? Finalement, on se demande pour qui écrivait Rabelais.
Pour un petit cercle d’amis, les Lychnobiens. Pour appuyer les thèses humanistes de Guillaume Budé et pour ses malades car il prônait une thérapie par le rire. Un rire qui fonctionne toujours avec les élèves quand on leur lit à voix haute le « torche-cul », cet inénarrable passage de Gargantua.

Patricia Delahaie

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• Mireille Huchon, Rabelais, « Biographies », Gallimard, 429 p.
Quinze études et propositions de séquences sur l’œuvre de Rabelais.
 Tous les articles de l’École des lettres sur :  Rabelais.
• Les cinq livres de Rabelais abrégés  en un volume.
 Synthèse : le programme de français en seconde et première en 2011-2012 en trois tableaux.

Patricia Delahaie
Patricia Delahaie

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Pour info l’excellent site atypique : “https://www.attypique.com/interviews-posthumes/2013/03/attypique-culture-last-interview-fran%C3%A7ois-rabelais-xxxx-xxxx-.html
    Interview posthume de… Rabelais mais aussi Victor Hugo, Boris Vian, Hammourabi….
    JP

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