Le Garçon, de Zabou Breitman et Florent Vassault :
jeu de pistes

Objet filmique hybride qui navigue du documentaire à la fiction, ce film part à la recherche d’un inconnu à partir de photos de famille trouvées dans une brocante. Chaque vie est une aventure, chaque vie est une histoire. Et celle-ci touche à l’universel.

Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Deux cents photos de famille sont dénichées dans une brocante parisienne. Des inconnus au centre desquels un garçon qui grandit de cliché en cliché, de sa naissance au tournant des années 2000. Qui est-il ? Quelle est son histoire ?

Touchés par son regard un peu triste, l’actrice et réalisatrice Zabou Breitman et le documentariste et monteur Florent Vassault font le pari un peu fou d’en retrouver la trace. Pour eux, « chaque vie est une aventure qui mérite d’être racontée ». Un dispositif se met en place. Zabou Breitman tourne une petite fiction en reconstituant certaines photos avec des acteurs professionnels, décors et costumes à l’identique. Le mystérieux garçon, alors appelé « Jean », est joué par Damien Sobieraff, son ami « Philippe » par Nicolas Avinée, ses parents par Isabelle Nanty et François Berléand.

Pendant ce temps, Florent Vassault scrute les moindres détails des photos et remonte le fil du passé de Jean, d’abord sur les plages du Cotentin, puis dans un village bourguignon, avant de poursuivre à Paris. Règle singulière : Zabou Breitman ne doit jamais être informée des progrès de l’enquête durant le tournage. Seules des bribes d’entretiens recueillis par Florent Vassault lui sont transmises pour servir de dialogues à son film. Enfin entrelacés au montage, les deux fils narratifs donnent naissance à un étrange objet filmique dont l’hybridation travaille les limites du documentaire et de la fiction. Objet étrange certes, mais en tout point captivant à mesure que l’énigmatique Jean, qui s’appelle Jacques finalement, prend corps et se révèle sous nos yeux.

L’empreinte de chacun

Le Garçon dépasse le simple récit anecdotique, et touche à des sujets aussi universels que la vie, la mort, l’oubli, les souvenirs, l’empreinte laissée par chacun. Débuté comme un simple jeu de pistes, le film suit d’abord un parcours hésitant, semé de doutes et de témoignages incertains, laissant craindre quelque cul-de-sac. Mais, contre la mémoire qui résiste, Florent Vassault insiste, frappe aux portes, interroge. Peu à peu, les éléments s’assemblent, traçant un portrait plus précis, faisant apparaître des fragments de vie. Les photos parlent enfin. Les gens rencontrés, témoins directs ou indirects de la vie de Jacques, qui les observent et qui leur donnent leur voix, deviennent alors les personnages et scénaristes du film qu’ils façonnent au gré de leurs souvenirs. Ce sont eux qui en « dictent » les dialogues, en définissent le ton et la direction. Sans complètement le défaire de son aspect ludique initial, ils le parent d’une gravité, d’une dimension tout à la fois lyrique et existentielle. À travers leurs commentaires et interprétations, ces hommes et ces femmes réveillent la réalité oubliée de Jacques et de sa famille, tout en montrant une part d’eux-mêmes. Dans leurs mains, ces images du passé deviennent le reflet de leur propre présent.

Une certaine image de la France

À travers ce voyage géographique dans le passé, Le Garçon dessine une certaine image de la France. Un peu à la manière d’Agnès Varda ou de Raymond Depardon sillonnant le pays (Les Glaneurs et la glaneuse, 2000 ; Les Habitants, 2016), Florent Vassault découvre une humanité généreuse et touchante, qui lui fait dire aujourd’hui que les gens sont « poétiques, profonds, drôles, émouvants. Ils bousculent nos préjugés, ils nous rappellent la richesse de chaque être humain, ils renforcent cette idée que chacun de nous porte une histoire. » Parti à la recherche d’un fantôme, le documentariste rencontre en chemin des personnes bien réelles. En recueillant leurs mots qui font revivre les morts, il met en lumière des récits de vie, des regrets, des rêves, et, pour certains, une confrontation intime avec leur propre finitude. Autant que la trajectoire bouleversante de la vie de Jacques, ces histoires sont l’occasion d’une profitable réflexion sur le bonheur perdu de l’enfance et la fragilité du destin, de la mémoire et des hommes.

P. L.

Zabou Breitman et Florent Vassault, Le Garçon, film français (1h38), avec Damien Sobieraff, Nicolas Avinée, Isabelle Nanty, François Berléand, Florence Muller, Jean-Paul Bordes. En salles le 26 mars.


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Philippe Leclercq
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