Le don de voix : l'enregistrement d’un livre sonore en CM2
Depuis deux années, la classe de CM2 dont j’assume la responsabilité réalise des livres sonores pour les non-voyants ou des personnes souffrant d’un fort handicap visuel.
Enseigner la littérature à l’école primaire c’est aussi partager de beaux textes et avoir toujours à cœur de prodiguer cette passion des mots à travers des lectures orales.
Lire à voix haute n’est pas seulement dire un texte mot à mot. Il y a derrière cette discipline tout un travail de compréhension, d’expression, de diction. Lorsqu’on lit oralement, on effectue trois opérations :
• une lecture visuelle silencieuse avec une attribution de sens ;
• une opération de diction où l’on dit ce qu’on a lu et compris ;
• une opération de rétroaction qui prend en compte l’effet produit sur soi-même ou sur l’auditoire.
Les enfants ne donnent pas toujours du sens à cette activité de lecture qu’ils trouvent souvent ennuyeuse.
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Pourquoi concevoir un livre sonore ?
Qui dit lecture orale, dit destinataire ! Lors d’une rencontre à la médiathèque avec l’Association narbonnaise des donneurs de voix, il a été convenu d’un commun accord de mener une action de partenariat entre ma classe et cette structure. Ce projet de lecture en lien avec les programmes de l’Éducation nationale est devenu un acte ancré dans la réalité sociale. Une collaboration harmonieuse s’est tout de suite créée entre l’école et la bibliothèque sonore.
Avant d’enregistrer le livre sonore avec le logiciel Audacity, les enfants ont travaillé durant plusieurs mois la lecture orale en respectant des critères précis : bien connaître le texte, s’entraîner à articuler les mots difficiles pour ne pas les accrocher lors de la diction, varier le ton, enchaîner les mots, marquer des silences.
Pour atteindre ces objectifs, ils se sont évalués entre eux avec vigilance et ont progressé au fil de leurs lectures.
Le don de voix a permis aux enfants de devenir exigeants envers eux-mêmes et on sent, lors de l’écoute des enregistrements, un profond plaisir de dire.
L’enregistrement regroupant ces lectures a été présenté par la classe à l’association lors d’un après-midi au cours duquel les enfants ont lu en public quelques extraits de leur production.
La fraîcheur des voix enfantines a séduit les auditeurs ainsi transportés dans le monde de l’enfance et cette circonstance a permis de créer un lien intergénérationnel profitable tout à la fois aux non-voyants et aux enfants.
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Quels textes choisir ?
Le choix des textes a été réalisé en fonction du lectorat. Les audio-lecteurs sont pour la plupart des personnes âgées devenues non-voyantes au fil du temps ; elles ne maîtrisent donc pas le braille et leur seule possibilité de demeurer en contact avec les textes est d’écouter des livres sonores.
Le travail d’enregistrement a demandé beaucoup de temps et de patience. Les élèves ont souvent été impressionnés par le matériel ou émus d’enregistrer un texte qui sera conservé et écouté.
Leur exigence les a poussé à recommencer de leur propre chef leurs lectures à plusieurs reprises, tant il est vrai que s’entendre développe l’esprit critique.
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À la redécouverte des trésors de la langue française
En outre, l’enregistrement d’un livre sonore est une occasion de redécouvrir les trésors de la langue française et de faire revivre aux audio-lecteurs un peu du temps passé avec des mots retrouvés de textes inscrits dans la mémoire collective. Le choix arrêté avec l’accord des enfants pour l’opus « Les poètes de A à Z » est un florilège de poèmes très connus (“Le Dromadaire”, d’Apollinaire ; “Liberté”, de Paul Eluard ; “Le Corbeau et le Renard”, de La Fontaine, “Conversation”, de Jean Tardieu ; “Rondeau”, de Charles d’Orléans, etc.).
Pour enregistrer des textes avec des enfants, il est en effet préférable de choisir des textes courts. Cet éventail d’auteurs leur a permis par la même occasion de se créer une première anthologie poétique. La présentation du prochain livre a eu lieu à la médiathèque de Narbonne, en partenariat avec l’association, lors du Printemps des poètes.
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Quelques exemples d’enregistrements
de contes africains par les élèves de CM2
Témoignages d’enfants
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Avant de débuter le projet, j’ai demandé à la responsable de la bibliothèque sonore de rencontrer mes élèves pour lever le voile sur toutes les questions possibles. Mme France Charles, qui est une des responsables de la bibliothèque sonore de Narbonne, est venue nous rencontrer et une interview a été réalisée par ceux-ci.
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E.M. – Pourquoi dit-on “bibliothèque sonore” ?
France Charles. – Car c’est un livre que l’on lit avec ses oreilles. Des personnes qui aimaient lire ont perdu la vue petit à petit. Elles ont tout d’abord lu avec des lunettes, puis elles sont passées à la lecture de livres en gros caractères et c’est devenu de plus en plus difficile. Ces lecteurs ont souvent envie de relire des livres qu’ils ont aimés. Au tout début, quand la bibliothèque sonore est née, on a enregistré sur des cassettes.
Y. – Qu’est-ce qui vous a donné envie de lire ?
J’étais professeur avant d’être en retraite, j’aimais lire avec mes élèves, j’aimais le théâtre. Il fallait bien articuler, capter l’attention, bien lire. Être lecteur à la Bibliothèque sonore, c’est un désir d’aider les autres, de partager les livres qu’on aime, qu’on a envie de communiquer.
A. – Depuis quand y a-t-il la bibliothèque sonore à Narbonne ?
Depuis 1983, on vient de fêter les trente ans et cela fait quarante ans que ça existe en France. Il y a à présent 115 bibliothèques en tout.
D. – Combien de personnes bénéficient des livres sonores ?
Dans l’Aude, il y en a 115 alors que 1 500 pourraient en emprunter.
M. – Est-ce que vous fournissez des livres aux maisons de retraite ?
La Bibliothèque sonore de Perpignan le fait.
A. – Combien y a t-il de livres sonores ?
Il y en a 1 700, enregistrés au format MP3.
P. – Y a-t-il de gros livres ?
Oui, parfois des livres énormes, de 600 pages.
A. – Combien peut-on emprunter de livres par an ?
Les lecteurs prennent en général quatre ou cinq livres par mois.
D. – Faites-vous des livres en braille ?
Non, car les enfants très jeunes apprennent à lire en braille dans des institutions et ils ne viennent pas emprunter de livres sonores.
(Par la suite, Mathilde empruntera des livres en braille à la médiathèque pour les présenter à la classe.)
Y. – Où se trouve la bibliothèque sonore ?
Rue Paul-Louis-Courier. Certains découvrent la Bibliothèque sonore en passant dans la rue.
E.P. – Vous êtes contente de faire des livres sonores ?
Je ne pourrais pas m’en passer.
E. M. – Y a-t-il d’autres écoles qui réalisent des livres sonores ?
Vous êtes des pionniers !
D. – Qu’enregistrez-vous?
Des poèmes, des essais, des livres d’aventures, de religion, de philosophie… et depuis dix ans des magazines et des hebdomadaires. On a aussi Tintin et le lotus bleu !
A. – Si le livre est gros, comment faites-vous ?
Auparavant un livre pouvait nécessiter vingt-six CD audio, maintenant il suffit d’un CD au format MP3.
M. – Comment choisit-on un livre si on ne voit pas ?
On a créé le Magazine de la Bibliothèque sonore de Narbonne qui paraît tous les trois mois avec le titre, le nom de l’auteur, le résumé des derniers livres.
A. – Et si le livre qu’on veut n’y est pas?
Les bibliothèques sonores sont un réseau, on peut l’emprunter et le graver. C’est un véritable échange, on découvre des livres d’auteurs qu’on aurait peut-être jamais lus.
Q. – Et si on a du mal à lire et qu’on voit, on peut emprunter les livres?
Oui, mais il faut un certificat médical. On peut prêter des livres à des personnes handicapées qui ne peuvent pas utiliser leurs mains pour tourner les pages ou à des personnes qui ont de gros problèmes de lecture.
A. – Est-ce qu’il y a des bibliothèques sonores dans d’autres pays?
Je crois qu’il va falloir faire une recherche sur internet, mais sans doute…
A. – Y a-t-il des livres dans plusieurs langues?
Non car il n’y a pas de demande.
E.M. – Y a-t-il beaucoup de personnes âgées ?
Oui de 60 à 95 ans.
P. – Combien êtes-vous dans l’association?
Il y a vingt-cinq donneurs de voix et quinze donneurs de temps pour assurer les permanences. On échange beaucoup sur les livres.
A. – En 4e, on doit faire des stages, pourriez-vous nous accueillir ?
Oui volontiers. Vous savez, ces personnes sont seules, elles manquent de relations, on organise des sorties, des rencontres, des tables rondes, on parle de choses et d’autres.
J. – L’association s’arrêtera-t-elle un jour ?
Jamais, sauf quand il n’y aura plus de non-voyants !
A. – Utilisez-vous un logiciel spécial ?
Nous utilisons Audacity. Nous enregistrons chez nous quand nous le pouvons. Cela prend beaucoup de temps. Pour dix minutes de lecture, on ne lit que quatre pages. On passe quatre fois plus de temps que pour d’une lecture normale. Il faut corriger et gommer les bruits d’un bébé qui pleure, d’un klaxon dans la rue, d’un chien qui aboie… Il faut sélectionner, réécouter, contrôler les silences…
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Témoignages
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D . – Pour le projet de l’enregistrement du livre sonore, une bénévole est venue dans la classe. En discutant avec elle, nous avons appris qu’un lecteur avait enregistré “Tintin et le lotus bleu”, que ce livre sonore était bien et qu’elle allait nous l’envoyer. Un matin, la maîtresse nous a dit qu’il était arrivé, on a écouté le début en fermant très fort les yeux. Ensuite elle nous a donné deux passages de la bande dessinée et on a fait la comparaison en réécoutant les deux premières pages. Le monsieur précisait le numéro des vignettes, les couleurs, il décrivait les personnages puis disait enfin les paroles. Cela était très intéressant.
A et Y. – On ne connaissait pas la bibliothèque sonore, mais maintenant ça nous intéresse beaucoup, ça nous tient particulièrement à cœur de pouvoir aider des non-voyants et de faire plaisir aux gens qui n’ont plus la possibilité de lire. C’est un peu comme s’ils tenaient un livre.
Depuis ces deux premiers enregistrements, une classe de collège de Port-La Nouvelle a également enregistré un livre sonore. Gageons que dans les prochaines années, d’autres établissements suivront.
Alexandra Collet-Ibanès, enseignante en CM2 à l’école Sévigné, Narbonne.
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• La collection “Chut!”
de l’école des loisirs propose
des livres lus
pour les trois à douze ans et plus, pour la plupart sélectionnés par le ministère de l’Éducation nationale
et accompagnés de pistes pédagogiques.