« L’Art des mots. Enseigner le vocabulaire au collège et au lycée », de Monique Legrand et Odile Luginbühl
Quand on n’a pas les mots… on connaît la suite, popularisée par un célèbre linguiste qui remit un jour un rapport au ministre du temps. Sa réflexion avait au moins le mérite de mettre en relief un manque que l’école essaie de combler, celui du lexique.
Chez les parents, une croyance veut que les enfants acquièrent du vocabulaire en lisant et que, surtout, ils apprennent l’orthographe. On voudrait bien qu’ils aient raison. Chez beaucoup de professeurs, l’idée est que les listes de mots ou les exercices ponctuels permettent un véritable apprentissage. On aimerait que ce soit le cas… Les choses sont plus complexes, ainsi que le démontre cet ouvrage.
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Le professeur, “éveilleur de mots”
Coordonné par deux IA-IPR de Lettres, Monique Legrand et Odile Luginbühl, L’Art des mots rassemble des travaux menés dans toute l’académie de Versailles, aussi bien en collège qu’en lycée, par un certain nombre de professeurs dont on trouvera le nom en ouverture.
Cet « art des mots » est donc avant tout un livre pratique, un ensemble d’exemples et non de modèles, exemples qui montrent que « ça marche » pour peu que s’opère une petite révolution. Comme l’expliquent les coordinatrices en avant-propos, « il s’agit moins d’aller des textes aux mots […] que des mots aux textes – textes à lire, textes à écrire et textes à dire ».
Un changement de perspective fondamental
Ce changement de perspective est fondamental. Il rappelle celui qui s’est opéré dans l’enseignement de la grammaire, partant de l’usage, du concret, pour remonter à la systématisation : rencontrer des verbes au subjonctif dans un contexte aide à en comprendre les usages. De même, et pour prendre un exemple concret, s’interroger par un diaporama (proposé dans les compléments numériques sur le site du CNDP, aide à comprendre quel sens prend le mot « circonstance », par exemple, en grammaire, dès lors que l’on parle des compléments circonstanciels. On songe ici à un magnifique petit livre de Pierre Bergounioux paru il y a quelques années, Aimer la grammaire (Nathan, 2004).
Une personnification du mot
Mais revenons au livre et à son contenu en général. Pour rappeler, d’abord, que l’enseignement du lexique figure explicitement dans les programmes et se retrouve dans les compétences du socle commun. Parler du mot « orientation », ce n’est pas seulement travailler la maîtrise du langage, c’est aussi développer la compétence « humaniste », évoquer une situation que beaucoup de collégiens et, surtout, de lycéens appréhendent avec inquiétude tant le mot est connoté… et c’est mêler le prosaïque au poétique, comme nous le prouvent, là aussi, les auteurs du diaporama visible sur le site.
L’enseignement du lexique est fondé sur des outils clairs, précis, que les auteurs fournissent en début d’ouvrage, dans un « itinéraire méthodologique ». Le mot, en effet, existe en lui-même, a une famille, entre en relation avec d’autres mots. Sans doute est-ce cette personnification du mot qui suscite l’intérêt de romanciers (ou poètes) qui voient en lui un personnage qui voyage beaucoup… Nathalie Sarraute ou Erik Orsenna, dans des registres très différents, en ont fait de sacrés héros !
Les fiches que l’on y trouvera tiennent compte de la progressivité indispensable des apprentissages. Tout commence en sixième (bien avant, évidemment, mais pas pour les professeurs du secondaire) et se termine en première ou en terminale. L’organisation des fiches est donc la même chaque fois, mettant en relief les outils pour le professeur et les élèves, faisant le lien avec les autres domaines d’activité, montrant comment cet apprentissage prend place dans le projet d’enseignement et s’attachant, enfin, à ce qui reste le plus délicat (de plus en plus !) : la recherche de l’implicite.
Des propositions nombreuses et riches
Les propositions sont nombreuses et riches : du titre d’une pièce de théâtre en cinquième à l’étude des Mémoires d’un fou de Flaubert, en passant par le lexique de la passion envisagé en troisième à partir de Rostand, Chateaubriand ou Souchon, et en seconde autour du thème de la jalousie, dans le cadre de la liaison troisième-seconde, chacun trouvera ce qu’il peut adapter à sa classe. Notons, en une époque qui a tendance à négliger ses sources antiques, que la référence aux langues anciennes est fréquente et féconde.
Notons aussi, parce que ce n’est pas contradictoire – bien au contraire –, que l’usage des TICE, et notamment de tous les dictionnaires en ligne, est précieux et apprécié des élèves. Non parce qu’il est « ludique » (cliché entré dans une certaine didactique), mais parce qu’il permet un autre usage des technologies numériques et facilite certains processus sans éliminer l’essentiel ; il faut savoir s’orienter sur Internet… Et c’est très délicat.
On ne conclura pas sans évoquer le concours, qui est un peu à l’origine de cet ouvrage, celui des « Dix mots » de la francophonie. Il a incité bien des professeurs et leur classe à partir à la chasse aux mots, à ces trésors souvent enfouis, à réveiller leur pouvoir, à donner sens à ce qui s’affadit. Les coordinatrices de l’ouvrage ne sont pas étrangères à ce concours et leur enthousiasme reste lisible dans ces pages.
Norbert Czarny
• Monique Legrand et Odile Luginbühl (dir.), «L’Art des mots. Enseigner le vocabulaire au collège et au lycée », « Repères pour agir », Scérén CNDP-CRDP, 2012.
• Monique Legrand et Odile Luginbühl donneront une conférence sur “L’Art des mots” le mercredi 16 janvier, à 18 h, à l’École nationale supérieure des arts et métiers d’Angers, dans le cadre du cycle de conférences organisé par les Lyriades de la langue française.
• Le Concours des Dix mots 2013.
• L’étude de la langue dans les Archives de l’École des lettres.
Enrichir le vocabulaire des élèves est une priorité dans l’enseignement du français, on est d’accord là-dessus. Toutes les occasions sont bonnes à saisir pour travailler cet aspect de la langue, et d’ailleurs on ne manque pas de le faire. Que l’apprentissage se fasse de façon occasionnelle ou systématique, il est guidé sur le terrain par deux principes de base qui tiennent au fonctionnement du lexique et qu’il est utile de rappeler.
D’une part, le lexique ne se réduit pas à un inventaire, à quelque stock mémorisable où les mots s’ajouteraient les uns aux autres. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’on introduit des vocables nouveaux, il faut prendre en compte les groupements déjà existants. L’ensemble se trouve réorganisé selon les latitudes que permet le système (jeu sur les familles de mots, construction par dérivation, composition…). L’apprentissage du vocabulaire en champs lexicaux répond à ce principe.
D’autre part, le lexique se présente comme un système de classement du sens où les variations sont liées à des changements de construction syntaxique. C’est l’option que j’ai développée dans la rubrique sur l’étude du champ sémantique de verbes courants, par exemple jouer (n° 2-3,2010 ). Alors le jeune locuteur découvre que le sens varie avec le contexte. Car non seulement on ne saurait mettre de barrière entre l’étude du lexique et celle de la grammaire, mais il faut lui faire découvrir que les deux domaines sont étroitement liés