« La Reine du Niagara », de Chris Van Allsburg

Inimitable, le dessin de Van Allsburg nous fait entrer de plain-pied dans le mystère. Avec la reine du Niagara, c’est le mystère d’une personnalité qu’il met en scène : comment cette veuve de soixante-trois ans, l’irréprochable Annie Edson Taylor, en est-elle venue à descendre les chutes du Niagara dans un tonneau ?
Car cette Annie Edson Taylor a véritablement existé : elle fut la première à accomplir ledit exploit en 1901. La mise en images de Van Allsburg nous fait immédiatement comprendre le besoin de théâtralité de cet étonnant personnage.

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Le personnage d’Annie Edson Taylor

Installée à Bay City, dans le Michigan, elle donne des leçons de danse et de bonnes manières : en deux vignettes le décor est planté – la bonne dame, comme sur les planches d’un théâtre, donne une leçon devant un parterre vide. Son seul élève, un petit garçon coincé dans le fond de la pièce, n’en mène pas large ; les chaises vides s’alignent tout au long des deux vignettes juxtaposées selon le principe de la concaténation, plus usuel en BD que dans les albums, rendant ainsi le pathétique de la vieille dame qui s’expose inutilement.
L’échec des cours de danse préfigure d’ailleurs l’échec de la dame. Malgré l’illumination dont elle est saisie en lisant un journal qui évoque les touristes à Niagara Falls, notre héroïne ira de déconvenue en déconvenue. La mise en scène de cette illumination est un modèle d’efficacité narrative par le biais de l’image. Avec un décor minimaliste et des procédés de symbolisation simples, Van Allsburg fait comprendre en deux vignettes comment une vie peut soudainement basculer, transformée, réanimée, par le pouvoir de l’imagination.
Héritière des Buffalo Bill et Annie Oakley, Annie Taylor décide d’accomplir un exploit : elle descendra les chutes du Niagara dans un tonneau. Bien managé, le succès est assuré : elle n’aura plus qu’à raconter sa performance aux foules qui se presseront pour l’admirer dans les foires et fêtes foraines dont l’Amérique fait ses délices en ce xxe siècle naissant.

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Le parti pris réaliste de Chris Van Allsburg

Van Allsburg retrace avec ingéniosité le parcours de la dame qui doit affronter tous les scepticismes : du fabricant de tonneaux au manager qui finira par lui voler son idée. Annie Taylor est une femme et, de surcroît, une femme âgée. Elle fait donc les frais des dures lois du marché et du dictat de l’apparence. L’exploit accompli, son manager lui vole son tonneau et préfère lui substituer une jeune femme autrement plus attirante. Notre héroïne finira tristement, peinant à convaincre les foules de Niagara Falls qu’elle est bien celle qui a descendu les chutes, tout en vendant des cartes postales.
La Reine du Niagara est le premier ouvrage de Van Allsburg qui ne relève pas de la fiction. Et c’est une réussite, une sorte de retour aux origines en dépit du sujet inattendu de l’album. Le pointillisme et les tons sépia manifestent toute la nostalgie de l’auteur pour cette Amérique du début du siècle qui se forge une mythologie mais, déjà, peine à reconnaître ses véritables héros. Malgré le parti pris réaliste, l’illustrateur conserve cette esthétique onirique qui a fait le succès de ses premières œuvres (Jumanji ou Boréal-Express) : un immeuble de dix-sept étages qui se dresse au cœur des chutes illustre magistralement la comparaison sur laquelle s’ouvre la narration.
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Un album remarquable

Les chutes sont d’ailleurs très peu représentées dans l’album : ne sont-elles pas avant tout un rêve ? Et, lorsqu’elles le sont, c’est avec une efficacité redoutable. « Oh ! mon Dieu, murmura-t-elle avant de disparaître. » Cette simple phrase s’inscrit au bas d’une double page sur laquelle Van Allsburg a dessiné le tonneau d’Annie au bord de l’abîme figuré en un large plan d’ensemble. Judicieusement, l’objet est positionné dans le coin gauche de l’image, là où l’œil ne se pose qu’en dernier lieu. Imperceptible, le tonneau a déjà disparu.
Pour son retour à l’illustration, après sept ans de silence, Van Allsburg nous offre un magnifique album, riche de la poésie des débuts et fort d’une maîtrise narrative consommée. Un album remarquable, donc, qui fera la joie des petits et des grands.

Stéphane Labbe

 
Tous les albums de Chris Van Allsburg à l’école des loisirs
Chris Van Allsburg dans les Archives de l’École des lettres.

admin
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2 commentaires

  1. j adore vos album surtout le livre de la reine du niagara avec anni qui descent les chutes du niagara dans un tonneau j ai 10 ans j ai lue votre livre les myster d ariss burdik etcelui de la reines du niagara

    • Je ne suis pas Chris Van Allsburg – l’auteur de « La reine du Niagara » – mais l’auteur de l’article. Je te félicite de savoir rêver sur les albums de Chris van Allsburg qui méritent qu’on s’y attarde et qu’on s’enthousiasme pour eux. Bonnes lectures.

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