La Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale
La Mission du Centenaire joue un rôle éducatif fédérateur exceptionnel dans la commémoration du premier conflit mondial et offre des ressources pédagogiques multiples.
L’École des lettres a demandé à Alexandre Lafon, historien, conseiller pédagogique auprès de la Mission, de préciser le rôle de celle-ci, ses principes de fonctionnement, et le calendrier des manifestations qu’elle coordonnera ou auxquelles elle sera associée.
Pour une vision exhaustive des ressources, on se reportera aux diverses rubriques du site créé par la Mission, constamment enrichi par le compte rendu d’initiatives locales ou étrangères, à tous les niveaux d’enseignement.
Le rôle de la Mission
“La Mission du Centenaire, groupement d’intérêt public créé en 2012, a pour objet de mettre en œuvre, en 2014, les commémorations de la Première Guerre mondiale afin de donner à celle-ci sa pleine dimension historique, sur le modèle du bicentenaire de la Révolution française de 1989.
Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de manifestations entre 2015 et 2018 car nous sommes dans un cycle commémoratif long, mais, à ce stade, ce seront les collectivités locales qui prendront le relais : en effet, on ne peut pas imaginer qu’il n’y ait rien en Artois en 2015 ou à Verdun en 2016.
À l’échelle internationale, la Mission du Centenaire est partenaire d’autres organismes similaires en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Russie, etc. Des feuilles de route bilatérales ou multilatérales sont mises en place. Nous travaillons avec l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), la Mission laïque française et les instituts français, notamment à travers la création d’un cycle cinématographique et d’une exposition qui sera dématérialisée et diffusée dans tous les instituts français à l’étranger.
Calendrier des manifestations
Au plan national, nous préparons de grands rendez-vous mémoriels :
• 22-28 juin 2014 : Sarajevo, cœur de l’Europe, un festival pluridisciplinaire qui associera les acteurs culturels et institutionnels de Bosnie-Herzégovine ainsi que leurs partenaires européens.
• 14 juillet 2014 : Une fête nationale aux couleurs du Centenaire réunira, à Paris, entre soixante-dix et quatre-vingts pays belligérants de la Première Guerre mondiale. Des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans de chaque pays seront invités. • 1er-3 août 2014 : La mobilisation et l’entrée en guerre seront célébrées par une campagne d’affichage dans tout le pays, avec le soutien des presses nationales et régionales.
• 12 septembre 2014 : La bataille de la Marne. Un important dispositif pédagogique associera des élèves français, britanniques et allemands aux différentes étapes de cette journée.
• 8-11 novembre 2014 : L’hommage aux combattants. À la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette, une cérémonie rendra hommage aux six cent mille combattants du monde entier tombés sur les champs de bataille du Pas-de-Calais.
Une approche culturelle
L’idée de la Mission du Centenaire, c’est de commémorer, de se souvenir ensemble, en s’appuyant sur une approche culturelle de la Première Guerre mondiale. Pour cela, nous mettons en synergie tous les acteurs de ces manifestations, et notamment les grands établissements publics – musée de l’Armée, BNF, Archives de France, institutions culturelles locales –, mais également les fédérations sportives de football, de rugby, de tennis, car les huit millions d’hommes qui se sont croisés sur les champs de bataille ont aussi pratiqué des sports collectifs, et nombreux sont ceux qui sont morts pour la France.
À l’échelle nationale, nous travaillons en lien avec des médias – France Télévisions, Le Monde, la presse quotidienne régionale… Nous avons aussi établi des relations avec des maisons de production. Un label « Centenaire » est attribué aux initiatives les plus originales.
La Mission s’est dotée d’un conseil scientifique qui comprend des historiens, des conservateurs, des archivistes, des directeurs d’établissements publics. Antoine Prost, son président, a bien signifié dès 2012 que le Centenaire devait venir d’« en bas » car il y avait une forte demande sociale autour des mémoires de la Première Guerre mondiale. L’enjeu des commémorations était donc de donner du sens à l’ensemble de ces questionnements. C’est pourquoi nous avons souhaité que soient créés, sous l’égide des préfets, des comités départementaux, pour être au plus près du terrain.
Un héritage commun partagé
L’un des enjeux majeurs de ces commémorations est la transmission des mémoires et de l’histoire de la Première Guerre mondiale : il s’agit de la rendre compréhensible et d’en faire un héritage commun partagé, notamment chez les jeunes. Il s’agit de mettre les élèves en position d’héritiers pour « patrimonialiser » cette guerre, au sens vivant du terme, afin qu’ils deviennent eux-mêmes les acteurs de cet héritage, de ce legs immatériel, autour des notions de « paix des peuples », d’engagement, de République, de construction européenne et, finalement, d’universalité.
Toucher les élèves, c’est toucher les enseignants, c’est toucher huit cent mille Français et, potentiellement, tous les parents d’élèves. Il a donc fallu sensibiliser l’ensemble de la communauté éducative à ce que j’appellerais l’« esprit du Centenaire » sous la forme d’un triptyque : partager les mémoires (familiales, locales, etc.), comprendre à partir de ces mémoires, faire sens, c’est-à-dire faire de l’Histoire.
Les comités académiques
Afin de mobiliser tout le monde, nous avons agi au niveau académique en créant des Comités académiques du Centenaire et en instituant un référent « mémoire et citoyenneté » par académie, en France et dans les territoires ultramarins – les Antilles, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte sont très impliquées.
Ces Comités académiques réunissent, notamment, des représentants des Délégations académiques aux arts et à la culture (DACC), les IA-IPR des diverses disciplines, les IEN du premier degré, des chefs d’établissements, des représentants des CRDP et du CLEMI. Ceux-ci valident les projets émanant des établissements selon plusieurs critères : le respect des programmes, l’association d’au moins deux disciplines, l’étude des traces locales du conflit, le lien entre Histoire et mémoire, le recours aux TICE.
C’est pourquoi nous disons aux enseignants : « Faites de l’éducation aux médias, travaillez dans les enseignements d’exploration “Littérature et société”, emparez-vous des TPE, de l’accompagnement personnalisé ! » Pour reprendre un mot célèbre, les commémorations sont trop sensibles et trop importantes pour être laissées aux seuls historiens…
Aujourd’hui, tous les types de classes se sont approprié le Centenaire – y compris les ULIS, REP, ÉCLAIR… Des lycées professionnels se sont lancés dans des projets particulièrement originaux : par exemple, de futurs prothésistes travaillent sur les « gueules cassées » et les avancées de la chirurgie réparatrice, des chimistes sur les gaz asphyxiants, des chaudronniers sont en train d’imaginer un monument du Centenaire. Tous ces projets, labellisés, sont décrits sur le site de la Mission et peuvent inspirer d’autres initiatives.
Pour une pédagogie par projets
Le Centenaire offre une occasion unique d’ouvrir une réflexion sur les apprentissages et d’expérimenter la pédagogie par projets. Nous avons, par exemple, publié des lettres de combattants en y associant des questionnements de professeurs de lettres et d’historiens. Pourquoi ne pas choisir une approche pluridisciplinaire ? Pourquoi travailler d’un côté sur le genre épistolaire en lettres et, de l’autre, sur la Première Guerre mondiale en histoire ? Rapprocher les deux thématiques permet de donner du sens aux élèves : « Qu’est-ce qu’écrire en guerre ? »
Souvent, la pluridisciplinarité se limite à poser des problématiques les unes à côté des autres, une démarche simultanée qui n’offre que peu d’intérêt s’il n’y a ni mutualisation, ni partage. Olivier Barbarant, inspecteur général de lettres, qui précise sur le site de la Mission la manière dont la Grande Guerre peut s’inscrire dans les programmes de français, souligne que, lorsque l’on fait étudier une lettre de combattant, il est indispensable d’y entrer par le côté sensible : « Qui est ce combattant ? » Alors qu’un questionnement purement formel dépassionne l’objet de l’étude et lui fait perdre son sens.
On peut aussi partir d’un objet – un casque, une lettre, un journal de l’époque… –, ou tirer parti d’une œuvre d’art, d’un personnage, d’une biographie. Pensons, par exemple, à Marc Bloch, sergent d’infanterie pendant le premier conflit mondial, professeur exclu de l’enseignement par le gouvernement de Vichy, résistant sous l’Occupation, fusillé par la Milice en juin 1944, et qui a donné son nom à l’université de Strasbourg… redevenue française en 1919.
“Un thème commun réclame des méthodes diverses”
Notre propos est donc de sensibiliser le monde enseignant et de montrer qu’« un thème commun réclame des méthodes diverses, et s’enrichit de ce que les compétences construites en français, en histoire, en langues vivantes ou en histoire des arts peuvent lui apporter » (voir : Comment inscrire la guerre de 1914-1918 dans les programmes de français).
De notre point de vue, les commémorations du Centenaire seront réussies si elles apparaissent comme un temps priviligié de réflexion sur l’histoire du conflit, sur sa présence contemporaine, sur son legs matériel et immatériel. Dans ce cadre, l’école et ses maîtres jouent un rôle majeur de passeurs autour d’un travail de mémoire que les élèves puissent aimer s’approprier.”
Alexandre Lafon
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• Le portail officiel de la Mission du Centenaire.
• Consulter le dossier de “l’École des lettres” : 14-18, écrire la guerre.
• ” La Camaraderie au front, 1914-1918 », d’Alexandre Lafon (Armand Colin, 2014, 544 p.) analyse, à partir de témoignages privés, l’univers relationnel complexe qui se met en place sur le front à travers une triple identité : sociale, militaire et combattante. Il est ainsi possible de saisir la manière dont s’est structurée une véritable « société du front ».