La lutte contre le harcèlement à l'école
Parmi les violences remarquables qui heurtent la tranquillité des élèves de collège et de lycée, le harcèlement moral et/ou physique reste sans doute le plus insidieux et, de fait, tout à la fois le plus pernicieux et le plus difficile à juguler.
Il semblait donc légitime que le ministère de l’Éducation nationale prît sa part dans la lutte contre le phénomène de harcèlement engagée par le gouvernement en dévoilant un arsenal de mesures concrètes.
.Le harcèlement : pas un moindre mal… une souffrance dissimulée
Définir le harcèlement par le constat revient à dessiner les contours d’une situation type. Un élève subit à intervalles réguliers des agressions verbales (de la moquerie à l’insulte), soit de vive voix, soit par le biais du téléphone portable, ou physiques (« petite tape » amicale dans la nuque, croche-pieds, crachat sur son blouson, etc.) de la part d’un ou plusieurs élèves ligués contre une victime désignée au seul motif de lui nuire : ce qui relève, au sens strict, d’une attaque ad hominem délibérée et réitérée.
En règle générale, toujours pour en rester à cette situation type, l’état psychique du harcelé décline dangereusement à mesure que son instinct de survie (résistance silencieuse) perd de sa vigueur. Comme on le voit, le harcèlement part le plus souvent de faits « banals » qui ne relèvent pas forcément de menaces extrêmes. L’objet du harceleur demeure davantage de faire progressivement perdre pied à celui ou celle qu’il présumait fragile.
Un état de non-droit
Le harcelé, comme on s’en doute, est rapidement placé dans une situation de polyculpabilité : vis-à-vis de lui-même d’abord (si on me harcèle, c’est peut-être que je le vaux bien), vis-à-vis de la communauté éducative ensuite (je ne vais pas aller voir un adulte simplement pour lui dire « qu’il y en a certains qui ne font que de m’embêter (sic) »), vis-à-vis des parents enfin (avouer qu’on me harcèle, n’est-ce pas avouer une faiblesse ?).
Le caractère très nuisible du processus de harcèlement tient à l’instauration d’une impasse. A priori, il n’y a rien à faire, juste à laisser passer l’orage en serrant les dents. Sauf que, bien entendu, les choses se passent très souvent beaucoup plus mal, allant jusqu’à générer un état dépressif que personne n’a pu, su ou voulu voir.
L’adulte complice à son insu
La ministre de l’Éducation nationale a raison de préciser, dans le préambule à sa campagne de lutte et de prévention, que le harcèlement ne touche pas que les autres. S’il existe bien quelques profils « cibles » privilégiés par les harceleurs, aucun élève n’apparaît à l’abri de ce genre de désagrément aux conséquences parfois tragiques. Par là même, il convient, du côté des adultes, de demeurer très attentif aux brusques changements de comportement d’un élève : celui, par exemple, qui sombrerait dans le mutisme ou la prostration alors qu’il était plutôt enjoué jusqu’alors.
Il importe surtout de ne jamais prendre à la légère des cris d’alarme prononcés en sourdine. Or, l’attitude la plus courante reste de dire à un élève que « tout cela n’est pas si grave », qu’« il ne faut pas s’affoler », etc.
Il est clair qu’un professeur qui voit passer plusieurs classes devant lui chaque jour ne peut être attentif à toutes les situations et à tous les changements de physionomie. En revanche, si chaque enseignant ayant repéré une forme de malaise chez un élève communiquait le fait à ses collègues, la prise en charge du problème aurait davantage de chances de s’accélérer.
Communiquer avec les tiers
Il est évident cependant que toute agression (coup, insulte) n’est pas du harcèlement. Pour rentrer dans ce champ relevant d’une pénalisation forte (conseil de discipline / exclusion de l’établissement), il faut que l’agression soit réitérée sur une période donnée.
De fait, la communication à un tiers (conseiller principal d’éducation, par exemple) d’une présomption de harcèlement ne doit plus être considérée comme la marque d’un excès de zèle.
En réalité, l’état d’alerte demeure tout à fait louable, même dans le cas où le harcèlement devrait être au final relativisé. On voit bien à ce niveau, comme dans toute détection d’un cas problématique, qu’on oscille entre une volonté de relativisation et une intuition de gravité des faits.
Dans le cadre d’une communication professionnelle, il se révèle fondamental d’exprimer cette intuition, même encore à l’état d’hypothèse, plutôt que d’attendre des signaux bien plus dramatiques pour oser exprimer un ressenti.
Double visée d’une politique contre le harcèlement scolaire
La prévention du harcèlement est primordiale. Il s’agit donc d’en expliquer le processus aux élèves. En effet, pour certains d’entre eux, pour qui l’insulte est monnaie courante, le fait d’agresser systématiquement et régulièrement n’a rien de grave en soi. Cela relèverait même d’une forme de coutume comportementale. Coutume que l’on retrouve dans la stigmatisation de « l’intello » de la classe.
Il y a un vrai travail de prise de conscience à mener en ce sens. Toutefois, dans le même temps, il convient de donner des solutions aux élèves harcelés, de leur expliquer les voies pour s’en sortir, les personnes à prévenir. Le petit monde scolaire reste à bien des égards un monde du ou des silences. Et l’on sait bien que les murs du silence sont propices à tous les drames.
De façon corrélative, il est nécessaire que les professeurs bénéficient d’éclairages concernant un phénomène pas si simple à appréhender et encore moins à détecter. Il s’agit là du second volet de la prévention, à destination des adultes cette fois. Pour autant, il n’y a pas à stigmatiser les enseignants comme le fait de façon un peu forcée le court-métrage qui sert de point d’ancrage à la campagne contre le harcèlement en milieu scolaire.
Que l’action du harceleur s’enclenche quand l’adulte a le dos tourné, cela va de soi. C’est même la caractéristique de ce comportement déviant. Chacun le comprendra aisément, le harceleur joue avec sa victime en établissant une relation « cachée » de dominant et de dominé. On est bien, par conséquent, dans quelque chose qui n’a rien d’ostentatoire, répétons-le. Malgré tout, il reste évident que la communauté éducative se doit d’être plus à l’écoute de cette souffrance silencieuse de l’élève qui en donne des signes sans pouvoir la dire.
Antony Soron, ÉSPÉ, Paris
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• Plateforme du ministère de l’Éducation nationale : Agir contre le harcèlement à l’école.
• Télécharger le dossier Agir contre le harcèlement à l’école (pdf).
• Climat scolaire et prévention des violences.
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Voir également :
• Violences scolaires et éducation, par Pascal Caglar.
• Des clés pour améliorer le climat scolaire. Entretien avec Caroline Veltcheff, propos recueillis par Norbert Czarny.
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