« La Fille du régiment », de Donizetti, à l’Opéra Bastille

Une carte d’état-major géante occupe la scène. Deux personnages grotesques y sont visiblement perdus, la marquise de Brekenfield et son compagnon, qu’elle rudoie à souhait.

Un vieux soldat rassure ces nobles tyroliens qui craignent l’arrivée des Français.

Puis paraît une jeune fille attifée en soldat. C’est Marie, le garçon manqué, élevée depuis sa naissance dans le 21e régiment de grenadiers où elle occupe consciencieusement la fonction de vivandière au milieu de ses « pères » qui la protègent et l’adorent.

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Le plus français des compositeurs italiens

Gaetano Donizetti est le plus français des compositeurs italiens. Né à Bergame en 1797, il demande dès 1834 à Balzac, son contemporain à deux ans près, de l’introduire auprès de ses amis et en 1835, il se rend à Paris, invité par Rossini. Son Marin Faliero, joué en avril aux Italiens, lui vaut la Légion d’honneur.

Après des opéras fameux comme Lucia di Lammermoor (1839) et de nombreux voyages, il quitte Naples en 1838 pour s’installer à Paris. Compositeur prolifique, il assimile littéralement le style français et comprend que la nostalgie de l’épopée napoléonienne prévaut sous la Monarchie de juillet. Le retour des cendres déclenche l’écriture de La Fille du régiment. Cette histoire d’amour entre Marie et son Tyrolien Tonio, sur fond de musique militaire, devient l’opéra le plus français du répertoire parisien.

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La source :  » La Chartreuse de Parme », de Stendhal

Le livret est d’ailleurs écrit originellement en français. Donizetti a confié aux librettistes Jules Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François Alfred Bayard le soin d’«apporter des émotions sur scène et non des batailles ». L’intrigue a pour source l’aventure de la marquise del Dongo avec le lieutenant Robert dans La Chartreuse de Parme. En pleines guerres napoléoniennes, elle donne une image d’Épinal d’une armée bon enfant.

Donizetti compose une partition qui va devenir l’un des sommets du bel canto. On y trouve en effet, à côté des couplets propres à l’opéra-comique, les formes italiennes que sont les cabalettes sur rythme de valse inaugurées par Rossini dans le duo Almaviva-Figaro du Barbier de Séville, le duo nostalgique et passionné entre Maria et Tonio « Le beau pays de mon enfance » ou la romance de Marie « Il faut partir ».

La teinte militaire, quoique pratiquée aussi en Italie, ressortit à l’esprit gaulois, déjà saisi par Rossini dans Le Comte Ory (1828). Mais Donizetti parvient à donner à cette veine cocardière des accents rythmiques savants qui l’élèvent bien au-dessus des mélodies populaires.

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Le goût de la nature et du naturel

Ce sont les romances qui constituent  les plus beaux moments de La Fille du régiment, exprimant le goût de la nature  et du naturel qui, selon la tradition rousseauiste, s’oppose si fort dans cette œuvre aux affèteries des salons. Donizetti réussit à fondre harmonieusement plusieurs traditions stylistiques. Mais l’œuvre est particulièrement renommée pour l’air du ténor, « Ah ! mes amis, quel jour de fête ! », qui ne comporte pas moins de neuf contre-ut se succédant sur un rythme rapproché.

La France, sous la plume du compositeur italien, devient le pays de la générosité et des rêves enfantins, visualisés avec tendresse par la mise en scène  de Laurent Pelly : ses grenadiers ressemblent à des soldats de plomb sur cette gigantesque mappemonde, et les conflits guerriers passent au second plan devant la bataille de l’amour, indifférente aux frontières et aux classes sociales.

Felicity Lott campe une duchesse de Crakentorp pleine d’autorité, Désirée Rancatore et Celso Albelo, par leurs tendres envolées lyriques qui contrastent si fort avec le fond militaire, animent avec un humour communicatif cette comédie gaie, romantique et colorée, véritable remède contre la morosité.

Anne-Marie Baron

• « La Fille du régiment » à l’Opéra-Bastille.

• Stendhal dans les Archives de l’École des lettres.

Anne-Marie Baron
Anne-Marie Baron

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