La bienveillance en question
Les candidats au bac, série S, signent depuis cette semaine une pétition contre les dernières épreuves de maths qu’ils jugent trop dures (slogan “Arrêtez le carnage”). Certains médias qui relaient cette information ne manquent pas d’ajouter ce commentaire: pourtant plus de 90 % d’entre eux obtiendront leur bac. Traduisez : les épreuves ne sont pas si difficiles puisqu’ils réussissent en masse.
Loin de suggérer la mauvaise foi ou l’inconséquence des candidats, cette protestation lycéenne révèle au contraire l’honnêteté des élèves aux yeux de qui la maîtrise réelle du programme importe plus que sa notation, la réussite personnelle plus que l’évaluation nationale. Leur réaction intègre semble insensible à cette mystérieuse alchimie qui pourtant, année après année, change la boue des épreuves en or des résultats.
Cette transmutation savante s’opère selon un procédé très simple nommé : bienveillance. C’est trop dur mais la note est douce : bienveillance. C’est pas bon mais ça passe : bienveillance. On n’y arrive pas, mais on s’en sort : bienveillance. Ce que nous dit cette fronde lycéenne c’est que trop de bienveillance tue l’estime de soi.
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“Privilégier l’évaluation positive et bienveillante”
Cet avertissement sera-t-il entendu ? la bienveillance n’est-elle pas un mot d’ordre en voie d’officialisation ? Déjà la circulaire de rentrée, dans son annexe 3 (l’évaluation des acquis), affiche cet objectif hardi : “privilégier l’évaluation positive et bienveillante“. Et de fournir des pistes pour une évaluation repensée : promotion des compétences, évaluation positive, appréciation révisée, encouragements multipliés. Bienveillance généralisée.
S’est-on avisé qu’une telle recommandation est quelque peu offensante pour les professeurs ? Peut-on laisser entendre qu’ils ne pratiquent pas assez la bienveillance, qu’ils ne prodiguent pas assez les conseils, qu’ils ne motivent pas suffisamment les élèves, qu’ils n’expliquent pas clairement leur note et leurs attentes ? Il faudrait pourtant que tout le monde sache que le prof caustique, cassant, cruel (“tous nuls“, “veux pas le savoir”, “c’est pas mon problème“) est plus un type de comédie, une caricature comique qu’un enseignant réel en poste dans un collège réel.
Mais soyons bienveillants envers ceux qui ne le sont guère avec nous. Après tout il est bon de réfléchir à l’évolution de l’évaluation, il est bon de mettre l’enseignant face à ses responsabilités, il est bon de regarder les choses en face.
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Il faut ouvrir le chantier de la réforme des épreuves en même temps que celui des programmes
Face au problème de l’évaluation, la notation n’est qu’une réponse de biais. Pour une vue globale, il faudrait prendre en compte les épreuves à évaluer, travailler sur une évolution des épreuves, les rendre plus adaptées, plus ajustées, plus proportionnées aux capacités des élèves. Plutôt que de remonter les notes, plutôt que de changer les barèmes, plutôt que de chercher une goutte d’espérance dans un désert d’impuissance, combien d’épreuves, combien d’examens gagneraient en authenticité à voir simplement leurs exercices remaniés, réorientés, conformés au potentiel des candidats !
Réviser les épreuves c’est reconsidérer de facto l’évaluation. La bienveillance c’est veiller à bien choisir ses exercices d’évaluation. Il faut ouvrir le chantier de la réforme des épreuves en même temps que s’ouvre le chantier des programmes. Les exercices ne sont pas immuables, ils vieillissent comme certains auteurs.
Les qualités d’expression, de compréhension, de mobilisation de connaissances ou de culture peuvent trouver de nouveaux supports pour être développées et vérifiées. Les ateliers d’écriture sont une piste, l’écriture journalistique en est une autre, la rhétorique a son histoire d’exercices divers, et bien d’autres combinaisons de textes, de corpus, de formulations sont encore à concevoir.
S’il faut imaginer l’élève heureux, changeons sa pierre, changeons son épreuve.
Pascal Caglar
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• La circulaire de rentrée 2014.
• Sur les ateliers d’écriture, voir notamment :
– Enseigner l’écriture créative est une nécessité pour la filière Lettres, par Norbert Czarny ;
– Un diplôme universitaire de formation à l’écriture, par Anne-Marie-Petitjean ;
– Les ateliers d’écriture dans les Archives de « l’École des lettres ».
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