"Je suis Charlie" : mobilisation collégienne et citoyenne

Panneaux "Je suis Charlie", Paris, 11 janvier 2015Le mercredi 7 janvier, Le Monde, horaire de bouclage oblige, eut l’inconsciente désinvolture de placer en une la photo de Michel Houellebecq photoshopé en prophète maudit, façon Baudelaire en couleur.
L’événement du mercredi noir était évidemment ailleurs, dans une autre rue de Paris.
Cabu, Wolinski et toute la bande des crayonneurs « flingueurs », s’ils n’avaient pas été lâchement assassinés par des « sans yeux » et « sans visage », n’auraient sans doute pas pris de gants pour déformer, rigolards, la posture un brin caricaturale du chantre de l’anticipation romanesque nauséeuse.

 

Rire est le propre de l’homme – encore et toujours

Depuis, la France est en deuil. Mais il ne s’agit pas d’un deuil de circonstance. Place de la République, le chagrin est profond, immense, comme si les kalachnikovs des deux barbares, en plus de prendre des vies innocentes et rieuses, avaient atteint le cœur et l’esprit de la communauté nationale. Charlie Hebdo qu’on assassine et c’est la France de Droit de réponse qui est lapidée, celle des Guignols de l’info aussi.
À l’époque de Baudelaire, déjà, les caricaturistes de l’Hexagone aiguisaient leurs plumes. Avec le temps, elles seraient de plus en plus égrillardes et insolentes. Depuis, dans chaque feuille de chou, avec son lot quotidien de malheurs et de désespérance, l’artiste caricaturiste aide les lecteurs de tous bords et de toutes confessions à leur résister en provoquant leur rire (cf. le dessin de Plantu dans Le Monde, 7 janvier 2015).
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Les valeurs républicaines bafouées

Les élèves de lycée, notamment, seront sensibilisés à la tragédie que le pays est en train de vivre. Mais sans attiser ni l’esprit de vengeance, ni la polémique. Il ne sera pas question, par exemple, d’afficher en classe les caricatures tant décriées du prophète Mahomet. Mais plutôt de travailler sur les dessins corrosifs qui dénoncent les travers de la société humaine. Et pas simplement ceux des artistes qui viennent d’être rayés de leur planche à dessin dans un bain de sang.
L’urgence citoyenne est de considérer que l’époque peut être interprétée à travers les dessins qui la disent et en dénoncent certains travers, mais aussi à travers l’analyse des réactions produites par la diffusion des images qui interpellent et font parler d’elles. Les élèves doivent être mis en situation de se questionner sur le sens  de la « liberté d’expression » fondatrice de notre république.
Par là même, ils seront en mesure de comprendre que le dessin a aussi une valeur d’engagement contre la barbarie. Et que, par conséquent, il est aussi risqué que nécessaire de prendre la bêtise à revers, sous le front qu’elle méconnaît le plus, celui l’humanisme de l’homme qui rit.
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Mobilisation collégienne et citoyenne

Les établissements scolaires de région parisienne et de province ont fourmillé d’initiatives en tous genres qu’il faudrait pouvoir recenser pour attester du réveil de l'”homme révolté » de Camus. Celles des professeurs qui ont ouvert tant et tant de débats « régulés » sur la liberté d’expression, la nécessité de l’humour dans la société, de l’engagement des artistes ” comiques ». Moins écervelés qu’on ne le prétend trop souvent, des élèves de cinquième ont, quant à eux, pris le poète au mot et écrit d’une seule voix, dans des séances d’arts plastiques, Je suis Charlie, de toutes les couleurs, sur tous les supports, en recherchant le plus d’effet possible.
Il y avait là, au moins pour ce que nous en avons vu, comme une urgence à conjurer ses peurs et ses angoisses, mais aussi à se délivrer d’une colère juste et profonde. Cette dynamique citoyenne a été mesurable par la circulation de pétitions Pour la liberté d’expression ou Pour le droit à l’humour.
Et puis il y eut la minute de silence…
Quelque chose était visible dans les yeux de la plupart, comme si on avait « touché à leurs potes ». Cabu doit se marrer là-haut : une bande de jeunes n’est pas forcément une bande de cons !
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On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde…

Aux plus grands enfants, soit aux petits-fils des « anges » de Charlie, on ne saurait trop conseiller la lecture ou la relecture de Greffier. Les carnets de Joann Sfar, publié aux éditions Shampooing en 2007, et retraçant le fameux procès des caricatures.
"Grefffier", de Joann SfarUn procès que la société française n’a peut-être pas assez analysé et mûri, confessait un Philippe Val défait, hier, à l’antenne de France Inter. On y retrouvera notamment en préface, la phrase fondamentale de Richard Malka, avocat à la Cour, qui constitue sans doute le plus beau sujet de réflexion en ce jour de deuil national et peut-être aussi le plus bel hommage aux disparus afin que leur « écho des savanes » ne cesse jamais de retentir :
« Quinze année à défendre Philippe Val, Cabu, Tignous, Charb, Luz et tous les autres comme une louve défendait ses petits. J’ai plaidé le droit à l’humour féroce lorsqu’il s’exerce à l’encontre des puissants et des institutions, le droit à la caricature et à la satire, le droit à la polémique.
J’ai plaidé pour tous ces droits rabelaisiens, bouffées d’oxygène d’une démocratie, sympathiques soupapes de sécurité des tensions sociales et politiques mais je n’avais jamais plaidé de procès aussi intense, aussi symbolique et fondamental que celui des caricatures de Mahomet. »

Antony Soron

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Un poème d’une élève de 5e, onze ans

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Je resterai Charlie

 

Il y a eu une rafale

Ce n’était pas du vent

Ce n’était pas une tempête

Ou plutôt, si, une tempête

Une vague de terreur

Je n’étais pas là

J’étais ailleurs, peut-être là bas, ici ou là

En tout cas, je n’y étais pas.

Je n’ai pas entendu les cris

Je n’ai pas vu le sang

Mais je ne pense qu’à ça

Car aujourd’hui, je ne suis rien

Je suis en deuil aujourd’hui

En deuil national

Aujourd’hui, et pour longtemps

Je ne suis plus rien

On a arraché leur destin.

Ils étaient libres eux

Je ne le suis plus

Leurs noms font tout le temps écho :

Cabu, Wolinski, Tignou et Charb

Cabu, Wolinski, Tignou et Charb.

Je sais aujourd’hui, que je suis détruit

Partout dans la rue, je peux être visé

Mais désormais, je me fiche des rafales

Des kalachnikovs, qui ont tant fait de dégats

Qui ont pris des vies

Pourquoi pas moi ?

Alors, que faire ?

Avoir peur ?

Continuer ?

Oui, frères, continuez le combat

La France est et restera libre

Pour eux, nos frères d’hier, continuons

Ne partons pas.

À partir de maintenant, je ne suis plus rien.

Je repars de zéro.

Je découvre l’horreur, le carnage

Mais je resterai Charlie

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Sur le site de l’École des lettres
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• La morale républicaine à l’école : des principes à la réalité, par Antony Soron.
• Lire en hommage ? – Lire les images, par Frédéric Palierne.
• Cogito « Charlie » ergo sum, par Antony Soron.
Le temps des paradoxes, par Pascal Caglar.
Le bruit du silence, par Yves Stalloni.
• Trois remarques sur ce que peut faire le professeur de français, par Jean-Michel Zakhartchouk.
• Paris, dimanche 11 janvier 2015, 15h 25, boulevard Voltaire, par Geoffroy Morel.
• « Fanatisme ” , article du ” Dictionnaire philosophique portatif » de Voltaire, 1764.
• Pouvoir politique et liberté d’expression : Spinoza à la rescousse, par Florian Villain.
Racisme et terrorisme. Points de repère et données historiques, par Tramor Quemeneur.
 La représentation figurée du prophète Muhammad, par Vanessa Van Renterghem .
En parler, par Yves Stalloni.
« Je suis Charlie » : mobilisation collégienne et citoyenne, par Antony Soron.
• Liberté d’expression, j’écris ton nom. Témoignages de professeurs stagiaires.
• Quel est l’impact de l’École dans l’éducation à la citoyenneté ? Témoignage.
L’éducation aux médias et à l’information plus que jamais nécessaire, par Daniel Salles.
Où est Charlie ? Au collège et au lycée, comment interroger l’actualité avec distance et raisonnement, par Alexandre Lafon.
• « Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers, par Anne-Marie-Petitjean.
• Discours de Najat Vallaud-Belkacem, 22 janvier 2015 : “Mobilisation de l’École pour les valeurs de la République”.
Lettre de Najat Vallaud-Belkacem à la suite de l’attentat contre l’hebdomadaire « Charlie Hebdo ».
Liberté de conscience, liberté d’expression : des outils pédagogiques pour réfléchir avec les élèves sur Éduscol.
Communiqué de la Fédération nationale de la presse spécialisée.
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Antony Soron
Antony Soron

2 commentaires

  1. Je trouve que ce poème est très émouvant.Je trouve que c’est important qu’une enfant du même âge que moi(sauf que je suis en 6eme)et que TOUT les enfants s’exprime,de différentes façon;par des poèmes,par des chansons ou tout simplement en n’en parlant avec ses proches,ses profs…
    Je voulais juste dire merci a cette enfant!
    Je la félicite!

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