Hommage à Dominique Bernard :
témoignage 1
Par Alexandre Lafon, professeur d'histoire
Professeur d’histoire, Alexandre Lafon perçoit l’attentat mené à Arras le 13 octobre et l’assassinat de Dominique Bernard comme un nouveau coup porté à l’institution scolaire. Une institution dont on ne se souvient, selon lui, jamais autant que lors d’un drame, et qui n’est plus défendue comme creuset de la Nation.
Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire
Le corps enseignant est encore frappé. Au sens propre et au sens figuré. L’attentat dans la cité scolaire d’Arras (Pas-de-Calais), le 13 octobre, et l’assassinat d’un nouvel enseignant, Dominique Bernard, héroïque car s’interposant pour contrer celui qui voulait attaquer son collègue, ravivent les plaies de la République.
L’école a été visée et ses premiers serviteurs : les enseignants. Elle a été visée parce qu’elle est un des derniers lieux où survit l’apprentissage du vivre ensemble, du faire Nation. Pour cela, on lui demande tellement, sans vraiment lui donner en retour.
Il sera temps d’écrire davantage après l’émotion, après la sidération. Pour l’instant, ma peine infinie (ai-je embrassé la carrière pour penser qu’un jour, je pourrais ne pas rentrer le soir chez moi ?) se noie dans la colère.
À force de lui demander d’enseigner, en plus des matières qui lui incombent, les valeurs de la République, la santé, le bien manger, la psychologie positive… ; à force de lui demander de lutter contre le harcèlement qui ne serait que scolaire, et donc la concernerait seulement (alors que le phénomène est sociétal), l’école est surchargée. Elle est fatiguée des injonctions, des pressions sociales, des contradictions qu’elle doit dépasser.
Et voilà désormais que des enseignants sont tués dans son enceinte. Eux, qui seraient les derniers remparts du contrat social républicain. Eux qu’on ne considère jamais autant comme des symboles de la République que quand ils sont tués.
Et l’on sent, dans la décision d’un hommage à Dominique Bernard dans les écoles, mais non national dans l’espace public, un manque de spontanéité. Qui va sortir soutenir son monde enseignant hors des habitants d’Arras ? Le peu de réponses souligne le délitement du contrat social.
La minute de silence décrétée ce lundi 16 octobre à 14 heures, dans tous les collèges et lycées, par le ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, sera surtout observée dans un entre-soi marqué par le deuil, les questions et l’inquiétude. Elle dira un paradoxe français : une école symboliquement présente, dont tous les politiques disent le mieux, mais un affaiblissement de sa capacité à faire Nation.
La République a besoin de cohérence, d’un projet, d’une restauration pleine de l’école qui la fonde : pas de démocratie sans citoyens éclairés. L’école a besoin de citoyens et citoyennes qui la défendent comme fondement du vivre ensemble. Elle a besoin d’une politique plaçant l’éducation au centre, pas d’un service public de garde. Nous sommes toutes et tous redevables de notre école, et toutes et tous responsables de notre école.
Pour rester debout après ce drame, les enseignants ont besoin d’un horizon et que l’ensemble de la société valorise leurs actions, comme ils les mettent en oeuvre chaque jour, au profit de leurs élèves, de tous leurs élèves.
Ressources :
- Dominique Bernard, tué dans son lycée à Arras
- Hommage à Agnès Lassalle
- Agnès Lassalle, tuée dans sa classe
- Quels textes pour l’hommage à Samuel Paty ?
- Hommage à Samuel Paty
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.
A. L.