Histoire de France populaire,
de Laurence De Cock : n’oublier personne

Une histoire de France populaire de la Préhistoire à 2024, s’appuyant sur des études historiques solides, tout en rendant le récit accessible à tous : tel est le pari réussi de l’historienne Laurence De Cock. Son dernier ouvrage peut éclairer bon nombre de professeurs du primaire au supérieur.
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie (Seine-Saint-Denis)

Une histoire de France populaire de la Préhistoire à 2024, s’appuyant sur des études historiques solides, tout en rendant le récit accessible à tous : tel est le pari réussi de l’historienne Laurence De Cock. Son dernier ouvrage peut éclairer bon nombre de professeurs du primaire au supérieur.

Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie (Seine-Saint-Denis)

Dès les premières lignes, le cadre est fixé : le nouvel essai de Laurence De Cock est une remise en cause du récit national qui a pour objectif « de fournir une origine et une identité aux Français », avec « de l’aventure, des héros, des drames », annonce le prologue. En effet, précise l’historienne, le récit national laisse de côté les personnes ordinaires et « porte un regard sur l’histoire depuis le haut du monde social, jamais depuis sa base ». Avec une autre historienne, son amie Suzanne Citron, autrice du premier livre de référence sur « le mythe national », Laurence De Cock a« beaucoup déconstruit mais finalement assez peu fait de contre-propositions. J’avais envie de me lancer. »a-t-elle expliqué dans une interview pour le site Café pédagogique. Pas seulement remettre en cause donc, mais proposer un autre récit qui prenne en compte le peuple dans son entier, y compris ceux que le récit officiel a oubliés, négligés, occultés.

Ce livre met l’accent sur la notion de Nation, sa très lente construction (les Gaulois n’avaient pas conscience d’appartenir à un même peuple) du Moyen Âge au XIXe siècle, avec une IIIe République développant un patriotisme exacerbé pour préparer le peuple à prendre sa revanche sur l’empire allemand après la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871.

Comme annoncé dans le prologue, le peuple apparait dans toutes ses composantes : femmes, paysans, ouvriers mais aussi esclaves et immigrés qui ont participé à l’histoire de France, notamment à travers leurs luttes, mais pas seulement. Laurence De Cock n’est pas la première à s’attaquer au sujet. Les éditions Agone ont publié L’histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn en 2002, et L’histoire populaire de la Franc de Gérard Noiriel en 2018. « Pour Zinn, il s’agit surtout de faire l’histoire du point de vue des dominés ; pour Noiriel, d’interroger les rapports de domination et le caractère fluctuant du « peuple » », évalue l’historienne qui s’en inspire « en y ajoutant d’autres moments historiques souvent négligés, et surtout d’autres acteurs et actrices. »

Forte volonté pédagogique

Laurence De Cock enseigne l’histoire, et cela se sent à la lecture. Son essai est didactique et s’adresse à tout le monde. Professeure agrégée en lycée à Paris, elle enseigne également la didactique de l’histoire, l’histoire et la sociologie de l’éducation à l’université de Paris-Cité. Pour lire son livre, nul besoin d’être érudit. Au fil des pages, elle fait découvrir les luttes de groupes d’individus souvent mis de côté et que les enseignants du primaire et du secondaire pourront utiliser à travers des anecdotes racontées à leurs classes. Son livre permet également de prendre du recul sur notre conception de l’histoire de France et donc forcément sur la manière d’enseigner cette matière.

« J’ai beaucoup pensé aux professeurs des écoles que je forme ou avec lesquels je travaille en écrivant ce livre », confie-t-elle. Chaque fin de chapitre comporte une conclusion intitulée « En aparté », qui marque sa volonté pédagogique en synthétisant le thème abordé et l’essentiel à retenir. Les dessins de l’illustrateur Fred Sochard sont particulièrement bien réussis, notamment celui montrant une statue de Jules Ferry déboulonnée par des militants qui lui reprochent son implication dans la colonisation et les justifications racistes qu’il en a faites à la chambre des députés. Ce dessin reflète assez bien l’esprit du livre.

L’ouvrage recèle bon nombre d’informations originales et peut servir de boîte à outils pour les enseignants d’histoire et de français dans le secondaire, notamment au collège. En effet, il aborde tous les thèmes étudiés dans les cours d’histoire du cycle 4, de la cinquième à la troisième.

Pour la classe de cinquième, le renforcement de l’État royal au Moyen Âge est appréhendé sous cet angle permanent dans le livre : la façon dont le peuple conçoit les changements qui conduisent vers la fin de la féodalité et voient l’émergence d’un pouvoir centralisé. Se révèlent des révoltes méconnues, comme celle des Rustauds en 1525 (nom qui provient des chaussures à lacets que portaient les non-nobles), menée par un artisan lettré en Alsace et en Lorraine. La situation du peuple sous Louis XIV est aussi étudiée de manière approfondie, et même si la plupart des enseignants l’évoquent déjà un peu avec leurs élèves, elle est un rappel nécessaire. Le rayonnement de la France en Europe et dans le monde s’est construit au détriment du peuple français. Étouffé par la fiscalité royale, les guerres incessantes, le peuple connaît encore à la fin du XVIIe des périodes de famine.

Colonisation et économie de la plantation

Concernant la classe de quatrième, le chapitre sur l’esclavage par exemple fourmille d’histoires intéressantes, et décrit avec justesse la colonisation et l’économie de la plantation dans l’océan Indien et les Antilles. Il relate l’histoire des engagés volontaires ou forcés et des émigrés sans ressources qui doivent trois ans de travail aux maîtres de la plantation, ce qui était censé correspondre au prix de la traversée. Ce n’est qu’après cette période que les engagés obtiennent le statut de colons avec une petite propriété.

Sur le sujet de l’esclavage, il faut reconnaître que les programmes d’histoire de 2016 ont bien évolué, et les manuels scolaires ont fait des efforts de clarté. Les luttes ouvrières du XVIIIe siècle sont analysées en détail, notamment celles des Canuts en 1831, puis une révolte aux répercussions nationales en 1834 dans la ville de Lyon. « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant », telle était la devise des tisserands de la soie lyonnais. Leur révolte fera apparaître le mépris de classe des « ouvriers décrits comme des étrangers au corps social, des ennemis de l’intérieur », selon un journal de l’époque.

La place des femmes dans l’histoire n’est jamais oubliée, et on apprend entre autres choses la tenue en 1878 du congrès international du droit des femmes dans le cadre de l’exposition universelle de Paris avec sa porte-parole, Hubertine Auclerct, la première suffragette française qui a condamné le racisme envers les Arabes lors d’un long séjour en Algérie. Comme quoi, les groupes discriminés n’ont pas attendu le XXIe siècle pour faire converger leurs luttes…

Une petite moitié du livre est consacrée au XXe et début du XXIe siècle, soit le programme de troisième. Faute de temps avec un programme très chargé, les professeurs d’histoire enchaînent les chapitres de la Première Guerre mondiale jusqu’à 2007, en consacrant l’essentiel de leurs études aux guerres et grandes ruptures de ce siècle, et laissent souvent de côté une approche plus humaine (ce qui est moins le cas dans les cours de cinquième et de quatrième). D’où l’intérêt d’une description très précise du monde ouvrier tout au long de cette période avec un chapitre également sur la place des travailleurs immigrés depuis les Trente Glorieuses et les luttes qui ont lieu ensuite, notamment dans les foyers de travailleurs.

« L’histoire scolaire ne construit pas à elle seule du sentiment national ; et heureusement. L’enseignement de l’histoire doit plutôt faire réfléchir […] Il donne des éléments de compréhension sur des processus historiques comme la construction de l’État-nation par exemple », estime Laurence De Cock. Ce livre constitue une bonne base pour tous les enseignants qui souhaiteraient aller dans cette direction.

J.-R.K.

Laurence de Cock, Histoire de France populaire, d’il y a très longtemps à nos jours, 560 pages, 29 euros.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Jean-Riad Kechaou
Jean-Riad Kechaou