Haro sur l’Histoire ? Quand les candidats à l'élection convoquent le passé
L’élection présidentielle est traditionnellement un temps privilégié où l’histoire de France s’invite dans les débats. Les candidats convoquent dans leurs discours enflammés tour à tour les grandes figures tutélaires de la France.
Les Français aiment à entendre conter leur passé. L’Histoire est forcément sérieuse chez nous : on ne prend pas à la légère la Révolution française qui fonde la grande césure droite/gauche si décriée et pourtant si opérante encore ; ni avec la République qui en fut un des fruits.
Chaque camp entretient son panthéon, enrichi parfois de nouveaux personnages que l’on retient par souci de nouveauté ou par intérêt. Certains n’hésitant pas, à puiser dans l’autre camp des soutiens « historiques », à l’image de Nicolas Sarkozy se référant en 2007 à Jean Jaurès ou Guy Môquet [1], ce qui ne manqua pas de faire grincer des dents.
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Comment les candidats conçoivent-ils l’histoire scolaire ?
L’Histoire devient, tous les cinq ans maintenant, une sorte de marronnier des élections présidentielles. Pour preuve le succès public rencontré par l’Histoire mondiale de la France, ouvrage collectif dirigé par Patrick Boucheron et le hors-série de L’Histoire de mars 2017 intitulé L’histoire de la France, la grande querelle.
En ces temps où l’identité nationale reste un enjeu de polémique politique, à l’heure où sévit la campagne, comment les onze candidats nous parlent-ils d’histoire ? Quels sont leurs icônes et comment conçoivent-ils l’histoire scolaire ?
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• Jean-Luc Mélenchon
À gauche, le tribun et cultivé Jean-Luc Mélenchon s’impose comme le champion des références au passé. On est frappé par la profondeur de la démarche historique qu’il développe : « Je trouve que toutes les références à l’Histoire sont productives parce qu’elles nous obligent à réfléchir », explique-t-il. Lorsque les rois de France sont convoqués (Philippe Le Bel ou Louis XI), c’est pour illustrer la construction sur plusieurs siècles de l’État ou celle de la laïcité. Chaque nom cité renvoie à une histoire et une fonction rhétorique d’édification. Le passé sert à nourrir le présent, à puiser des exemples qui assoient le discours du candidat.
Si Jean-Luc Mélenchon évoque la protestante Marie Durand, emmurée près de quarante ans avec une trentaine d’autres femmes, c’est par ce qu’elle a laissé une inscription gravée sur la margelle du puits de sa prison : « Résister ». Mélenchon se présente seul, charismatique, comme en résistance face à une République gangrénée.
Robespierre l’Incorruptible apparaît ainsi comme un modèle à suivre : homme d’État, arcbouté sur la Déclaration des droits de l’homme, pacifiste au départ, mais pragmatique à l’arrivée pour cause de Salut public.
Les Tribunaux révolutionnaires, œuvre de Danton, n’ont été qu’une réponse aux massacres du 2-Septembre. La position médiane de Jean-Luc Mélenchon, au centre de la gauche en quelque sorte, le rend vulnérable : à sa gauche, ses camarades le cataloguent comme patriote, voire nationaliste, alors que les camarades à sa droite le rangent dans la catégorie des révolutionnaires infréquentables.
Au final, le « peuple français » évoqué à plusieurs dizaines de reprises lors de son discours fleuve de la place de la République du 18 mars 2017, est présenté comme le vrai héros de l’Histoire ; Marianne en représentant le symbole le plus éclatant.
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• Benoît Hamon
À Bercy le lendemain (dimanche 19 mars), le socialiste Benoit Hamon, salue le « le génie historique socialiste français » et son réformisme. S’il évoque les Communards, c’est d’abord pour les opposer aux Versaillais. En s’appuyant sur cet épisode politique difficile de la Commune de Paris de 1871, Hamon souhaite par-là affirmer le clivage fondamental entre la gauche au combat et la droite des dominants.
Émile Zola et Fernand Braudel (historien de la longue durée) sont présentés comme des anti-Barrès et des anti-Maurras. Chez Hamon, c’est l’héritage qui compte, l’héritage d’un socialisme bicentenaire. L’Histoire est vue comme une épaisseur, un « bloc » dont les morts obligent les vivants. Pas de cassure ou de révolution mal contrôlée : la France est riche de son passé et doit pouvoir s’appuyer dessus pour se redresser.
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• Emmanuel Macron
Emmanuel Macron opère la synthèse en tout comme en Histoire. Pour lui, « ni totems, ni tabous » ; « tout est à redéfinir ». S’il prône le retour au « récit national », c’est pour ne pas segmenter l’histoire en dates ou périodes récupérées par telle ou telle idéologie. Son positionnement historique rejoint son positionnement politique. Ainsi, Jeanne d’Arc est présentée comme une héroïne de la République et Jaurès ou Clemenceau comme des figures politiques tutélaires du roman national.
Se joue derrière cette « redéfinition » un souci constant de montrer le caractère pluriel de la France. La colonisation s’inscrit dans le « projet de conquête » du pays. Elle a été à l’origine de souffrances (Macron allant jusqu’à évoquer injustement la notion de « crime contre l’humanité »), mais dans les colonies « ont vécu des gens qui faisaient le bien »… Convoqué, l’historien-caution Marc Bloch permet de justifier ce regard sur l’histoire qui ne se veut que consensuel.
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• François Fillon
À droite, François Fillon se proclame l’héritier du général de Gaulle dont il vante le modèle. Il affirme ainsi l’idéal d’une France forte et sûre d’elle-même dans l’ensemble de ces discours. Derrière elle, c’est tout un écosystème héroïque qui se déploie. Citons un extrait de son discours de candidature présenté à Sablé sur Sarthe en août 2016 :
« […] la reconnaissance des vrais héros qu’ont été les paysans français qui ont construit la puissance nationale, les scientifiques et les inventeurs qui lui ont donné les clés de son rayonnement international, la chrétienté qui a forgé sa conscience, les philosophes des lumières qui en ont fait l’avant-poste du combat pour les libertés individuelles, les soldats de l’An II qui l’ont défendu contre ses ennemis, les poilus de Verdun, les Français libres et ceux de la Résistance, les ingénieurs et les ouvriers qui ont permis Concorde, Airbus, le TGV, Ariane, le nucléaire et la renaissance des années soixante ».
Les héros de l’histoire de France sont des travailleurs, des libéraux, des chrétiens. François Fillon soutient naturellement dans la même veine le principe d’un roman national du plus pur tonneau, la France suivant une trajectoire historique providentielle qui l’a conduite à devenir la puissance qu’elle est. L’ancien premier ministre souhaite dans ce sens « réécrire les programmes d’histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national », en s’entourant de « trois académiciens ». Certains y trouveront sans doute une vision progressiste… quand d’autres s’alarmeront du caractère désuet de l’opération.
De quoi réjouir les enseignants soucieux justement de déconstruire le récit providentiel et téléologique. Dès le cycle 3, l’histoire est présentée comme source d’interrogation et non comme une donnée définitive. « Le travail sur les sources est essentiel, car il fonde la démarche historique. Il doit permettre aux élèves de s’exercer à une réflexion critique sur des sources de nature différente », comme le soulignent les programmes de seconde de 2010. Il ne s’agit pas d’instituer le doute comme l’interprète le candidat, admirateur du Petit Lavisse [2], mais de développer l’esprit critique tout en apportant des repères partagés [3].
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• Marine Le Pen
Pour Marine Le Pen, candidate du Front national, les racines chrétiennes de l’Europe restent aux fondements de la conception de l’histoire de notre pays. Ses discours s’inscrivent d’abord dans un présent dramatique. Les incursions dans le passé sont plutôt rares. Les discours de campagne de Marine Le Pen ne s’appuient sur aucune filiation historique directe et peu de personnages célèbres sont cités, comme si la figure du chef charismatique du parti suffisait.
Si le Mont-Saint-Michel et Jeanne d’Arc, figure de résistance, patriotique et christique, conservent leur aura de lieux de mémoire incontournables dans l’imaginaire frontiste, le héros de la geste française est le peuple, repris dans le slogan de campagne du FN, « Au nom du peuple ». Mais un peuple qui ne se pense pas dans l’épaisseur symbolique du temps.
De ce point de vue, le Front national développe les mêmes références que Jean-Luc Mélenchon au peuple, mais un peuple plus impressionniste, sans réelle histoire, sans État et sans le marquage de la laïcité qui doit coiffer, pour le candidat de gauche, les valeurs de la République.
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Puisées au grès des discours et interviews des candidats, ces quelques observations, n’épuisent pas, loin s’en faut, toute la richesse d’une entrée qui peut être utilement utilisée en classe.
L’usage du passé par les politiques nous éclaire sur leurs origines et leurs démarches. En cela, elle nous permet de faire notre choix. Et sur le terrain des références et des orientations historiques, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas.
Alexandre Lafon
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[1] Lire à ce propos : Laurence De Cock, Fanny Madeline, Nicolas Offenstadt et Sophie Wahnich, Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, 2008.
[2] Pierre Nora, « Lavisse, instituteur national », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t.1, Gallimard, 1984.
[3] Pour consulter un ouvrage édifiant relayant ce discours : Dimitri Casali, L’Histoire de France, de l’ombre à la Lumière (2014) et une analyse du roman national : Nicolas Offenstadt, L’Histoire bling-bling. Le retour du roman national, Stock, collection « Parti Pris », 2009.