Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau,
de Gints Zilbalodis :
sur une terre sans hommes

Magnifique périple en 3D sur une terre libérée des hommes mais pas du déluge, Flow laisse se déployer le talent et l’imaginaire du cinéaste d’animation letton. Sans parole ni discours mais à travers un parcours sensoriel puissant, il redonne sa place à la nature : animal, végétal et minéral connectés.
Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Magnifique périple en 3D sur une terre libérée des hommes mais pas du déluge, Flow laisse se déployer le talent et l’imaginaire du cinéaste d’animation letton. Sans parole ni discours mais à travers un parcours sensoriel puissant, il redonne sa place à la nature : animal, végétal et minéral connectés.

Par Philippe Leclercq, critique de cinéma

Ailleurs (2020), le premier long-métrage d’animation de Gints Zilbalodis, conçu et réalisé sans storyboard et entièrement seul sur ordinateur, était déjà une splendeur. L’épure graphique de ses images et la tension sèche de son histoire allégorique sans paroles constituaient une prouesse aussi bien technique qu’esthétique et narrative.

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Cinq ans plus tard, le réalisateur letton (30 ans), entouré d’une solide équipe artistique, prolonge l’expérience avec Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, nouvelle plongée méditative et poétique dans un monde d’où les hommes semblent cette fois avoir totalement disparu. Les seuls survivants sont des animaux. Un chat noir, en particulier, héros de cette fable d’animation à portée philosophique, discrètement naturaliste et antispéciste. Aussi, a-t-on à peine le temps de s’interroger sur les causes de l’absence humaine qu’un raz-de-marée envahit une bonne partie des terres, poussant l’infortuné félin à trouver refuge sur un frêle esquif. Il est bientôt rejoint par un curieux équipage composé d’une petite meute de chiens, d’un capybara (gros rongeur), d’un lémurien et d’un bien étrange échassier…

Embarqué dans un même bateau aux allures d’arche de Noé, tout ce petit monde disparate, ordinairement habitué à se livrer bataille, est obligé d’apprendre à s’entendre pour ne pas sombrer. Les inimitiés de chacun doivent s’annuler devant l’hostilité sans cesse grandissante de la nature en colère. Comment faire groupe par-delà les différences (de comportement, de race…) : c’est l’une des principales leçons de cette odyssée survivaliste à mi-distance de la dystopie écologique et du conte post-apocalyptique. Le titre Flow (« couler », « circuler » en anglais) offrant quelque résonance avec les mers et les océans aujourd’hui endeuillés par les naufrages répétés de migrants cherchant une vie meilleure.

Sous les flots

La réussite visuelle de Flow doit beaucoup à son mélange de réalisme animalier et de technologie numérique qui invite à renouveler le regard habituellement jeté sur la nature. Le point de vue furtif et mobile de la caméra, située à hauteur d’animal, fait du voyage dans la géographie du vivant en péril une aventure sensorielle. Le travail de la bande-son est considérable. Tout bruit alerte les animaux en permanence sur le qui-vive. Un clapotement d’eau inquiète, un bruissement de feuilles effraie, un cri d’oiseau affole. Couleurs et formes des espaces, lumière et reflets de l’eau sont des éléments de lecture du danger. Tout est plus sensible que dans le monde des hommes, ce qui fait de Flow un hymne synesthésique à la nature, animal, minéral et végétal apparaissant connectés.

Le récit affranchi de coutures narratives présente une suite de tableaux dont les péripéties épuisent non sans humour quelques-unes des supposées sept vies du chat (dit-on en Europe). L’histoire traverse des paysages fascinants : des hauteurs vertigineuses, des forêts luxuriantes, des mers infinies, des Atlantide immenses à demi-englouties dans des eaux desquelles surgit un monstre marin, Léviathan rappelant de sa présence intermittente les excès destructeurs des hommes. Des temples et des palais en ruine, de riches architectures décaties… partout, la nature a repris ses droits sur les vestiges d’un monde ancien et déchu.

Sans recourir à l’anthropomorphisme des animaux bavards de Disney, les images saisissantes de Flow tissent un discours éloquent. Le monde a pris l’eau. La tension dramatique fait écho à l’urgence climatique qui met les (derniers ?) animaux en fuite dans des plans-séquences époustouflants. Et de bien jolies trouvailles plastiques concourent à faire de ce film d’animation un magnifique objet de réflexion.

P. L.

Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, long-métrage d’animation Lettonie, France, Belgique) de Gint Zilbalodis (1 h 24 min). En salles.

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq