Éléments de corrigé
pour le sujet du bac de français 2024
sur Mes forêts, d’Hélène Dorion

C’est la poésie qui est tombée à l’écrit de l’épreuve anticipée de français ce 14 juin pour le sujet de dissertation. Un des trois sujets proposés portait sur Mes forêts, d’Hélène Dorion. Éléments de corrigé. Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspe Paris Sorbonne-Université.

C’est la poésie qui est tombée à l’écrit de l’épreuve anticipée de français ce 14 juin pour le sujet de dissertation. Un des trois sujets proposés portait sur Mes forêts, d’Hélène Dorion. Éléments de corrigé. 

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspe Paris Sorbonne-Université

Ce vendredi 14 juin, les élèves de première ont passé l’épreuve de rédaction du bac de français 2024. L’examen durait quatre heures, de 8 heures à 12 heures. Ils pouvaient choisir de traiter soit la dissertation soit le commentaire de texte pour la série générale, et soit le commentaire de texte soit la contraction de texte et l’essai pour la série technologique. Un des trois sujets de dissertation proposé était : 

« Dans Mes forêts, Hélène Dorion écrit : « mes forêts racontent une histoire ». En quoi cette citation éclaire-t-elle votre lecture de l’œuvre ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur Mes forêts, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle. »

Éléments de problématisation

La phrase est issue du recueil d’études, Mes forêts (Bruno Doucey) dans la section « L’onde du chaos ». Elle utilise le présent de l’indicatif en se posant comme une affirmation. Elle apparaît pleinement légitime car attribuée à l’autrice elle-même. Cependant, il faut distinguer une phrase  prononcée par un écrivain pour parler de son œuvre et de ses enjeux et une phrase intégrée dans l’œuvre a fortiori dans un recueil poétique, tout en nuance. 

Toute l’exercice consiste à de décrypter ce qu’est « une histoire » sachant que « une » n’est pas «l’» (l’histoire) et pas non plus « mon » (mon histoire). De fait, on se demande très rapidement de quelle histoire il s’agit : 

  • celle des hommes ?
  • celle des forêts ?
  • celle de la planète ? 

Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que l’on ait à trancher entre ces trois interrogations sachant que le recueil les croise toutes. On peut en outre se demander, en restant dans un premier temps concentré strictement sur Mes forêts, si cette « histoire » est racontée pour la première fois. En ce sens, la voix de la forêt que capte la poétesse aurait quelque chose de pionnière. 

On peut également s’interroger sur la nature d’une histoire narrée non par un être humain doté d’une voix et d’une plume mais par une nature vivante a priori communément considérée comme inanimée et dénuée de langage intelligible. 

Plan possible

I- Validation de la « thèse » 

Le recueil fait effectivement référence à l’histoire personnelle de l’autrice de façon fugitive tout en rapportant en accéléré l’histoire de l’humanité (cf. « Le bruissement du temps »). 

Le recueil poétique pourrait alors ressembler à un « recueil » de nouvelles autrement dit de petites et de grandes histoires allant de l’infiniment petit à l’infiniment grand. 

Le recueil fait écho à d’autres histoires, bibliques ou mythologiques.

II- Invalidation partielle

Il ne s’agit pas d’un roman, on est surtout dans l’évocation, la suggestion, pas nécessairement narrative (cf. Section « L’écorce incertaine » et le fragment. D’ailleurs, la suite de la citation après «mes forêts / racontent une histoire » autorise diverses interprétations du mot « histoire » : 

« qui sauve et détruit
Sauve
et détruit ».

Le blanc de la page et le décalage voulu par la typographie du texte n’interdisent-ils pas une approche strictement linéaire du mot « histoire » au sens de « récit » ?

La forêt exprime donc des « voix » éparses et non pas un récit continu même si, comme dans un texte autobiographique, le « je » narratif et/ou énonciatif reste dominant. 

III – L’auteur devient auditeur

Le sujet questionne un paradoxe. Ce sont en effet « les forêts » qui se trouvent en position d’aède ou de conteur. Ce qui ne va pas de soi. Ce n’est plus l’être humain qui est à l’origine de l’expression poétique. 

La fonction première de la poésie est de se faire réceptrice. La poétesse se plaçant dans une situation d’écoute sensible afin de retranscrire une histoire inédite ; inédite, parce que les hommes ont trop longtemps oublié d’écouter ce qu’avait à leur dire le vivant, la nature, les animaux sauvage et donc la forêt, leur porte-parole. 

Ainsi, la forêt devient inspiratrice, non pas en tant que muse mais bien en tant que source d’inspiration. Elle conduit la poétesse à repartir d’une relation sensible avec le vivant. 

La difficulté avec un tel sujet reste de ne pas chercher à trop le simplifier. Si la phrase de référence semble simple en première analyse, elle ne va pas de soi pour autant. En outre, il serait regrettable, conformément aux indications complémentaires données par le sujet, d’en rester exclusivement à la poésie d’Hélène Dorion. Que l’on pense à Rimbaud, à Ponge à Hugo ou même plus récemment à une autre poétesse québécoise, Gabrielle-Filteau Chiba (« La forêt barbelée » 2024), la poésie a depuis longtemps cette capacité extraordinaire à se faire réceptrice de voix qui ne sont pas nécessairement celles des hommes. 

Un recueil de poèmes porte bien son nom au sens où il rassemble précieusement des voix, des «confuses paroles» dirait Baudelaire, sans chercher à leur donner une stricte ligne narrative, sans aller comme dans un récit plus attendu, du début à la fin. 

En voie générale et technologique, l’épreuve écrite de français compte coefficient 5. L’oral également, dont les dates sont fixées par chaque académie. Le 18 juin aura lieu l’épreuve de philosophie pour les terminales, avant les épreuves de spécialités, du 19 au 21 juin et le grand oral entre le 24 juin et le 3 juillet.

A. S.

Ressources :

Retrouver le dossier sur Hélène Dorion publié sur le site de L’École des lettres : https://ecoledeslettres.fr/dossier-helene-dorion-mes-forets/

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron