Échos du Congo
Au cœur de l’Afrique centrale, deux pays se déploient sur les rives du même fleuve Congo. Deux pays aux destins à la proximité culturelle importante et à la créativité hors pair.
À Paris, une exposition, « Beauté Congo 1926-2015 », qui se prolonge jusqu’au 10 janvier 2016, présente des œuvres d’une sélection d’artistes congolais contemporains. L’occasion de prolonger le parcours visuel par quelques pistes littéraires, puisque les écrivains congolais se sont fait depuis longtemps déjà une place chez les éditeurs parisiens, à l’épicentre de la francophonie littéraire et sur les rives de la Seine.
Une exploration de la création artistique
L’exposition « Beauté Congo » qui présente, à la Fondation Cartier [1], une sélection de peintures, photographies et œuvres plastiques, donne à voir actuellement à Paris la formidable créativité d’une région d’Afrique au fort pouvoir d’évocation.
L’une des qualités de ce parcours artistique, outre qu’il permet au public de découvrir des créateurs de grand talent, est qu’il donne l’occasion d’appréhender également l’immensité de ce double territoire dont les contours se déploient en Congo et République démocratique du Congo sur une rive et l’autre d’un même fleuve.
Du très célèbre Chéri Samba, dont les tableaux, comme autant de saynètes, mettent en images les questionnements du peuple face aux grands de ce monde, jusqu’aux maquettes gigantesques de Rigobert Nimi, projections interstellaires de cités africaines du futur, en passant par les photographies « vintage » de Jean Depara ou la sophistication pointilliste des peintres de l’École de Poto-Poto, la diversité frappe et marque, déconstruisant sans cesse la référence obsolète à un Congo « des ténèbres », du mystère, de la faune sauvage et de la forêt vierge.
.Panorama de la littérature congolaise
Panorama de la littérature congolaise
Dans le domaine littéraire, c’est également à la remise en cause des clichés que se sont employés les auteurs congolais francophones, depuis leur émergence au lendemain des Indépendances. Les romanciers, en particulier, s’attaquent à une faune autrement sauvage que celle du cœur de la forêt.
Leur faune peuple les allées du pouvoir politique, se nourrit de l’argent sale de la corruption et tient le changement démocratique pour un risque mortel qu’il faut à tout prix contenir afin de sauvegarder ses biens et ses privilèges.
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Tchicaya U Tam’si
À la fois champions et pionniers de peinture sociale, deux auteurs clé sont à retenir. Le premier, Tchicaya U Tam’si (1931-1988), bien que né à Pointe-Noire, vivait, travaillait, était publié et reconnu sur la scène littéraire en France.
Une biographie (Tchicaya U Tam’si, le viol de la lune) [2], ainsi que des rééditions récentes (Œuvres complètes I et 2) [3], permettent de (re)découvrir le parcours atypique de celui dont la plume fut célébrée par Senghor, dont on murmura le nom pour l’obtention du Nobel de littérature, mais qui eut jusqu’à sa mort la réputation de poète « maudit », « hermétique », avant que ses livres, devenus indisponibles, ne sombrent dans de longues années d’oubli.
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Sony Labou Tansi
Deuxième figure indispensable de cette initiation, Sony Labou Tansi (1947-1995), écrivain polymorphe, dramaturge et metteur en scène, romancier, poète, correspondant fiévreux au style urgent et chahuté, à la langue déraillée, a ouvert la voie, par son art du baroque, à de nombreux descendants de cœur.
En cette année 2015, vingt-cinq ans après la disparition de l’écrivain, plusieurs hommages et événements [4] sont l’occasion de relire l’auteur de La Vie et demie et de L’État honteux [5], ou de voir ses pièces.
Champion des néologismes improbables et de l’association d’images truculentes, Labou Tansi fustige d’un ton grinçant les potentats, dont il fait de pitoyables voleurs d’espoir.
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Henri Lopes, V.-Y. Mudimbe, Emmanuel Dongala
Bien que s’exprimant dans une langue plus classique, Henri Lopes, V.-Y. Mudimbe ou encore Emmanuel Dongala appartiennent également à la génération initiale.
Dongala, auteur traduit dans une douzaine de langues, fin amateur de jazz [6], enseignant à la fois de chimie et de littérature aux États-Unis, où il vit en exil, s’est fait tout particulièrement remarquer avec son dernier livre, Photo de groupe au bord du fleuve [7]. Véritable fresque sociale, il relate le quotidien douloureux d’un groupe de casseuses de pierres et leur lutte de résistance face à leurs employeurs.
Nul ne sait plus si l’humour doit conduire aux grincements de dents ou au rire véritable, tant les écrivains préfèrent y recourir pour évoquer la situation de leurs États « cadavérés ». Ils sont plusieurs à mettre en scène une Afrique urbaine, où la violence de la gabegie politique est à l’œuvre, forçant le citoyen à ériger la débrouillardise en système et le rire en ressource, s’il souhaite survivre au quotidien.
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Koli Jean Bofane, Fiston Mwanza Mujila
Ainsi de In Koli Jean Bofane (né en 1954) qui, dans Mathématiques congolaises [8], narre le destin d’un Rastignac décidé à réussir en travaillant auprès d’un ministre avant de s’apercevoir qu’il se trouve du côté de la manipulation politique. Congo Inc. [9], du même auteur, met en scène un Pygmée arrivant à Kinshasa, bien décidé à faire fortune en vendant une carte minière à des entrepreneurs… chinois.
Car c’est à une ouverture au monde que nous convient également les auteurs, s’émancipant pour beaucoup du cadre purement congolais pour peindre les reflets d’une planète globalisée.
Ainsi Tram 83 [10], le roman très remarqué de Fiston Mwanza Mujila (né en 1981), se déroule-t-il dans une « Ville-Pays » où retentissent à l’échelle des destins individuels, les échos du grand chaos international.
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Achille F. Ngoye, Wilfried N’Sondé, Alain Mabanckou
À cet éclatement des frontières spatiales s’ajoute, pour certains auteurs, le plaisir d’explorer les possibilités du genre romanesque. En lui ajoutant, par exemple, un soupçon de suspens, comme le fait Achille F. Ngoye (né en 1944), qui a signé plusieurs romans policiers dans la célèbre « Série noire » (Ballet noir à Château rouge [11]).
En mixant roman noir et romance, comme le fait Wilfried N’Sondé (né en 1969) avec Le Cœur des enfants léopards [12], l’histoire d’une bavure policière dans la banlieue parisienne.
De même peut-on lire enfin les livres d’Alain Mabanckou (né en 1966), l’auteur le plus en vue des lettres congolaises, comme autant de fables, y compris lorsqu’il retrace le fil de ses souvenirs d’enfance [13]. Couronné de nombreuses distinctions, Mabanckou avait remporté en 2006 le prix Renaudot pour Mémoires de porc-épic et est en lice pour le prix Goncourt avec son tout nouveau Petit piment [14]
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Dongala, Caya Makhele et Gabriel Kinsa
Une minorité d’auteurs, enfin, s’adresse aux publics les plus jeunes. Ainsi de Dongala qui, dans un roman, Johnny Chien méchant [15], alerte les adolescents sur la question des enfants-soldats, tandis que Caya Makhele et Gabriel Kinsa s’adonnent au plaisir de conter l’époque où les éléphants, encore libres, ignoraient l’existence des zoos (Une vie d’éléphant), ou celle où les tortues philosophaient sur le passage du temps (Le Mystère de Zala Zoba) [16].
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Tel L’Afrique de Zigomar [17], le Congo des arts et de la littérature ne ressemble assurément pas à l’idée que l’on s’en fait.
Du chaos du monde et de sa beauté, les auteurs congolais font la recette d’un Pleurer-rire [18] dont ils ont le secret…
Une « débrouille littéraire » riche et complexe qui a largement matière à impressionner.
Kidi Bebey
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[1] Exposition à la Fondation Cartier de Paris, jusqu’au 10 janvier 2016 : « Beauté Congo – Congo Kitoko 1926-2015 ». L’exposition est ponctuée d’une série d’événements (concerts, rencontres…). 261, boulevard Raspail, 75014 Paris. Tél. : 01 42 18 56 67.
[2] Boniface Mongo-Mboussa, Tchicaya U Tam’si, le viol de la lune – Vie et œuvre d’un maudit, Vents d’ailleurs, 2014.
[3] Œuvres complètes I : J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, Gallimard 2013 ; Œuvres complètes II : la trilogie romanesque : Les Cancrelats, Les Méduses, Les Phalènes, Gallimard, 2015.
[4] Programme des Francophonies en Limousin 2015. Au Tarmac, scène internationale Francophone : Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi.
[5] Les œuvres de Sony Labou Tansi ont paru aux éditions du Seuil (« Points roman »), Revue Noire, Lansmann…
[6] Il est l’auteur d’un recueil de nouvelles, Jazz et vin de palme, Le Serpent à Plumes, 2003.
[7] Emmanuel Dongala, Photo de groupe au bord du fleuve, Actes Sud, 2010.
[8] In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises, Actes Sud, 2008.
[9] In Koli Jean Bofane, Congo Inc. – Le testament de Bismarck, Actes Sud, 2014.
[10] Fiston Mwanza Mujila, Tram 83, Métailié, 2014.
[11] Achille F. Ngoye, Agence Black Bafoussa (1996), Sorcellerie à bout portant (1998), Ballet noir à Château rouge (2001), « Série noire », Gallimard.
[12] Wilfried N’Sondé, Le Cœur des enfants léopards, Actes Sud, 2007.
[13] Alain Mabanckou, Demain j’aurai vingt ans, Gallimard, 2010, Lumières de Pointe-Noire, Éditions du Seuil, 2014.
[14] Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, Éditions du Seuil, 2006 ; Petit piment, Éditions du Seuil, 2015.
[15] Emmanuel Dongala, Johnny chien méchant, Le Serpent à Plumes, 2002.
[16] Caya Makhele, Une vie d’éléphant, Edicef, 1987 et 2012 ; Gabriel Kinsa, Le mystère de Zala Zoba, Dapper, 2010.
[17] Philippe Corentin, L’Afrique de Zigomar, l’école des loisirs, 1990.
[18] Henri Lopes, Le Pleurer-rire, Présence africaine, 2003.