Conseils pour la pré-rentrée des nouveaux professeurs de lettres
Entrer concrètement dans le métier
La « montée en pression » du professeur débutant devient d’autant plus forte que l’ultime semaine aoûtienne se rapproche. Les bulles d’un CAPES réussi se dissipent alors et le questionnement pragmatique sur le métier réel s’anime avec force.
Pour préparer cette fameuse première rentrée, il ne faut donc pas se laisser envahir par des milliers de questions aussi insidieuses les unes que les autres et s’en tenir aux plus déterminantes à court terme. Un mois de cours ne suffira pas à épuiser le stock inépuisable des interrogations éducatives, pas plus d’ailleurs, sans doute, qu’une « vie de prof » !
C’est prioritairement sur la première heure de prise en charge de la classe ainsi que sur la première semaine de travail qu’il est nécessaire travailler en amont.
Premier instrument de travail à cette fin, un grand cahier à double-entrée où l’on pourra consigner d’un côté les informations glanées lors des journées de pré-formation dans les ÉSPÉ et lors de la pré-rentrée, et de l’autre l’ébauche de sa propre organisation pédagogique. Gageons qu’avec l’agenda, le grand cahier constitue l’équipement de survie de base de tout professeur !
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Pré-rentrée te voilà !
Concrètement, la pré-rentrée des professeurs permettra de répondre à un certain nombre de questions pratiques : emplacement des salles, récupération des clefs et bien entendu emploi du temps (provisoire) et niveaux des classes en responsabilité…
La pré-rentrée relève ainsi plus que d’un rituel : elle demeure un moment privilégié non seulement de découverte mais aussi d’imprégnation d’un nouveau monde, et, insistons sur ce point, de nouveaux lieux. Prendre le pouls d’un établissement, revient à l’appréhender dans sa réalité matérielle – disposition de ses bâtiments, fonctionnalité de ses couloirs, agencement de la salle des professeurs ou disponibilité de sa photocopieuse.
Sur le plan psychologique, il y a toutes les chances que la pré-rentrée apparaisse « brute » pour un récent reçu à un concours d’enseignement. En effet, il s’agit très clairement d’une mise à l’épreuve – certes non encore du feu puisqu’elle ne concerne pas les élèves – mais tout au moins de la praticité du métier.
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Ne pas se laisser envahir par les informations
Pas de raison pour autant de dramatiser cette journée qui passe en général assez vite : et pour cela, d’emblée, se protéger contre ce que nous définirons comme un excès d’écoute. Car, à n’en point douter, en ce jour « 0 » de la rentrée scolaire, il va en être dit des choses sur l’établissement, sur les élèves, sur la façon de faire la classe, sur les nouveaux programmes tout particulièrement au collège, voire sur la formation des enseignants !
En somme, ce qu’un jeune professeur doit apprendre très rapidement, c’est à filtrer les discours impromptus de ses pairs, et à laisser de côté les informations ou commentaires secondaires souvent plus anxiogènes que réellement utiles. Exercice difficile mais oh combien nécessaire car la saturation « cognitive » a naturellement raison des meilleures volontés du monde et surtout des plus dociles.
La porosité du débutant ne peut être vertueuse que si elle sait ne pas être totale en dépit du pouvoir d’aînesse de ses collègues. Car, inévitablement, il se trouve alors dans un tempo qui n’est pas – et ne peut pas être – celui des plus expérimentés, tout particulièrement ceux qui officient depuis plusieurs années dans l’établissement où il connaît, lui, sa première affectation en tant que stagiaire
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Rester maître de son rythme d’adaptation au métier
Au bout de cette pré-rentrée, bien des choses pourront encore rester dans le flou. Ce qui compte, à l’inverse, c’est de rester maître de sa chronologie d’adaptation aux réalités et aux contraintes du métier d’enseignant. Pas plus que Rome, un professeur de lettres ne s’est fait en un jour – qui plus est sans élèves !
Première heure de cours, première semaine de classe, au stade du préambule de l’année scolaire, les mots de programmation, de progression, de séquence voire d’évaluation ne doivent avoir qu’une prise relative sur soi. Car, avant toutes les « règles d’or » éducatives, didactiques ou pédagogiques, prendre en charge une classe consiste d’abord à assumer une rencontre avec des élèves.
Ce qui implique d’être non seulement prêt mais disponible pour cette rencontre vraie sans commencer trop précocement à en déplacer l’enjeu vers autre chose de plus conceptuel, de plus artificiel.
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Réfléchir à haute voix
Le comédien n’est pas le seul à énoncer son texte à haute voix. Sans aller jusqu’à répéter son discours de rentrée par cœur, il n’apparaît pas si fumeux que cela pour un professeur débutant de verbaliser un certain nombre de choses qu’il compte transmettre oralement lors de ce moment unique où il va être en situation de découverte de sa classe.
En outre, cette « manie » de réfléchir ou de projeter son cours à haute voix peut aller un tout petit peu plus loin. Aussi peut-on conseiller à un professeur débutant en vue de sa première heure de cours, non seulement de notifier sur une feuille A3 (à poser le jour J sur son bureau comme pense-bête clairement visible) les points essentiels qu’il prévoie d’énoncer à ses élèves, mais bien de les verbaliser par anticipation chez lui.
Réciproquement, la tentation sera grande alors d’anticiper un certain nombre de leurs questions, comme « Quel âge avez-vous ? » ou « Êtes-vous marié(e) ? » ou pis « Vous êtes un stagiaire ? ». Spécifiquement, par rapport à cette dernière question, sans doute la plus difficile à appréhender, il n’y aura pas lieu de rentrer dans les détails. Le mot « stagiaire » n’aura pas ainsi à être employé par soi au risque d’une autodépréciation inutile. La seule réponse valable demeurant : « Je suis votre professeur de français, je viens d’obtenir le Capes (ou l’agrégation) de lettres. »
Il faut bien comprendre en effet que la première rencontre entre un professeur et sa classe constitue une forme de jaugeage de l’autre. En ce sens, il serait malhabile sinon risqué de rentrer dans des subtilités en général mal comprises qui pourraient d’emblée mettre en porte-à-faux vis-à-vis de son auditoire adolescent un individu en situation tout aussi justifiée qu’inévitable de stress.
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La première heure de cours n’est pas une partie de poker
En réalité, contrairement à ce qui est dit très souvent de façon quelque peu péremptoire, tout ne se joue pas à la première heure de cours. Comme toute relation, celle qui est censée s’établir entre un professeur et sa classe prendra un minimum de temps pour s’épanouir.
Il est commun par exemple que la classe reste relativement mutique lors de la première rencontre et ne trouve ses marques qu’à la deuxième ou troisième séance. En conséquence, avant toute chose, rester soi-même en essayant de ne pas sur-jouer un rôle de composition. Ne pas trop en dire, rester sobre, en insistant sur quelques points, sinon quelques principes essentiels. Éviter surtout d’être trop définitif sur certains sujets comme « cette année nous lirons telle ou telle œuvre » ou « cette année nous travaillerons sur un cahier ».
Prendre le temps de la décision demeure en somme assez sécurisant en gardant en tête, outre qu’un élève n’a pas tout à savoir d’entrée de jeu, qu’il demeure dans l’incapacité de retenir tout ce qu’on lui dit en ce jour où lui aussi, à sa manière, éprouve, même s’il feint de l’ignoer une situation de stress !
Antony Soron, ÉSPÉ Paris
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Voir sur ce site :
• Conseils pour une première prise en charge de sa classe par le professeur de lettres, par Antony Soron.
• Premier poste, dix conseils pour entrer dans le métier, par Thérèse De Paulis.
• Professeur : un emploi d’avenir ? De la vocation à la formation, témoignages et réflexions sur l’entrée dans le métier.
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