Conférence de rentrée de Jean-Michel Blanquer : des réformes à maturité ?
C’est dans les jardins verdoyants du ministère de l’Éducation nationale, rue de Grenelle, et à l’ombre d’un platane « multiséculaire » que Jean-Michel Blanquer a choisi de faire sa rentrée, après une fin d’année scolaire 2018-2019 marquée notamment par l’activisme contestataire d’un certain nombre de professeurs de lycée, correcteurs du baccalauréat.
L’intention symbolique n’était certainement pas anodine puisque tout le discours du ministre tenait en une expression racine à deux embranchements : développement durable – des réformes et de la planète.
Une sérénité affichée
Le ministre de l’« école de la confiance » s’est voulu consensuel en démontrant que le ruissellement des réformes engagées devaient profiter à tous : élèves, enseignants, parents. À chacun, il martèle d’emblée son credo autour du mot « réussite » en lui donnant une perspective globale – « réussir ensemble » – et de l’exigence de « l’élévation du niveau général » coïncidant avec celle de la « justice sociale ». D’où son instance sur celles qui concernent le premier degré. Écornant discrètement sa prédécesseuse, Jean-Michel Blanquer revendique la priorisation de l’école maternelle et élémentaire, chantier fondateur de son ministère, en arguant le fait que naturellement « l’amont » profite toujours à « l’aval ».
Prompt à exemplariser ses visites dans les classes tout au long de son propos, il relève, « pour être concret » et au plus près des réalités « du terrain », la phrase prononcée par ce professeur des écoles de CE2 qui se félicite de l’efficacité du dédoublement des classes de CP-CE1 : « J’ai des élèves différents ». De ce point de vue, il ne s’est pas montré moins enclin à défendre la scolarisation obligatoire à trois ans (loi du 28 juillet) tout en soulignant le progressif élargissement du principe de dédoublement aux classes de grande section. Il s’agit là pour lui, d’un changement fondamental de « paradigme » qui consiste à agir avant que les niveaux se clivent a fortiori en milieux défavorisés. En outre, parmi les engagements affichés, le ministre insiste particulièrement sur la dimension inclusive de l’école, notamment par rapport à la question du handicap. La création d’une cellule d’écoute des parents concernés lui apparaît à ce titre fondamentale de même que le renforcement des PIAL (Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés) et la valorisation du statut d’accompagnant d’élèves en situation de handicap (contrats de trois ans – possibilité de carrières AESH).
Revaloriser la profession
Jean-Michel Blanquer se veut le ministre des élèves, mais aussi des parents et au premier chef celui des professeurs, qu’il entend comprendre, défendre et valoriser, estimant avoir prioritairement en tête le « bonheur professionnel des personnels ». La mise en place d’un « comité de suivi de la réforme du lycée » semble aller dans le sens du premier terme du triptyque. Il lui apparaît ainsi naturel qu’une telle « révolution » ne fasse pas d’emblée l’unanimité et nécessite des ajustements qu’il se dit prêt à entendre.
La défense volontariste des enseignants passera, quant à elle, par une interaction plus fluide entre les trois ministères régaliens, Justice, Intérieur et Éducation, avec l’idée qu’une violence faite à un seul constitue une attaque contre un ensemble. De ce point de vue, il pointe l’importance de la mission du « référent violence » auprès de chaque chef d’académie tout comme il valorise le raccourcissement du délai de convocation du conseil de discipline et la mise en place d’un « bilan annuel » par établissement sur le climat scolaire. Protéger les abords des établissements, limiter le nombre des « poly-exclus » (actuellement 1 500 en France) en décidant le passage en classe-relais « sans autorisation des familles » ou encore le développement des internats-tremplin, demeurent les autres axes de l’action présentée.
De la sorte, en se faisant force de propositions ostensiblement constructives et consensuelles, le ministre donne l’impression d’avoir entendu le désarroi des professionnels de l’Éducation dont l’intégrité morale et physique apparaît souvent mise en cause. Le troisième pilier du triptyque, « revaloriser », s’inscrit d’après le ministre dans le cadre de la réforme des retraites. Ce qui suppose, de son point de vue, que les choses peuvent être faites « tranquillement ».
Aussi, outre la mention de l’augmentation des primes en RÉP, Jean-Michel Blanquer se fait-il fort de citer les propos du président de la République et du Premier-Ministre, qui ont affirmé au cours de l’été que certaines professions, dont celles de l’Éducation, ne pouvaient s’inscrire dans la réforme imaginée par Jean-Paul Delevoye sans voir leur carrière revalorisée.
Un maître-mot : le développement durable
Il y aura donc dès la rentrée dans les collèges des éco-délégués (élèves), chargés de proposer des idées novatrices afin que l’urgence écologique soit au cœur même des projets des établissements. Ces derniers étant à même, en fonction de leur action pour le développement durable de bénéficier d’un label « E3D ».
Ici encore, le ministre fait implicitement état de sa capacité à l’écoute, mettant en perspective que la mobilisation lycéenne en faveur de la défense du climat n’a pas laissé indifférent son ministère. Les huit recommandations des conseils d’élèves qui en sont issues auront d’après ses dires, valeur de « feuille de route », soit un impact non résiduel dans les programmes de lycée. Cela étant, la prise en compte de l’urgence écologique n’est pas présentée par Jean-Michel Blanquer comme une nouveauté – « nous y travaillons depuis des mois ». À ce titre, la décision d’interrompre, à la suite du positionnement récent d’Emmanuel Macron, la logique de fermeture de classe en milieu rural doit participer au repeuplement de la « diagonale du vide ».
Le ministre clame haut et fort que ses actions s’inscrivent dans un projet de société, où le plus grand nombre n’est pas promis à vivre « dans une tête d’épingle ».
Effet de sourdine sur les sujets fâcheux ?
Les enseignants seront certainement satisfaits d’apprendre qu’ils bénéficieront de plus en plus d’interlocuteurs DGH de proximité, sans pour autant, très concrètement, savoir ce qu’ils pourront en tirer du point de l’évolution de leur carrière. De même, ils auront tout lieu de faire crédit au ministre de la « volonté d’amélioration de la condition enseignante » mise en avant tout au long de son discours de rentrée. À titre d’exemple, pour ce qui concerne le lycée professionnel, Jean-Michel Blanquer ne porte-t-il pas l’attention des enseignants sur les éléments vertueux de la réforme en donnant l’exemple de l’accroissement sensible du nombre de séances en demi-groupes et en co-intervention ?
Dans son propos résolument optimiste et parsemé de métaphores, il caractérise ses personnels comme un « peuple de colibris », récusant par là même des formules qui ont fait autant de « buzz » que de dégâts dans l’opinion : « nous ne sommes pas un mammouth ». Dans le même temps, il relègue le mot « inquiétudes » au deuxième plan – une seule occurrence – au profit du terme « engagement » qui lui sert de mot de conclusion. Cette relecture positive des réformes engagées ne saurait pour autant éteindre le feu du questionnement, voire des critiques. La réforme du baccalauréat, tout particulièrement, reste sans doute présentée « trop » favorablement. Le choix des enseignements de spécialité, pour ne parler que de lui, n’a pas été aussi vertueux et pluriel que la présentation faite par le ministre en rend compte. La liberté de leurs combinaisons souvent contrainte mériterait ainsi une discussion critique plus approfondie.
Enfin, en cette fin de saison estivale, beaucoup de sujets apparaissent encore sous clefs, comme la redéfinition des vacances d’été, la question des salaires des enseignants par comparaison aux pays de l’OCDE, voire tout juste esquissés, comme la transformation des ÉSPÉ en INSPÉ. Le « peuple de colibris » sera sans nul doute attentif aux réponses apportées par le ministre « quand la bise [sera] venue ».
Antony Soron, ÉSPÉ Paris Sorbonne université