150e anniversaire de la Commune de Paris
Le 150e anniversaire de la Commune de Paris, après celui de la guerre franco-prussienne de 1870 est l’occasion de revenir sur un événement aujourd’hui peu enseigné dans nos classes.
Le 18 mars 1871 la France vaincue négocie la paix avec la Prusse de Guillaume II à la suite de plusieurs lourdes défaites (Sedan…) et après avoir signé l’armistice du 28 janvier. L’Assemblée nouvellement élue en février qui a rejoint Versailles et qui souhaite remettre le pays en marche, renonce à payer l’indemnité des Gardes nationaux, citoyens mobilisés dans le cadre de la guerre et qui ont participé à la défense des villes et du pays. Ils sont 180 000 à Paris à avoir soutenu un long siège et l’humiliation du défilé des troupes prussiennes dans la capitale le 1er mars.
Adolphe Thiers, chef du pouvoir exécutif (chef de l’État et du gouvernement) veut rétablir l’ordre dans la capitale. Il souhaite notamment récupérer 400 canons et mitrailleuses financés par les Parisiens et qui se trouvent sur les buttes de Montmartre et de Belleville, mis hors d’atteinte des Prussiens lorsque ceux-ci sont entrés dans la ville. Dans la nuit du samedi 18 mars, Thiers et le gouvernement envoient l’armée régulière en quatre points de Paris avec l’ordre de récupérer les armes. Peu à peu prévenus, les Parisiens se rassemblent et s’opposent aux soldats dont certains se débandent ou se rallient à la Garde nationale qui combat. Dans la mêlée, deux généraux sont exécutés rue des Rosiers.
Devant l’insurrection, Thiers quitte Paris pour Versailles et ordonne à l’armée et aux corps constitués d’évacuer la capitale. Quelques bataillons de Gardes nationaux s’emparent des principaux lieux de pouvoir. Les plus révolutionnaires comptant des socialistes ou anarchistes, républicains rêvant de 1789 ou de 1848, organisent un Comité central à l’Hôtel de Ville et s’inscrivent dans les pas de la Commune révolutionnaire. Le Comité central soutenu par la Garde nationale organise des élections municipales le 26 mars qui n’intéressent que peu les Parisiens dont beaucoup ont fui la ville (229 000 votants sur 485 000 inscrits). La Commune est néanmoins proclamée dans la liesse populaire et dans la tradition des fêtes révolutionnaires à la suite des élections du 28 mars 1871.
Entre mars et mai, 79 élus de la Commune siègeront plus ou moins régulièrement, rassemblant des personnalités de nombreux horizons politiques mais provenant essentiellement de l’extrême gauche révolutionnaire. Paris qui « s’est reconquis », selon le mot de Jules Vallès, est confronté à un nouveau siège mené par le gouvernement élu de février (les « Versaillais ») jusqu’à la reprise de la ville à l’occasion de la « Semaine Sanglante » (22-28 mai) dans le cadre d’une véritable guerre civile.
L’héritage de la Commune
L’insurrection de la Commune de Paris dure soixante-douze jours, du 18 mars 1871 au 28 mai 1871. La capitale est finalement reprise à l’issue de combats très durs et d’exactions menées de part et d’autres des protagonistes (les derniers communards sont exécutés au cimetière du Père Lachaise). L’événement fit plusieurs milliers de victimes. On compte près de 38 000 arrestations qui se soldent par des emprisonnements longs et des déportations (Guyane, Nouvelle-Calédonie). Il faut attendre deux lois d’amnistie (3 mars 1879 et 11 juillet 1880) pour voir la libération des derniers prisonniers et déportés.
La Commune de Paris est à la fois un mouvement social, politique et intellectuel d’ampleur, fondé sur la volonté de rompre avec un modèle de République « bourgeois » et pour une République démocratique plus sociale.
Ce projet porté par des républicains, des socialistes révolutionnaires, des internationalistes ou anarchistes (on pense à Auguste Blanqui) s’appuie sur l’effervescence intellectuelle de la fin du Second Empire autour du mouvement ouvrier (constitution de la Première Internationale) et sur des Parisiens humiliés par le siège des troupes prussiennes. Les membres de la Commune profitent de la guerre et d’une Garde nationale armée formée de citoyens. Enfin, Paris et ses arrondissements comme territoire géographique cohérent favorise la circulation des hommes et la mise en réseau des univers politiques et de sociabilités militantes comme les clubs, associations ouvrières, loges maçonniques, etc. Cette unité géographique profite aussi à la circulation des idées relayées par une multitude de journaux et feuilles révolutionnaires.
Dès septembre 1870, les revendications sociales s’installent dans le paysage politique. L’« affiche rose », signée par le Comité central républicain de défense nationale des vingt arrondissements de Paris, donne le ton qui proclame « la fondation définitive d’un régime véritablement républicain par le concours permanent de l’initiative individuelle et la solidarité populaire ». L’affiche rouge de janvier 1871 prendra le relais de la colère populaire contre la guerre et la répression.
Le 28 mars 1871, la Commune et ses élus (jeunes, plutôt socialistes, républicains et jacobins) s’installe à l’Hôtel de Ville de Paris. Elle n’accouchera que de peu de réformes : celles d’urgence sur les loyers, les objets déposés au Mont-de-Piété, celle du 2 avril sur la laïcité. Les rivalités politiques ne favorisent pas l’organisation du nouveau pouvoir, très émietté entre les acteurs et les arrondissements, la Commune ne disposant que de peu de moyens financiers. Le Comité central de la Garde nationale est très présent et joue souvent contre les institutions mises en place.
Sur le plan de l’éducation, deux commissions voient le jour : l’une pour l’enseignement primaire et professionnel, et l’autre pour les femmes. Quelques projets s’orientent vers une « éducation nouvelle », autant intellectuelle que manuelle, mais sans réelle mise en œuvre.
La Commune de Paris assiégée reste isolée du territoire national où la révolte ne prend pas. Un Comité de salut public mis en place début mai ne changera rien aux impasses politiques et sociales, ni à l’avancée militaire des Versaillais de Thiers. Le printemps radieux du « temps des cerises » (chanson du communard Jean-Baptiste Clément écrite en 1866) sera aussi celui de la défaite et de la répression. Les combats de rue et de barricades, la liquidation des derniers « communeux/communards) » lors de la « Semaine sanglante » fin mai feront entrer définitivement cette révolution populaire dans l’épopée politique de la gauche prolétarienne, dans les pas du récit que Karl Marx a pu en faire (La Commune de Paris, 1871).
Témoignages, roman et bandes dessinées
Au-delà des écrits militants sur la Commune révolutionnaire (pourfendant à droite la « fête plébéienne », défendant à gauche), acteurs et/ou auteurs de la seconde moitié du XIXe siècle, comme Jules Vallès ou Émile Zola évoquent la Commune et sa genèse. Jules Vallès dans son roman L’Insurgé décrit l’atmosphère révolutionnaire dans le Paris des années 1860 et offre de l’intérieur un récit de la Commune, de ses espoirs et déceptions, quand Zola dans La Débâcle, clôt le cycle des Rougon-Macquart sur la faillite du Second Empire et de l’ordre bourgeois.
Certains écrivains anticommunards comme Alexandre Dumas fils, n’hésitent pas à filer la métaphore animale ou hygiéniste pour traîner du côté de l’abject les acteurs de la Commune, tel le peintre Gustave Courbet décrit ainsi : « De quel accouplement fabuleux, d’une limace et d’un paon, de quelle antithèse génésiaque, de quel suintement sébacé peut avoir été généré, par exemple, cette chose qu’on appelle M. Gustave Courbet ? » (Une lettre sur les choses du jour, 1871 – cité dans William Serman, La Commune de Paris, Paris, Fayard, 1986).
Gustave Flaubert ou Edmond de Goncourt dénoncent le poison de la « multitude » et le suffrage universel, ruine de la civilisation… La « foule » qui fascina Gustave Le Bon (Psychologie des foules, 1895) est un repoussoir des réactionnaires fin de siècle, là où la gauche républicaine voit le « peuple » et la Commune comme une tentative de rapprochement des classes.
Quelques anciens de la Commune publient après les amnisties leurs souvenirs et espoirs déçus comme Gustave Lefrançais en 1886 sous le titre Souvenirs d’un révolutionnaire (La Fabrique éditions) ou Louise Michel revenue de déportation dans La Commune : histoire et souvenir en 1898 (La Découverte). Ils participent, avec la naissance du Mur des Fédérés comme lieu de mémoire de la Commune, étudiée par l’historienne Madeleine Rebérioux, à nourrir la mise en mémoire de l’événement.
La Commune, avec son aura populaire et révolutionnaire, inspire toujours cent cinquante ans après les faits et reste un objet politique polémique vivant. Elle inspire également des auteurs plus contemporains comme Didier Daeninckx et son Banquet des affamés (Gallimard, 2012) ou Jean Rouaud dans L’Imitation du bonheur (Gallimard, 2006).
En 2017, est publié Comme une rivière bleue de Michèle Audin (Gallimard) qui revient sur l’insurrection parisienne et fait apparaître le point de vue des anonymes. Dédié « à tous les vaincus, parce qu’ils se sont battus », le roman s’inscrit dans l’histoire populaire de la France qui s’impose dans le champ historiographique avec les travaux de Gérard Noiriel (Histoire populaire de la France, Agone, 2019).
La figure féministe de Louise Michel permet également d’entrer dans l’étude de la Commune, à travers notamment le roman graphique britannique de Mary et Bryan Talbot intitulé Louise Michel, la vierge rouge (Vuibert, 2016). Plus largement, la bande dessinée s’est emparée de l’événement depuis plusieurs années. Citons le désormais classique Cri du peuple de Jacques Tardi, adaptation du roman éponyme de Jean Vautrin (Grasset, 1999) qui reprend lui-même le titre du journal révolutionnaire de Jules Vallès. Du bruit, du sang et des larmes pour une approche graphique à la fois réaliste et percutante.
Plus récemment, les trois volumes des Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan (Delcourt, 2017 – adapté en film documentaire diffusé sur Arte.tv à partir du 16 mars) s’attache à décrire le quotidien des révolutionnaires à travers l’histoire de l’un d’entre eux, Charles Lavallette, dont il apprend qu’il vivait dans son immeuble. L’intérêt de cette œuvre vient aussi de la manière dont l’auteur fait alterner récit de la Commune et ses recherches historiques.
La Commune d’Yvan Pommaux et Christophe Ylla-Somers (l’école des loisirs, 2017) ne l’est pas moins qui mêle texte en prose et dessins. On retiendra le trait efficace d’Yvan Pommaux et la mise en lumière des principaux personnages de la Commune, des deux camps. Adaptée aux plus jeunes (cycle 3), elle permet d’aborder sérieusement un épisode par trop mal connu par les jeunes générations.
Le très récent La Commune de Paris de 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, volume coordonné par Michel Cordillot (Éditions de l’Atelier, 2021) propose un point historiographique complet. Il offre une réactualisation du volume du dictionnaire biographique du mouvement ouvrier fondé par Jean Maitron consacré à la Commune dès sa parution en 1971. Cette synthèse à jour, désormais indispensable, permet de dégager l’événement de tous les mythes et les légendes forgés par les ennemis ou les amis idéologiques de la Commune, « de manière apaisée mais scientifique » selon Michel Cordillot. L’ouvrage dense propose 500 biographies et une centaine de notes thématiques. En complément du livre papier et des 17 500 biographies de communard.e.s consultables sur le site du Maitron, le lecteur peut trouver sur le même site du Maitron une série de cartes et d’infographies très utiles qui donnent consistance à l’histoire de la Commune de Paris.
Notons enfin un numéro de L’Histoire consacré à l’événement intitulé « La Commune, le grand rêve de la démocratie directe » (janvier-mars 2021).
De quoi aiguiser et nourrir notre curiosité pour un événement que les commémorations du cent-cinquantième anniversaire viendront justement rappeler à notre mémoire et à notre histoire. Avec quelques résonances sociales et politiques très contemporaines.
Alexandre Lafon
• Les gravures illustrant cette étude sont tirées de l’hebdomadaire parisien « La Guerre illustrée » (1870), devenu « L’Événement illustré » en 1871 © C. R., l’École des lettres, 2021.
• La Commune de Paris en dix émissions sur France Culture.