"Comment j'ai détesté les maths", d'Olivier Peyon
Si au lieu de laisser les enfants donner librement des coups de pieds dans un ballon, on leur faisait faire l’exercice de lever la jambe en cadence, ils n’aimeraient pas le football. Pour les maths c’est pareil. On assomme les enfants de théorèmes abstraits au lieu de les laisser jouer avec les chiffres.
Tel est le constat des mathématiciens de pointe et des pédagogues dont fait état le film d’Olivier Peyon, montage-promenade d’interviews sur l’enseignement des mathématiques.
Ni pamphlet, ni démonstration, ni étude sociologique le film nous mène aux quatre coins du monde et laisse la parole aux mathématiciens, tantôt devant leur tableau noir, tantôt dans leurs séminaires, proposant des visages, des personnalités, des paysages et offrant de véritables moments d’émotion.
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Les effets des maths modernes
Ce qui ressort de ces entretiens, c’est que le gâchis causé par des méthodes qui ont atteint leur point d’abstraction le plus absurde avec les fameuses mathématiques modernes, imposées à une génération de professeurs mal formés, aurait pu être évité. Au lieu de définitions interminables et incompréhensibles qui paralysent l’élan créateur, il aurait fallu simplicité et sensibilisation à la beauté. Car tous les mathématiciens reconnaissent qu’il est beau de faire une démonstration impeccable et que cela procure un plaisir infini.
Des méthodes plus ludiques, une incitation à la déduction personnelle et une mise en évidence de la poétique mathématique auraient probablement rallié bien plus d’enfants à cette discipline réputée si difficile, si stressante, si aride qu’on en arrivait à être fier d’être nul !
Les mathématiques ?
– Imaginatives, universelles, démocratiques, créatives, sexy !
« Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint », écrivait déjà Beaumarchais. Comme il est surprenant et réconfortant d’écouter Cédric Villani (médaille Fields 2010), pédagogue hors pair, star des médias, parler de liberté, de culture, de révolte et qualifier les mathématiques d’imaginatives, universelles, démocratiques, créatives, sexy !
Le film d’Olivier Peyon retrace la grande aventure de cette discipline qui, en quarante ans, a bouleversé le monde. Après avoir « servi de rempart aux obscurantismes, voire de contre-pouvoir aux autorités bornées, politiques ou intellectuelles » qui en ont abusé à leur unique profit, après avoir créé, par une conception purement utilitaire et élitiste, un monde de l’efficacité et de la rentabilité dont la crise des subprimes a montré le caractère funeste, les maths pourraient aujourd’hui être enseignées de façon plus gratifiante et plus fructueuse.
Ne plus apprendre aux étudiants à réussir aux examens mais à penser et à comprendre. François Sauvageot, professeur de maths sup, enseigne avec des accessoires comme un chapeau, des gobelets, une ficelle, une ceinture, faisant de la transmission son enjeu principal. Il inscrit chaque notion dans une expérience physique comme celle du toboggan par exemple, image de la dérivée seconde.
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Une indispensable révolution des méthodes
Tous les pays ont conscience de la déficience des systèmes éducatifs mais aucun n’a assez investi dans une révolution des méthodes, à l’exception de la Chine, seule à avoir développé la recherche fondamentale. On donne aux grands mathématiciens réunis à l’institut Oberwolfach, en Allemagne, le temps de chercher, de discuter entre eux et de développer des relations humaines propices aux découvertes.
L’échange salutaire des doutes, des incertitudes, des hypothèses les plus fragiles, le partage de données dans le véritable esprit scientifique, est plus favorable à la réflexion que la pression exercée sans relâche sur des opérateurs assignés à des calculs sophistiqués destinés en priorité aux marchés financiers.
Des hommes comme Jean Dhombres, mathématicien et historien des mathématiques, ou Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l’Institut des hautes études scientifiques (IHES), tentent de battre en brèche les clichés éculés. Ce ne sont plus des professeurs Tournesol enfermés dans leur univers, mais des passionnés qui tentent de faire partager leur passion, sans asséner de certitudes : « En mathématiques, tout est question de compréhension, il faut voir comment les choses s’assemblent », dit l’un d’eux. « Il faut faire des maths une histoire mystérieuse qui enchante les enfants », dit l’autre.
Ne pas laisser les mathématiques
entre les mains des technocrates et des banquiers
Ce documentaire passionnant a pour sujet la responsabilité de ceux qui ont laissé les mathématiques entre les mains des technocrates et des banquiers ; il articule la dialectique entre pureté et compromission, libération et oppression, langage et idéologie, jeu et difficulté.
Il entend montrer que l’important c’est de donner aux élèves le goût de la recherche, du questionnement pour les attirer au lieu de les dégoûter.
Le devoir de chaque pays est de relever le défi de l’enseignement de cette discipline essentielle pour la démocratiser, la faire apprécier au plus grand nombre et former les savants de demain dont le monde a besoin.
Anne-Marie Baron
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Le chiffre et la lettre…
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• Un roman : « La Planète maths », de Gisèle Bienne, « Neuf », l’école des loisirs, 2013.
La vie est souvent compliquée. Pour pouvoir entrer en primaire, Mathilde a dû apprendre à se servir de sa main droite alors que la gauche était parfaite.
Maintenant, c’est au tour de son petit frère Thomas d’aller au CP et c’est un choc pour lui. Il ne comprend pas pourquoi il ne peut plus jouer toute la journée. Alors il s’accroche à sa sœur comme un ourson à sa mère.
Heureusement, à l’école, il y a aussi Samuel, que Mathilde épousera un jour, et le maître, qu’elle aimerait tant impressionner. Et puis il y a les mots, qu’elle adore. Sur sa planète, il y a des phrases, des poèmes et des histoires illustrées. En revanche, avec le calcul, ça cloche. Mathilde a beau faire des efforts, les chiffres sont un mystère pour elle. Pourquoi est-ce si difficile de régner sur la planète maths ?
• Une biographie : «Dans la tête d’un génie », de Masha Gessen, aux éditions Globe, 2013.
Novembre 2002. Grigori Perelman publie sans prévenir la démonstration de la conjecture de Poincaré. Il n’est pas le premier Russe à revendiquer pareil exploit sur Internet cette année-là…
Sa démonstration se révèle exacte. Mais Perelman n’empoche pas le million de dollars attribué par l’institut Clay, ni n’accepte les nombreuses propositions de travail que lui adressent les plus prestigieuses universités du monde. Il refuse également la médaille Fields qui lui est décernée en 2006. Il se retire même du monde, prenant ses distances non seulement avec la communauté scientifique, mais aussi l’humanité tout entière.
• Voir également les séquences inédites proposées pour les classes de BTS et les lycées professionnels.
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• Un concours de nouvelles pour réconcilier les sciences et les lettres : Nouvelles avancées 2013-2014. Mélange des genres : panique chez les taxons !
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