ChatGPT, la nouvelle intelligence artificielle, est-elle bonne élève ?

Voici des années que les élèves peuvent aller piocher en ligne des milliers de ressources toutes prêtes pour nourrir leurs devoirs à la maison. ChatGPT, l’intelligence artificielle qui vient de sortir et fait tout de A à Z dans le style de son choix, est-elle une alliée ou une adversaire ?
Par Marie-Astrid Clair, professeure de lettres (Paris)

Voici des années que les élèves peuvent aller piocher en ligne des milliers de ressources toutes prêtes pour nourrir leurs devoirs à la maison. ChatGPT, l’intelligence artificielle qui vient de sortir et fait tout de A à Z dans le style de son choix, est-elle une alliée ou une adversaire ?

Par Marie-Astrid Clair, professeure de lettres (Paris)

« Cher Professeur,
Je vous souhaite une très belle année et je vous remercie pour votre dévouement et votre professionnalisme dans l’enseignement du français. Vos cours ont été une véritable source de motivation et d’inspiration pour moi, et j’ai beaucoup apprécié votre passion et votre dévouement pour l’enseignement du français.
Je vous remercie pour votre soutien et votre patience, qui ont été précieux pour moi durant cette année de cours. J’espère que nous aurons l’opportunité de continuer à travailler ensemble dans le futur.
Meilleurs vœux,
[Votre nom] »

Chers collègues, aimeriez-vous recevoir de tels messages de la part de vos élèves ?

Ce sera bientôt le cas s’ils se mettent à utiliser une intelligence artificielle d’une manière futée, pour vous flatter. Accompagnés d’une boîte de chocolats, ces mots seraient encore plus efficaces, mais reconnaissez que ces phrases écrites par une machine sont assez bluffantes et agréables à lire, si vous en ignorez le véritable auteur.

Comment obtenir un tel texte ? Sur son téléphone ou ordinateur, et en quelques instants, grâce au logiciel gratuit ChatGPT (géré par OpenAI) qui ne vous demande pour l’utiliser qu’une adresse mail et un numéro de téléphone, sans doute pour vérifier que vous n’êtes pas, vous aussi, un robot.

En moins de deux minutes, c’est prêt, et, curieux, vous pouvez inscrire cette demande : « Présenter ses vœux à un professeur de français et le remercier pour les excellents cours qu’il donne ».

Pour être honnête, la lettre ci-dessus n’a pas été produite du premier coup, car la première proposition débutait ainsi :

« Cher Professeur,
Je vous souhaite une très belle année et toutes mes félicitations pour votre excellent travail de pédagogue. »

Ce fut son unique erreur de syntaxe de la soirée test.

En tant que si bon professeur, notre réponse a fusé. Dussions-nous participer à l’amélioration d’un prochain concurrent, nous avons apporté notre pierre à l’algorithme et avons précisé : « On ne souhaite pas des félicitations ».

Bonne pâte, la machine s’est immédiatement amendée avec cette première solution : « Je vous suggère de reformuler votre message en supprimant la phrase « toutes mes félicitations pour votre excellent travail de pédagogue ». Vous pouvez également remplacer cette phrase par une autre formule de remerciement, telle que : … »

Avant d’aboutir à la nouvelle proposition en début de cet article, l’IA (intelligence artificielle) a également proposé trois manières d’exprimer sa gratitude, brodant de jolies phrases à partir de ces mots clés ou expressions clés : « dévouement » « professionnalisme dans l’enseignement du français », « engagement », « soutien et patience ».

Comment réagir face à un tel prodige ? Avec la fascination d’un Zola ou d’un Verne, ébloui devant une machine comme le train, qui les stupéfie, ou avec l’agacement inquiet d’un professeur cherchant l’antidote – déjà trouvé par d’autres chercheurs avec GPTZero qui permet de déceler un texte généré par l’IA et autres LLM (grands modèles de langage) ?

La machine ne sèche jamais

Il faut dire que, face à n’importe quel sujet donné, la machine ne sèche jamais, réfléchissant quelques instants, puis écrivant sous nos yeux et mot à mot une phrase qu’on n’écrirait pas si vite – même si on l’écrirait mieux.

Quelques exemples pour le prouver :
Tout d’abord, je lui ai soumis le travail donné à mes élèves de 4e du collège Georges-Rouault, Rep+ dans le 19e arrondissement de Paris. Il s’agit d’écrire, pour les personnes âgées de l’Ehpad voisin, une carte de vœux pour 2023. L’exercice est intéressant car, comme je l’ai rappelé avec mes consignes, il met en œuvre plusieurs compétences :
– le soin, accordé à l’écriture et à la mise en page ;
– la créativité, pour l’illustration de la carte ;
– l’orthographe et la ponctuation – pas besoin de commenter ;
– la conjugaison, car ce genre de carte exige de jongler avec l’indicatif, le subjonctif et l’infinitif, car on souhaite + subjonctif, mais on espère + indicatif.

Pour le chatbot, j’ai d’abord dû simplifier ma consigne, la reformuler en éliminant un sous-critère qui concernait l’usage de ces temps : écrire une carte de vœux pour une personne âgée que l’on ne connaît pas.

Le résultat ne s’est pas fait attendre et, force est de constater que pour ce style de cartes, cet outil est efficace. Flatteur, il écrit ainsi des phrases que l’on n’aurait pas osées, mais qui feraient sans doute mouche : « En tant que personne âgée, vous avez certainement une grande expérience de la vie et une sagesse à partager. ». Et il conclut avec une certaine finesse : « Je vous remercie pour toutes les choses que vous avez faites et que vous continuez de faire, et je vous envoie mes meilleurs vœux pour l’avenir. »

Certes, l’avenir n’est sans doute pas le mot le plus porteur pour une personne très âgée, mais reconnaissons qu’il n’y a pas là de bévues comme celles commises par des élèves l’an dernier, souhaitant de tout leur cœur « une bonne fin de vie », voire « une belle mort » à cet aîné qu’ils n’ont jamais croisé.

À ce stade, que penser de ce logiciel ? Il fonctionne bien dans le cadre de cet exercice qui demande de maîtriser les codes de la lettre et de s’adresser, d’une manière un peu artificielle, à quelqu’un que l’on ne connaît pas. Il aidera certainement des élèves à rédiger, car certains sont bloqués tant qu’ils n’ont pas vu de modèle dont ils peuvent s’inspirer. Ils sauront ainsi que l’on commence généralement une lettre par « Cher » ou « Chère », et non par le « Bonjour » qu’ils emploient spontanément. Avec son « Chère Madame », « Cher Monsieur », le logiciel règle d’une manière définitive le point délicat de l’apostrophe soulevé en classe : faut-il écrire « Chère Madame », car il y a plus de femmes dans l’Ehpad, « Chère Madame ou cher Monsieur », comme je l’imaginais, ou encore Madame/Monsieur comme le suggérait une élève ? Comme rendre ce cher/chère inclusif ? Est-il possible d’écrire « Cher ainé-e » ou faut-il choisir « Chère personne âgée » ?

Avec l’intelligence artificielle, toute cette réflexion sur les usages, les connotations,et cette variété de possibilités disparaît donc. Un point pour le prof.

Comment s’en servir en classe ?

Mais laissons sa chance à la machine en lui écrivant : « Ce n’est pas original ».

Et lassistant virtuel de s’excuser, donnant des conseils que nous aurions pu, peu ou prou, formuler dans le feu de la classe. Il suggère de creuser trois autres pistes comme celles-ci :

  • si vous savez que la personne a un hobby ou une passion particulière, vous pouvez mentionner cela dans votre message et lui souhaiter de continuer à s’épanouir dans cette activité. Par exemple: « Je suis au courant que vous êtes un(e) passionné(e) de jardinage. »
  • Vous pouvez évoquer les valeurs et les qualités que vous appréciez chez les personnes âgées en général, comme la sagesse, l’expérience, la patience, etc. Par exemple: « Je vous admire pour votre sagesse et votre expérience de la vie. Je suis sûr(e) que vous avez beaucoup à enseigner aux plus jeunes générations. »

Évidemment, il n’épuise pas le sujet et ne fait pas preuve d’une folle originalité. Il tombe un peu à côté du sujet, oubliant que cette personne ne nous est pas connue et suggérant, dans la troisième piste, que cette personne est peut-être un ancien militaire. Cela laisse perplexe, mais cet outil ne pourrait-il pas avoir son intérêt ? Pourquoi ne pas s’en servir en classe pour démontrer, justement, ce qu’il ne faut pas se contenter de faire ?

On pourrait l’utiliser pour traquer les anachronismes, par exemple lorsqu’il décrit l’opéra à la manière de Maupassant, vantant son magnifique plafond peint par Chagall. Il pourrait montrer aux élèves l’importance de réussir son introduction, qui doit suivre un ordre très convenu (ouverture, définitions, problématique, annonce de plan), mais doit également se détacher des autres copies car rien n’est pire que de lire sans cesse la même soupe.

Que deviennent l’originalité et les erreurs ?

À l’inverse, mettre le doigt de nos élèves dans l’engrenage présente-t-il des dangers ? Ne risque-t-on de brider leur originalité, d’appauvrir leur style en produisant sans effort un patron stéréotypé qu’il vaudrait mieux déchirer pour produire quelque chose de neuf ? N’est-il pas bon de s’échiner, de se tromper, de tâtonner jusqu’à obtenir le fameux chef-d’œuvre des compagnons, même s’il reste modeste ?

Ira-t-on jusqu’à regretter les erreurs de syntaxe que ce logiciel ne produit pas ?

Plus le moindre sourire, plus la moindre surprise ne nous échappera devant un verbe maladroit, devant une erreur d’orthographe qui nous surprend, voire nous enchante. Comment nourrirais-je avec le chatbot le fichier que j’ai nommé « Des erreurs qui font rêver » dans mon ordinateur ? En début d’année, j’avais fait une bonne récolte en corrigeant la fin d’une nouvelle qui prenait place dans un café parisien de la fin du XIXe. Voyez plutôt : « Il but de l’absinthe (1 vers) », « Il était dans le pétrein », « Il se réveilla sans céquelle » « Rien n’était propre, tous les vers avaient des traces de bouche… »

Avec ChatGPT, plus d’odeur « noséabonde » qui nous fait plisser le nez, plus de « coup de point » au visage qui nous ébouriffe, et franchement, quel plaisir resterait-il alors à corriger des copies apparemment parfaites et avec un air de parenté…  

Piéger la bête

Bon, j’ai bien conscience que mon goût pour les erreurs d’orthographe – pas toutes, bien sûr – n’est pas toujours partagé, alors poussons l’examen un peu plus loin.

Écrivez un sonnet évoquant un amour impossible. On espère piéger la bête, mais un premier alexandrin s’affiche : « Mon coeur bat la chamade, mon âme est en feu », suivi d’un vers qui sonne un peu faux : « Quand je pense à toi, mon amour impossible » Il faut le dire, c’est assez réconfortant de lire ces mauvais vers, et le quatrain suivant :


« Je rêve de ta peau, de tes lèvres douces
De tes bras qui m’enlacent, de ta voix qui chante
Mais mon amour, il faut que je te dise
Notre histoire n’a pas de fin heureuse »

Et puis, pour finir, il y a plus de quatorze vers dans ce sonnet, et pas de rime, et bien qu’on le lui dise, le bot ne parvient pas à rectifier le tir, et enchaîne les visions stéréotypées d’un amour malheureux : « Tu es marié, ton coeur appartient à une autre / Et moi, je suis seule, à rêver de toi ». Ouf. Le bot a perdu ce point.

Autre défi : présenter Candide de Voltaire pour l’oral du bac. Toujours aucune hésitation, il ne lui faut pas trois minutes pour pondre une présentation tout à fait plate, mais juste, avec tous les points attendus : le siècle des Lumières, la critique de Leibniz, les thèmes principaux, l’ironie… Sans compter quelques conseils comme celui-ci : « Les personnages de Candide sont souvent caricaturaux et symboliques, mais ils évoluent au fil de l’œuvre et prennent de l’épaisseur. Vous pouvez parler de Candide, de Cunégonde, de Pangloss (le philosophe qui influence Candide) et de tous les autres personnages importants et montrer comment ils évoluent et changent au cours de l’histoire. »

Franchement, rien à blâmer sur le fond ou la forme, mais c’est imprécis, ennuyeux et sans aspérité. Et nous nous voyons déjà lutter contre le sommeil après une journée d’oral trop longue à supporter. Mais franchement, cela ne pourrait-il pas aider les élèves les plus en difficulté, qui apprendront par cœur ce plan en y ajoutant, espérons-le, quelques éléments ?

Nouveau test : des écrits de communication professionnelle comme j’en ai tant encadrés lorsque j’enseignais la communication en IUT. Que donne donc une lettre de motivation ? Pour tester le robot, je lui demande d’écrire celle d’un élève de 3e. Il tombe aussitôt dans le panneau :

« Madame, Monsieur,
Actuellement étudiant en classe de troisième au lycée [nom du lycée], je suis à la recherche d’un stage de découverte de l’entreprise d’une durée de [durée du stage] semaines afin de mettre en pratique mes connaissances et acquérir de l’expérience professionnelle. »

La classe de 3e au lycée, cela semble compliqué ! Pour le reste, la lettre pondue est longue et pleine de généralités. Elle donne un cadre, c’est certain, mais il va falloir sérieusement la personnaliser. La machine donne pour cela des pistes, si on le lui demande, répondant avec la plus grande politesse, sans mettre un terme agacé à nos demandes de précision ou à nos « j’ai pas d’idée ».

Là encore, la professeure que je suis est décontenancée. La lettre obtenue est creuse, mais donne tous les mots clés et aussi des suggestions de personnalisation comme ceux que je donnais. Pour autant, le plan de la lettre n’est pas celui que je conseille sur ma chaîne YouTube, car moi aussi, j’ai cédé aux sirènes de la modernité : je suis une édutubeuse, une prof convocable à toute heure sur YouTube, dont on peut ralentir ou accélérer le débit à sa fantaisie, à qui l’on peut couper le sifflet sans autre forme de procès si quelque chose nous déplaît.

Assistant ou adversaire ?

Me voilà donc bien embêtée lorsqu’il s’agit de tirer un bilan de ces nouvelles façons d’enseigner et d’apprendre : je ne crois pas que cette machine soit plus à craindre que les anciens laboratoires de langues qui, autrefois, devaient rendre tous les Français bilingues. Mais je pense tout de même qu’elles peuvent aider les plus en difficulté, les élèves qui n’ont pas d’aide à la maison lorsqu’il s’agit d’écrire un mail ou de trouver la formule de politesse un peu passe-partout qui évitera les impairs.

Bien sûr, cela éliminera les écrits sans ponctuation, les phrases interminables ou les mots familiers qui ne passeront pas les mailles du filet, mais qui s’en plaindra ? Le professeur ne saura-t-il pas déceler son intervention, comme il sait reconnaître du premier coup d’œil un texte venu d’internet, même sans le passer au crible d’un logiciel de plagiat ?

L’existence d’un tel outil réduira peut-être la part des devoirs à la maison, qui est source de tant d’inégalités pour nos élèves et vous le savez bien, mes chers collègues, vous qui, le soir ou le week-end, êtes souvent l’intelligence non artificielle de vos enfants.

Une telle machine développera peut-être encore la place donnée à l’oral, à la créativité, à la brièveté. Elle donnera peut-être aux professeurs de français l’illusion momentanée que non, malgré les heures en moins, le niveau n’a pas baissé. Et ce sera peut-être le cas si l’élève découvre l’incomparable dictionnaire de synonymes en ligne du CNRS/CNRTL, et s’amuse ensuite à tout personnaliser. Elle obligera aussi l’élève à se concentrer non pas sur la technique mais sur sa pensée propre exprimée par des mots adaptés.

Dans un autre domaine, elle est utilisée en informatique pour coder, et vérifie, commente, conseille, le tout en français ! Et que penser de sa version payante, GPT3, beaucoup plus puissante et utilisée en intelligence artificielle car elle travaille sur des sujets encore plus précis…

ChatGPT, machine humanoïde, bête humaine, brave bête dont le nom semble fait pour résonner dans les cours de récré, je me demande combien de temps tu vas m’amuser… Comme les premiers joueurs d’échecs sur ordinateur qui ne pouvaient s’arrêter de défier leur adversaire virtuel afin de le piéger, j’ai passé avec toi une excellente soirée et je sais que tu vas prendre de l’importance, gagner sinon en intelligence du moins en efficacité et nous faire beaucoup parler.

Toutefois, parviendras-tu à inventer quelque chose, à forger une langue nouvelle, à surprendre l’humanité ? Tu ne sais hélas que calculer, et bien que vertigineux, tu ne produis, qu’un assez vide verbiage, et c’est tant mieux.

M.-A. C

Ressources

Marie-Astrid Clair
Marie-Astrid Clair