« C’est vrai qu’on va perdre notre double nationalité ? »
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géo et d'éducation morale et civique
Lendemain d’élections au collège : « Si le brevet, l’inscription au lycée et les vacances prennent le dessus, le pire est à venir », explique Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géo en banlieue parisienne. Témoin de l’inquiétude de ses élèves, il constate que le programme du Rassemblement national est aux antipodes de ses missions.
Par Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géo et d’éducation morale et civique
Les résultats des élections législatives sont tombés hier tard dans la nuit, mais je doute que mes élèves de troisième s’en soient souciés. Ils passaient ce matin leur première épreuve du brevet, celle de français. Et il y a peu de chance que ce soit aujourd’hui l’objet de leur conversation. Le stress généré par leur premier examen, l’inscription au lycée et l’arrivée imminente des vacances prennent légitimement le dessus.
Et c’est tant mieux. Qu’ils gardent un peu d’insouciance car le pire est à venir. Le Rassemblement national est aux portes du pouvoir puisqu’en passe d’obtenir la majorité (relative ou absolue) à l’Assemblée nationale, et la jeunesse sera l’une des premières victimes de sa politique si le mouvement de Marine Le Pen venait à l’emporter le 7 juin prochain.
Durant tout le mois de juin, l’actualité française a été au cœur des conversations au collège. Dès le lendemain des élections européennes et l’annonce de la dissolution, les questions ont fusé en cours : « C’est vrai que l’on va perdre notre double nationalité ? », demandent les uns, « Qui va être expulsé de France ? », s’inquiètent les autres. Cela m’a permis de revoir avec eux les grands axes du cours d’Éducation morale et civique (EMC), notamment l’accès à la nationalité française (droit du sang, droit du sol, mariage et naturalisation).
Il s’agissait de leur répondre factuellement. Oui, il sera beaucoup moins aisé pour les étrangers de devenir français si le Rassemblement national (RN) arrive au pouvoir : Jordan Bardella, candidat au poste de Premier ministre, le dit comme ça d’ailleurs. Certains élèves étaient stupéfaits, notamment ceux nés en France de parents étrangers qui, pour la plupart, ont acquis la nationalité française à 13 ans sur demande de leurs parents.
Le cours d’histoire de fin d’année sur la Ve République (de De Gaulle à Chirac), habituellement rébarbatif de l’avis des élèves, fut suivi avec intérêt. Nous avons bien évidemment étudié la dissolution de 1968 annoncée par le président De Gaulle après le mouvement étudiant et ouvrier du mois mai. Le cours a pris plus de relief, les élèves, malgré la fin des cours qui approchait, ont fait preuve d’une grande curiosité en réussissant à établir des ponts entre cette histoire et ce qu’ils vivaient aujourd’hui.
Ainsi, quelques-uns m’ont dit que le président Macron serait dans l’obligation de nommer un Premier ministre issu du groupe majoritaire à l’Assemblée. Certains ont même rebondi en faisant référence à la victoire du Front populaire en 1936 (un chapitre étudié en décembre, soit il y a une éternité pour un élève de 14 ans !) en me demandant s’il y avait un lien avec l’appellation de l’union des gauches. « Mais oui, Monsieur, c’était pour empêcher les ligues d’extrême droite de prendre le pouvoir à l’époque ! » Évidemment, ce genre de réflexions ne peut que satisfaire un enseignant. Lorsque les élèves se servent de leurs cours pour analyser une période actuelle, notre mission, qui consiste à former des futurs citoyens, est accomplie.
Fin du collège unique et « big bang de l’autorité »
Mon inquiétude est grande ce matin alors que j’observe mes élèves penchés sur leurs copies de français : que va-t-il se passer pour eux si le RN l’emporte dimanche prochain ? Et pour ceux qui arrivent après eux ? À la lecture du programme complété ces dernières semaines par des déclarations de Roger Chudeau, le député RN en charge de l’école, on ne peut qu’avoir peur : fin du collège unique avec des sélections dès la fin du CM2 pour rentrer au collège (création de sixième d’adaptation) assortie d’une orientation précoce vers la voie professionnelle dès la quatrième.
Jordan Bardella déclarait il y a peu devant le Medef : « Nous entendons remplacer le collège unique par un collège modulaire qui orientera plus tôt, plus vite les élèves vers des filières professionnelles aujourd’hui injustement dévalorisées... »
Un « big bang de l’autorité » est aussi prévu avec des mesures agressives et stigmatisantes pour une partie des élèves où la sanction prend systématiquement le dessus : uniforme pour lutter contre le communautarisme islamique, suspension des allocations familiales et des bourses en cas d’absentéisme ou de problèmes de discipline et création de centres spécialisés pour les élèves perturbateurs. « Sans possibilité de retour vers un établissement normal ». L’objectif est clair : les orienter rapidement vers le marché du travail.
Les musulmans sont aussi clairement visés avec l’interdiction pour les mères voilées de participer à des sorties scolaires et l’exclusion des élèves « convaincus de menées islamistes ». Pour ce qui est des programmes, ce sera aux parlementaires de fixer les attendus avec, pour l’histoire-géo par exemple, le retour d’un roman national que l’on enseignait dans les années 1870 après la perte de l’Alsace-Lorraine dans le but de développer un patriotisme revanchard chez les élèves…
Le RN prévoit également le démantèlement des REP car le soutien aux milieux dévalorisés coûterait trop cher. Il compte aussi adapter les programmes en REP +.
Lire aussi « Fin du collège unique, suppression des réseaux d’éducation prioritaire, centres spécialisés pour les élèves perturbateurs : les idées du RN pour l’école », Libération 21 juin 2024.
L’école du RN aux antipodes de nos missions
Alors oui, ce matin, en regardant mes élèves de banlieue parisienne je suis plus que jamais inquiet. Ma mission et celle de nombre de mes collègues consistent à former des futurs citoyens épanouis, éclairés, des citoyens capables de raisonner, de choisir leur avenir et de s’insérer socialement et professionnellement dans notre société.
Lire aussi : « Extrême droite : l’école dans le viseur », Snes-FSU, 16 juin 2024.
Cette école présentée par les cadres du RN est aux antipodes de ce que j’accomplis depuis vingt ans avec passion.
Lire aussi : « Éducation : quand l’extrême droite dicte le programme d’Emmanuel Macron », par pointe Jean-Paul Delahaye, ancien inspecteur général de l’Éducation nationale, Libération, 11 mars 2024.
Cette année, devant l’inquiétude affichée par mes classes de troisième au lendemain des élections européennes, j’ai décidé de conclure l’année par un goûter « Made in France », avec une dégustation de fromage accompagnée de jus de pomme et de raisin obligatoirement français, de baguettes de tradition et de salades de nos territoires. Pour cela, on avait étudié en amont un espace productif agricole.
Les élèves devaient venir avec un tee-shirt de l’une des couleurs de notre drapeau. La France est un beau pays et quoi de plus fédérateur que le fromage ? Comme j’étais chargé du fromage, mon choix s’est porté sur le saint-nectaire, car c’est celui que je préfère, mais aussi car nous avions étudié un territoire du Massif central lors du chapitre sur les espaces de faible densité.
Voir ces élèves de toutes origines, de toutes croyances se réunir autour d’un bon morceau de fromage était une belle satisfaction, car ils aiment la France et que la France, c’est chez eux.
J.-R. K.
Petit glossaire de secours par les temps qui courent
État civil : l’état civil d’une personne est son identité légale ou officielle, reconnue et garantie par l’État car enregistré par une administration publique.
État : organisation politique et administrative contrôlant une population sur un territoire délimité par des frontières.
Nationalité : l’appartenance juridique et politique d’une personne à la population (la Nation) d’un état.
Nation : terme désignant un peuple, des personnes partageant les valeurs et les principes de la République. La nation française ne repose pas sur une ethnie.
L’accès à la nationalité française est déterminé par le Code civil. Il existe deux façons de naître Français :
- Par filiation : droit du sang
(Art.18: « Est français l’enfant (…) dont l’un des deux parents est au moins français ».) - Par sa naissance en France ainsi que l’un de ses parents (droit du sol)
(Art.19-3 « Est Français l’enfant né en France lorsqu’un de ses parents au moins y est lui-même né. » « Les enfants nés en France de ressortissants algériens, nés avant l’indépendance d’Algérie (1962), sont français »).
On peut aussi devenir Français de différentes manières :
- Par droit du sol à 18 ans (Art. 21-7 « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si à cette date il a, ou a eu, sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. »).
- Par droit du sol dès 13 ou 16 ans (Art21-11 « L’enfant mineur né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de seize ans, réclamer la nationalité française(…).Dans les mêmes conditions, la nationalité française peut être réclamée, au nom de l’enfant mineur à partir de l’âge de treize ans. »).
- Par mariage avec un ou une Français.e (Art 21 « Le conjoint étranger ou apatride (sans nationalité) d’un Français peut, après un délai de 4 ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration » (sous conditions).
- Par naturalisation (Art.21-5: « L’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique résulte d’une naturalisation accordée à la demande de l’étranger. » (sous conditions : 18 ans minimum, sans condamnation et avec une connaissance suffisante de la langue française).
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