Capes de Lettres : la composition est remplacée par une dissertation
Le Capes de Lettres, dont les épreuves d’admission se tiendront cette année entre le 9 juin et le 1er juillet, va être réformé. La composition française notamment sera remplacée par une dissertation. Cette modification permettra aux candidats de travailler sur un corpus de référence. Elle ouvre aussi des perspectives de renouvellement du regard sur les œuvres et de nouveaux champs de recherche.
La nouvelle est parue au journal officiel le 29 janvier dernier : l’épreuve de composition française au programme du Capes de Lettres sera remplacée par une épreuve de dissertation, sur le modèle de l’agrégation.
Le nouveau Capes de Lettres avait déjà fait l’objet de critiques centrées sur la disparition de l’ancien français dans la deuxième épreuve d’admissibilité et de l’explication de texte à l’oral d’admission, au profit d’un entretien professionnel. Alors que les candidats au concours 2021 préparent les épreuves d’admission qui se tiendront du 9 juin au 1er juillet, les candidats 2022 scrutent les modifications annoncées.
Concernant la composition française, la transformation est d’abord nominale. Elle devient une « épreuve écrite disciplinaire » indexée sur un programme de six œuvres.
Ce corpus de référence n’a pas encore été dévoilé mais il devrait être construit à partir des œuvres inscrites au programmes de la classe de première de la voie générale, renouvelé chaque année pour un tiers. Ce qui correspond, pour l’année scolaire 2021-2022 et pour les épreuves anticipées de la session 2023 du baccalauréat, à la liste suivante :
Objet d’étude pour lequel les œuvres sont renouvelées
- La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Rabelais, Gargantua. Parcours : rire et savoir.
La Bruyère, Les Caractères, livres V à X. Parcours : la comédie sociale.
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule »). Parcours : écrire et combattre pour l’égalité.
Objets d’étude pour lesquels les œuvres sont maintenues
- La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Victor Hugo, Les Contemplations, livres I à IV. Parcours : les mémoires d’une âme.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal. Parcours : alchimie poétique : la boue et l’or.
Guillaume Apollinaire, Alcools. Parcours : modernité poétique ?
- Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves. Parcours : individu, morale et société.
Stendhal, Le Rouge et Noir. Parcours : le personnage de roman, esthétiques et valeurs.
Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien. Parcours : soi-même comme un autre.
- Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
Molière, Le Malade imaginaire. Parcours : spectacle et comédie.
Marivaux, Les Fausses Confidences. Parcours : théâtre et stratagème.
Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde. Parcours : crise personnelle, crise familiale.
Et, pour l’année scolaire 2022-2023 et les épreuves anticipées de la session 2024, le renouvellement suivant :
- La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Rabelais, Gargantua. Parcours : rire et savoir.
La Bruyère, Les Caractères, livres V à X. Parcours : la comédie sociale.
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (du « préambule » au « postambule ») . Parcours : écrire et combattre pour l’égalité.
Du fait de ce corpus, la réforme du Capes s’inscrit dans une filiation avec la réforme du bac de français, fondé sur des œuvres imposées. Du point de vue des candidats au concours, travailler à partir d’un programme prédéfini peut s’avérer rassurant.
Un sujet une œuvre
Les sujets des prochaines sessions du Capes, à partir de l’année universitaire 2021-2022, proposeront donc de travailler lors de l’épreuve sur une œuvre littéraire déterminée, située théoriquement du Moyen Âge à l’époque contemporaine.
Néanmoins, le premier exemple de sujet zéro publié porte sur Érec et Énide, premier roman de Chrétien de Troyes. Soit une œuvre qui, pour l’heure, ne figure pas dans le corpus de référence. Faut-il voir dans ce choix une façon de rassurer les médiévistes inquiets de la place laissée à l’ancien français dans les programmes ?
D’autre part, le sujet portant sur Érec et Énide est construit, selon une perspective traditionnelle, à partir d’une longue citation :
« Érec et Énide, édition J.-M. Fritz, Le Livre de Poche, « Lettres gothiques ». Selon Daniel Poirion, « l’aventure, c’est en somme la clé qui ouvre le monde merveilleux de l’imaginaire où le chevalier va partir en quête d’une prouesse qui lui permettra de se découvrir, de se reconnaître, ou de se réaliser en tant qu’homme d’action. Le chevalier du roman n’est que ce qu’il fait, ou plutôt ce qu’il se fait. C’est l’objectivité de ses actes qui tient lieu chez lui de subjectivité » (Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », introduction, p. XXXI).
Dans quelle mesure ce propos sur le roman médiéval éclaire-t-il votre lecture d’Érec et Énide de Chrétien de Troyes ? »
Le fait de présenter le sujet de cette manière induit une réponse argumentée en trois parties. Au contraire, le deuxième sujet zéro présenté sur le site du ministère ne s’appuie pas sur une citation mais directement sur une question. Les deux sujets zéro présentent donc des différences de formes et de présentation.
Le second zéro propose Le Malade imaginaire comme œuvre de référence à partir d’une interrogation cette fois « totale » : « Le Malade imaginaire est-il une comédie ? ». Dans ce second cas, le sujet prend une forme plus originale. Contrairement à la longue tradition de la composition française au Capes, il s’ancre sur une question et non sur une citation.
Micro-analyse et mise en perspective
Les fondamentaux de l’exercice de composition française ne sont pas à bannir dans le traitement du sujet « nouvelle formule ». Difficile, en effet, comme le font observer en substance les concepteurs du sujet zéro, d’envisager un plan binaire du type : I. « OUI, Le Malade imaginaire est une comédie » ; II. « NON, Le Malade imaginaire n’est pas une comédie » et III. « OUI et NON, c’est un peu les deux ».
Tout aussi difficile de nourrir exclusivement son propos de cette seule pièce sans faire référence à d’autres œuvres de Molière et d’autres dramaturges pour comparaison et éclairage.
Les pistes proposées dans le corrigé du sujet zéro mettent par ailleurs l’accent sur l’équilibre à trouver entre micro-analyse du texte et mise en perspective de l’œuvre : savoir la « situer » dans son contexte, « l’éclairer » ou « comparer, c’est-à-dire mesurer des écarts » afin de mieux « dégager la spécificité de l’objet d’étude premier ». D’où la nécessité, en termes de préparation de l’épreuve, de pratiquer la méthode dite « des cercles concentriques ». D’abord l’œuvre au programme ; ensuite l’œuvre au sein de l’œuvre globale d’un auteur ; puis l’œuvre dans son contexte de production littéraire etc.
« Ingestion » par cœur
Le passage par une œuvre de référence en tant que socle du discours « dissertatif » suppose, comme à l’agrégation, un travail rigoureux de mémorisation sélective. De ce point de vue, l’attente du jury est bien spécifié, à savoir la capacité de « citer des passages », « d’un mot », à « une réplique entière » (cas exemplaire du Malade imaginaire), sachant que chaque paragraphe de la dissertation « doit comporter au moins un exemple tiré de l’œuvre, précis et personnel ».
Par comparaison, dans le traitement des sujets « ancienne formule », il aurait été assez malvenu de ne renvoyer qu’à une œuvre exemplaire et d’en citer plusieurs extraits. À l’inverse, la pluralité des références était recommandée. Il semble, par conséquent, que les promoteurs du nouveau type de sujet aient voulu parier sur une lecture authentique et complète des œuvres au programme de la part des candidats en lieu et place de lectures fragmentées à partir d’extraits représentatifs.
La réorientation quasi exclusive sur les textes du patrimoine semble ainsi aller de pair avec une forme de réhabilitation implicite du « par cœur ». Le linguiste Georges Steiner a d’ailleurs vanté les mérites de cet exercice dans son essai Réelles présences. Les arts du sens (1989) :
« Apprendre par cœur, c’est conférer au texte ou à la musique une clarté et une force vitale durables et intimes. Le terme d’“ingestion”, forgé par Ben Jonson, convient parfaitement dans ce contexte. Ce que nous savons par cœur devient une force active au sein de notre conscience, un “stimulateur” dans la croissance et la complexification vitale de notre identité. Nulle exégèse ou critique venue du dehors ne peut nous ingérer aussi directement les moyens formels, les principes d’organisation et d’exécution d’un fait sémantique, qu’il soit verbal ou musical » (p. 28).
Des programmes féconds pour la recherche universitaire
Les programmes annuels de l’agrégation sont propices à des colloques ou des journées d’études. Cette dynamique de recherche devrait être tout aussi opérationnelle concernant le Capes de Lettres. Le Malade imaginaire, œuvre de référence du sujet zéro, apparaît à la fois dans les programmes du Capes et dans ceux du baccalauréat. Ce qui pourrait permettre de renouveler le regard sur cette œuvre qui a longtemps été étudiée au collège mais trop souvent caractérisée comme une comédie inférieure à la triade consacrée au lycée : Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope.
La filiation programmatique entre la première épreuve du Capes et l’épreuve anticipée de français du baccalauréat pourrait également inciter à réinvestir la recherche littéraire dans la formation continue des professeurs de lettres. Ce serait un vrai défi.
Antony Soron, INSPÉ Sorbonne Université
Ressources
• Sujet « 0 » Érec et Énide.
• Sujet « 0 » Le Malade imaginaire.
• Programme national d’œuvres pour l’enseignement de français en 1re , années 2020-2021 et 2022-2023.
• Formation des enseignants : le projet de réforme du CAPES, une réforme à contre-sens ? par Antony Soron.
• Capes 2022, préparez vos mouchoirs… par Pascal Caglar.
• Motion de la section 9 du CNU sur la réforme de la formation des enseignants, 10 septembre 2020.
• Communiqué de la SLLMOO sur le projet de réforme du CAPES de lettres modernes.
• Exemple de réinvestissement d’une œuvre au programme de l’agrégation en classe.
• Chrétien de Troyes, Molière et Baudelaire dans l’École des lettres.
• Alchimie poétique : la boue et l’or (1re), par Haude de Roux.
Georges Steiner, Réelles présences. Les arts du sens, Gallimard, « NRF Essais », 1991.