« Black Swan », de Darren Aronofsky
On peut se montrer perplexe face à l’accueil largement favorable réservé, de la part du public et surtout de la critique, au film de Darren Aronofsky, Black Swan.
Hormis l’interprétation époustouflante de Natalie Portman qui, à elle seule, sauve l’histoire de la faillite, le film manque de souffle, d’élégance, d’originalité et de vraisemblance. La paresse du scénario tentant désespérément d’être camouflée par une réalisation heurtée et par l’utilisation, assez grotesque, et en tout cas complaisante, des recettes du film d’horreur et de l’esthétique gore.
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Une accumulation de clichés
Il est rare de compter, dans le même film, une telle accumulation de clichés : celui de la jeune fille douce et soumise étouffée par son perfectionnisme et son attachement à l’enfance (comme doivent le faire comprendre, pour les distraits, le symbole des peluches qui envahissent la chambre ou celui du réveil-boîte-à-musique kitsch représentant une danseuse). Cliché de la mère abusive qui reporte sur sa fille ses ambitions déçues ; cliché de la danseuse rivale, antithèse de l’héroïne, émancipée, délurée mais naturellement visitée par la grâce ; cliché de l’ancienne étoile incapable de supporter son déclin et sombrant dans une déchéance suicidaire ; cliché du chorégraphe sadique mais génial (génial parce que sadique, sans doute) interprété par un Vincent Cassel qui surjoue et cabotine. Et, pour enrober le tout, une plongée, pas très crédible, dans l’univers de la paranoïa ou de la schizophrénie, avec grand renfort de sang inexpliqué, de doubles étranges, de scènes fantasmatiques, de plumes mystérieusement glissées sous la peau.
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Un message ambigu
Quant au message général, il est à la fois ambigu, banal et pernicieux. Ambigu parce que le film entretient quelques temps, pour nous égarer, une fausse piste, guère plus originale que la vraie, qui semblerait vouloir prouver que dans la vie professionnelle, et pas seulement celle d’une danseuse ou d’une artiste, le succès appartient à ceux qui ont une âme de tueur, ceux qui sont prêts à éliminer – sinon physiquement au moins psychologiquement – les concurrents qui se mettraient en travers de leur route. Théorie largement douteuse, mais qu’aiment à défendre les coaches, les gourous, les managers, les gagneurs, dans notre époque sans pitié où règne la loi du chacun pour soi. Cessez d’être blanc comme un cygne quelconque, et devenez noir, couleur du cynisme, de la victoire et du mal.
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Pas très nouveau, ni très moral
Mais, saisi au dernier moment par la platitude du propos et désireux de nous surprendre, Aronofosky opte pour une autre leçon, malheureusement tout aussi conventionnelle et contestable que la précédente : pour atteindre un objectif élevé, pour réaliser une performance suprême, il est nécessaire de se surpasser, d’aller chercher au fond de soi les ressources nécessaires à sa sublimation et, pour dire les choses en langage sportif, se « sortir les tripes », image triviale, mais justifiée par l’épilogue du film.
Pour les simples besogneux, les toqués de la technique, les consciencieux sans génie, il leur faudra se contenter d’un destin d’éternel second. Le vrai créateur, comme l’illustre le mythe fatigué de l’artiste maudit, ne peut donner la plénitude de son art que par le sacrifice de sa vie. Pas très nouveau, ni très moral.
Reste, pour sauver le film, la musique de Tchaïkovski et quelques belles images de ballet, notamment sur la fin. Dommage que, pour recevoir une pareille récompense, il ait fallu, au préalable, supporter les effets appuyés d’un réalisateur peu inspiré. Décidément, il n’est pas si facile de faire du Polanski.
Yves Stalloni
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• Voir la critique de ce même film par Anne-Marie Baron.
• Le cinéma sur le site de l’École des lettres.
Platitudes et clichés ne sont pas des termes qui s’appliquent au film ou force est de constater que « tout est dit » et que « l’on vient trop tard. » Oui la performance de Natalie Portman est exceptionnelle, mais ce qui pourrait apparaître comme de la « paresse » est en réalité une volonté délibérée de laisser l’œuvre ouverte. Le film me semble d’ailleurs un paradoxe perpétuel : tout y est filmé en intérieur mais rarement film aura laissé autant d’ouvertures – à l’interprétation notamment -, jusqu’au dénouement qui n’est peut-être pas aussi évident qu’il le paraît.
Quant à la morale, elle est loin d’être aussi simpliste que le laisse supposer l’article. Le film tend même à gommer la déprimante morale du ballet et lui substitue une réflexion sur le talent et la grâce qui nous renvoie au-delà de la morale, s’inscrivant ainsi dans la modernité.